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les peines sont douces, l'esprit du citoyen en est frappé, comme il est ailleurs par les grandes.

» La sévérité use le ressort de la pénalité..... On établit une peine cruelle qui arrête le mal sur-le-champ, mais on use le ressort du gouvernement. L'imagination se fait à cette grande peine comme elle s'était faite à la moindre, et comme on diminue la crainte pour celle-ci, l'on est bientôt forcé d'établir l'autre dans tous les cas. Les vols sur les grands chemins étaient communs dans quelques Etats; on voulut les arrêter; on inventa le supplice de la roue, qui les suspendit pendant quelque temps. Depuis ce temps, on a volé comme auparavant sur les grands chemins.

» Après l'expulsion des décemvirs, presque toutes les lois qui avaient fixé les peines furent ôtées. On ne les abrogea pas expressément; mais la loi Porcia ayant défendu de mettre à mort un citoyen romain, elles n'eurent plus d'application.

>> Il ne faut point mener les hommes par les voies extrêmes; on doit être ménager des moyens que la nature nous donne pour les conduire. Qu'on examine la cause de tous les relâchements, on verra qu'elle vient de l'impunité des crimes et non pas de la modération des peines.

>> Suivons la nature, qui a donné aux hommes la honte comme leur fléau ; et que la plus grande partie de la peine soit la honte de la souffrir.

>> La nature est juste envers les hommes; elle les récompense de leurs peines, elle les rend laborieux, parce qu'à de plus grands travaux, elle attache de plus grandes récompenses. Mais si un pouvoir arbitraire ôte les récompenses de la nature, on reprend du dégoût pour le travail, et l'inaction paraît le seul bien.

» La sévérité des peines est tout entière du génie des gouvernements despotiques. »

MONTESQUIEU.

« On ne peut qu'admirer les excellentes choses que dit Montesquieu sur l'inefficacité des punitions barbares ou seulement trop sévères, sur le triste effet qu'elles ont de multiplier les crimes, au lieu de les diminuer, parce qu'elles rendent les mœurs atroces et les sentiments fé

roces. »

DESTUTT DE TRACY.

« Là où les supplices les plus cruels ont existé, les crimes

les plus atroces se sont manifestés. Car, ainsi que le remarque Bentham, les malfaiteurs s'endurcissent à la pensée du sort qui les menace, et leurs actes les plus effroyables de barbarie ne sont alors que des représailles. » FAUSTIN HÉLIE. Théorie du Code pénal, p. 104.

«Par toute l'Europe, chez toutes les nations, on trouve trois grandes phases de la pénalité. Dans la première, la peine n'existe pas; il n'y a que la vengeance privée et le rachat à prix d'argent. Dans la seconde, la peine apparaît tout d'un coup avec des raffinements de cruauté inouïs. Dans la troisième, elle va s'adoucissant. »

ORTOLAN.

Par prisons pour peines, la loi désigne :

Les bagnes, pour les condamnés aux travaux forcés; Les forteresses, pour les condamnés à la détention; Les maisons de force, pour les condamnés à la réclusion;

Les maisons de correction, pour les condamnés à l'emprisonnement.

Il existe, en France, trois bagnes: Rochefort, Toulon et Brest. Au commencement de ce siècle, la population de ces trois bagnes était de 7,689 forçats. En 1830, on en comptait 8,568; au 24 février 1840, elle s'élevait à 7,953; au 1er janvier dernier, elle était réduite à 7,690, ainsi répartis : 3,873 à Toulon, 2,831 à Brest, 986 à Rochefort. Sur ce nombre, 1,965 sont condamnés aux travaux forcés à perpétuité; 3,070, de 5 à 10 ans; 2,239, de 11 à 20 ans; 282, de 21 à 30 ans; 41, de 31 à 40 ans; 23, de 41 à 50 ans; 9, de 51 et au-dessus.

4,750 (sur 7,696) sont condamnés pour vol, 1,027 pour meurtre, 459 pour attentat à la pudeur, 233 pour incendie, 168 pour assassinat, 162 pour coups et blessures graves, 159 pour faux, 148 comme faux monnayeurs, 24 comme banqueroutiers frauduleux, 26 comme parricides.

Les hommes de 20 à 40 ans forment plus de la moi

tié de cette population; on compte 122 jeunes gens de 16 à 20 ans, et 270 vieillards sexagénaires ou septuagénaires. Les campagnes fournissent plus de la moitié des forçats au 1er janvier dernier, on en comptait 4,595 nés dans les campagnes, 2,452 nés dans les villes, 643 d'origine étrangère.

