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coup plus moraux que les châtiments de législations plus savantes.

>> La loi salique semble porter à la personne et à la liberté des hommes un singulier respect... L'unique peine écrite, à vrai dire, dans la loi salique, est la COMPOSITION, Wehrgeld wedrigeld (argent de défense, garantie)... La composition est le premier pas de la législation criminelle hors du régime de la vengeance personnelle; le droit caché sous cette peine, le droit qui subsiste au fond de la loi salique et de toutes les lois barbares, c'est le droit de chaque homme de se faire justice soi-même, de se venger par la force, c'est la guerre entre l'offenseur et l'offensé. La composition est une tentative pour substituer un régime légal à la guerre. C'est la faculté donnée à l'offenseur de se mettre, en payant une certaine somme, à l'abri de la vengeance de l'offensé. Elle impose à l'offensé l'obligation de renoncer à l'emploi de la force...

» L'offensé a eu longtemps le droit de choisir entre la composition et la guerre, de repousser le wehrgeld et de recourir à la vengeance... La composition ne fut d'abord qu'un essai assez peu efficace pour mettre fin à la lutte désordonnée des forces individuelles... Au début, il n'existe entre les hommes que des inégalités peu variées et peu puissantes... Il n'y a point non plus ou presque point de puissance publique. Les hommes ne sont donc fortement gouvernés, ni par d'autres hommes, ni par la société; leur liberté est réelle; chacun fait à peu près ce qu'il veut, selon sa force, à ses risques et périls... L'inégalité se prononce entre les hommes... Une force collective s'élève... Naissent, d'un côté, l'aristocratie, de l'autre, le gouvernement, c'est-à-dire deux modes de répression des volontés individuelles, deux moyens de soumettre beaucoup d'hommes à une autre volonté que la leur.

» A leur tour, les remèdes deviennent des maux : l'aristocratie opprime, la puissance publique opprime, l'oppression amène un désordre différent du premier, mais profond et intolérable. Cependant, au sein de la vie sociale, par le seul effet de sa durée, par le concours d'une multitude d'influences, les individus, seuls êtres réels, se sont développés, éclairés, perfectionnés.

» Alors, de même qu'il y avait eu effort pour la création de la défense publique et au profit de l'inégalité entre les hommes, de même un effort commence vers un but

contraire, vers la réduction de l'aristocratie et du gouvernement, c'est-à-dire que la société tend vers un état qui, extérieurement du moins, et à n'en juger que sous ce rapport, ressemble à ce qu'elle était dans son premier, à un libre développement des volontés individuelles, à cette situation où chaque homme fait ce qu'il veut, à ses risques et périls.

>> La composition pécuniaire suppose, entraîne l'aveu du tort par l'offenseur; elle est de sa part un acte de liberté; il peut s'y refuser et courir les chances de la vengeance de l'offensé; quand il s'y soumet, il se reconnaît coupable et offre la réparation du crime. De son côté, l'offensé, en acceptant la composition, se réconcilie avec l'offenseur : il promet solennellement l'oubli, l'abandon de la vengeance; en sorte que la composition a, comme peine, des caractères beaucoup plus moraux que les châtiments de législations plus savantes.

» Si la liberté a péri à l'entrée de la carrière sociale, c'est que l'homme n'a pas été capable d'y avancer en la gardant ; qu'il la reprenne et l'exerce de plus en plus, c'est le but, c'est la perfection de la société. »

GUIZOT. Histoire de la Civilisation

en France, T. Ier, p. 340.

Alors apparaît dans le droit d'asile comme une imitation du droit d'exil en usage à Athènes, à Sparte et à Rome :

« Au moyen-âge, le coupable n'a qu'à passer le bras dans l'anneau des portes de l'église. En plusieurs pays, son plus sûr asile est le manteau d'une femme. Qu'elle prenne sous sa manche la tête du fugitif, personne n'osera l'assaillir, même avec des rosées, etc.

» Généralement les lois antiques donnent du temps au coupable pour vouloir guérir; s'il ne se sent pas mûr pour l'expiation, il peut fuir au prochain asile, aux autels, à son propre foyer, qui est aussi un autel; personne ne l'en arrache. La loi juive reconnaît des villes d'asile. »

MICHELET.

La rigueur de la pénalité croît avec l'esprit de domination :

» Le roi prétend au droit de juger comme à un accessoire nécessaire de son pouvoir. Dans le cas où il serait resté, comme Melchisedech, comme Numa, pontife de son peuple, il pourrait réussir au moyen de la religion. Mais s'il s'est élevé un sacerdoce... à côté de son trône, toute prétention de sa part à la judicature, surtout en matière criminelle, serait impuissante à se faire admettre. La famille voudrait conserver le droit de vengeance particulière comme un inaliénable héritage, comme une tradition... Partout et toujours l'abolition de la vengeance privée ne pourra être due qu'à l'autorité de l'inspiration prophétique ou sacerdotale.

» La pénalité est atroce « dans l'âge théocratique, »> parce qu'elle doit avoir les caractères de l'infini, comme la Divinité qu'elle a la prétention de vouloir venger. Il en est ainsi dans toute fausse religion, et la même observation s'applique aux peuples qui professent la véritable, si le pouvoir civil, sans consulter les ministres du culte, crée et fait exécuter lui-même les lois pénales en matière de crimes religieux. Ce genre d'erreur tient à la confusion des deux pouvoirs, que le catholicisme tend plus que toute autre religion à distinguer et à séparer.