3,992 ne savent ni lire ni écrire; 2,990 ne le savent qu'imparfaitement; 91 seulement ont reçu une instruction supérieure à l'instruction primaire.

Dans ces chiffres officiels, ce qui frappera tout lecteur sérieux, c'est le rapprochement suivant : sur 7,690 condamnés aux travaux forcés, il n'y en a que 1,965 qui le soient à perpétuité; donc, sauf défalcation de la mortalité, 5,725 cesseront, à l'expiration de leur peine, d'être des condamnés pour devenir des libérés.

Ils rentreront dans la société.

Sur 7,690 condamnés aux travaux forcés, voilà donc 5,725 professeurs émérites, docteurs ès crimes!

Si l'on suppose que sur ce nombre de 5,725 libérés, il y en ait 1,000 dont le repentir ait visité la conscience, et qui aient quitté le bagne avec la ferme résolution de fuir toute tentative, toute occasion de tomber en récidive: comment distinguera-t-on ces 1,000 libérés, vrai, ment dignes d'intérêt et de confiance, des 4,725 autres libérés sortis du bagne plus criminels qu'ils n'y étaient entrés?

Première question.

Si on les repousse, que deviendront-ils?

Deuxième question.

Si, n'ayant de travail que pour un seul travailleur, vous voyez se présenter deux hommes : l'un irréprochable dans son passé, l'autre racheté par son repentir, mais repris de justice, auquel de ces deux hommes la préférence devra-t-elle être donnée ?

Troisième question.

Un rapport de M. Béranger (de la Drôme), à la chambre des pairs, constate en ces termes la progression du nombre des récidives:

« La constante progression des délits est une vérité à laquelle on ne saurait fermer les yeux.

» En moins de vingt ans, il y a eu augmentation de moitié dans les préventions déférées aux tribunaux correctionnels.

» Mais ce qui est de plus en plus affligeant, c'est l'accroissement continuel et en quelque sorte régulier des récidives; cet accroissement se manifeste tant parmi les accusés de crimes que parmi les prévenus de délits. »>

La peine de l'emprisonnement est donc condamnée par l'expérience; il est prouvé qu'elle n'amende pas et qu'elle n'intimide point.

L'abus que l'on fait de l'emprisonnement, en le prodiguant ainsi qu'on le prodigue pour des contraventions insignifiantes et des délits imaginaires, n'est pas une des moindres causes qui concourent au relâchement des liens sociaux. C'est avec raison que Montesquieu a dit: «Souvent un législateur qui veut corriger un mal >> ne songe qu'à cette correction, ses yeux sont ouverts » sur cet objet et fermés sur les inconvénients. >> Cet abus ferait regretter le temps, qui nous paraît barbare, où la composition était à peu près l'unique peine écrite dans la loi salique, ainsi que l'a imprimé M. Guizot. Sous le régime actuel, les frais de justice s'élèvent

On a arrêté à Paris, pendant l'année 1852, 21,316 personnes, dont 19,695 en flagrant délit. Sur ce nombre, les garçons mineurs entraient pour 6,228, et les filles mineures pour 581, les vagabonds pour 6,414, les mendiants pour 2,698, et les individus sans asile pour 1,396, c'est-à-dire que l'on a arrêté et exposé à la contagion des prisons 10,508 individus qui n'avaient commis ni crime, ni délit.

à plus de douze millions *. Dans la réforme pénale que j'expose, réforme dont toutes les parties se lient, les délits, je ne dis pas les crimes, au lieu de coûter à l'État, lui rapportent, car ils se traduisent tous en amendes et en dommages-intérêts, conformément aux anciens usages constatés par Montesquieu.

Aucun problème social n'est à la fois plus important et plus difficile à résoudre que le problème des libérés ; il mérite d'être placé au même rang que le problème des bâtards, qui constituent, en France, une nation dans la nation, car ils sont au nombre de deux millions huit cent mille : 1 sur 13.

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POPULATION DES PRISONS. Moyenne de 1830 à 1840: -16,369.

LIBÉRATIONS.

RÉCIDIVES.

de 1840 à 1850: -18,641.

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Augmentation progressive sur les années antérieures. Libérations, 6,926, soit 35 0/0.

Proportion inquiétante, si l'on considère que, d'après les statistiques criminelles, sur 100 libérés des maisons centrales, 37 pour les hommes et 25 pour les femmes (62) sont ordinairement jugés de nouveau dans les cinq annés qui suivent leur libération.

Cette proportion est bien plus considérable dans les établissements qui avoisinent la capitale. Un rapport du directeur de la maison centrale de Melun, sur les entrées du dernier semestre de 1853, a constaté le chiffre de 70 récidivistes sur 100 condamnés.

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