>> Dans l'âge héroïque, la pénalité est encore dure et inflexible, surtout à l'égard des serfs et des plébéiens. »

DU BOYS.

« Les pénalités du dix-huitième siècle sont horribles, et les peines sont des instruments de vengeance et de terreur. Elles sont exagérées et cruelles. La mort est prodiguée. La privation de la vie n'est pas le plus haut supplice; on a inventé la mort exaspérée : le feu, l'écartèlement, la roue, la strangulation, le knout, le glaive, l'enterrement tout vif, le sac... »

ORTOLAN.

Ces rigueurs donnent lieu aux observations qu'on va lire :

« Je vais ouvrir à vos yeux les annales du monde. Si ces sanglantes législations dont je vais parcourir les tableaux n'ont pas épouvanté les crimes; si, au contraire, ils semblent renaître avec plus de rage sous la verge de fer qui les frappe; si, d'un autre côté, les pages de l'histoire sont moins souillées de forfaits lorsque les législations dou

ces et modérées ont réglé les empires, la question, alors, sera décidée. De ce tableau comparatif et analytique résultera cette conclusion épouvantable, que, pendant des siècles entiers, le sang des hommes a coulé sur la terre comme l'eau des fleuves, sans qu'il soit résulté autre chose de ces assassinats juridiques, qu'un malheur de plus ajouté à la liste effroyable des malheurs et des fléaux dont l'homme est en tout temps, en tout lieu, la victime sans cesse renaissante.

>> Est-ce dans ces siècles horribles, est-ce sous la domination barbare de Tibere, de Caligula, etc., qu'en voyant plus de supplices, on vit moins de crimes?

» Venez, ô malheureux partisans de la sévérité, fouillez, si vous en avez le courage, ces annales épouvantables que je ne lis qu'en frissonnant! Dites-nous si alors la vertu était plus en honneur, les mœurs plus douces, les dieux plus vénérés, les biens et la vie des hommes plus respectés que sous le régime humain et doux des Titus, des Trajan ?»

CHAUSSARD.

« On peut encore observer que les lois atroces ne sont ou n'étaient qu'un reste hideux, conservé par la routine, de l'ancienne jurisprudence contre les esclaves, et cela malgré la liberté dont l'Europe se vante, malgré l'abolition de l'esclavage. Ainsi, le résultat de l'abolition de l'esclavage ne fut pas d'abolir les lois bien dures que l'on avait portées contre les esclaves, mais de les étendre aux hommes libres, pour lesquels ou plutôt contre lesquels on ne les eût jamais faites. >> LAUZE DE PÉRET.

« On exécute un criminel. Son supplice devient un spectacle pour la plupart de ceux qui y assistent; un petit nombre l'envisage avec une pitié mêlée d'indignation. Que résulte-t-il de ces deux sentiments? Rien moins que la terreur salutaire que la loi prétend inspirer... Il arrive au spectacle d'un supplice la même chose qu'au spectacle d'un drame; et comme l'avare retourne à son coffre, l'homme violent et injuste retourne à ses injustices.

» Semblable aux fluides, qui, par leur nature, se mettent toujours au niveau de ce qui les entoure, l'âme s'endurcit par le spectacle renouvelé de la cruauté. Les supplices, devenus fréquents, effrayent moins, parce qu'on s'habitue à leur horreur, et les passions, toujours actives, sont, au bout de cent ans, moins retenues par les roues et les gibets qu'elles ne l'étaient auparavant par la pri

son. Supposons deux nations où les peines soient proportionnées aux crimes; que chez l'une le plus grand supplice soit l'esclavage perpétuel, et chez l'autre la roue; j'ose avancer que chacune de ces nations aura une égale terreur du supplice au-delà duquel elle n'en connaît point. Et s'il y avait une raison pour transporter dans la première les châtiments en usage dans la deuxième, la même raison conduirait à accroître pour celle-ci la cruauté des supplices, en passant insensiblement de la roue à des tourments plus lents et plus étudiés, et enfin aux derniers raffinements de cette science barbare.

>> On ne peut nier que l'atrocité des peines ne soit directement opposée au bien public et au but même qu'elle se propose, celui d'empêcher les crimes... Plus le châtiment sera terrible, plus le coupable osera pour l'éviter. Il accumulera les forfaits pour se soustraire à la punition due à un seul, et la rigueur des lois multipliera les crimes, en punissant trop sévèrement le criminel. Les pays et les siècles où l'on mit en usage les plus barbares supplices furent toujours déshonorés par les plus monstrueuses atrocités... Ce n'est point par la rigueur des supplices qu'on prévient plus sûrement les crimes, mais par la certitude de la punition.

» Tout législateur sage doit chercher plutôt à empêcher le mal qu'à le réparer, puisqu'une bonne législation n'est que l'art de procurer aux hommes le plus grand bien-être possible et de les garantir de toutes les peines qu'on peut leur ôter, d'après le calcul des biens et des maux de cette vie.

» Mais les moyens que l'on a employés jusqu'à présent sont pour la plupart insuffisants ou contraires au but que l'on se propose.

» A quoi l'homme serait-il réduit, s'il fallait lui interdire tout ce qui peut être pour lui une occasion de mal faire? Il faudrait commencer par lui ôter l'usage de ses

sens.

» Voulez-vous prévenir les crimes? Que la liberté marche accompagnée des lumières.

» Si vous prodiguez les lumières au peuple, l'ignorance et la calomnie disparaîtront devant elles. »>

BECCARIA.

« L'expérience a fait remarquer que dans les pays où

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