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gards sur le riche, vous lui disiez, en lui offrant un siége: « Asseyez-vous ici, » et que vous disiez au pauvre : « Te»> nez-vous là debout ou asseyez-vous à mes pieds, » n'est-ce pas là faire, en vous-mêmes, une différence entre l'un et l'autre, et vous abandonner à d'iniques pensées dans le jugement que vous faites? Si vous avez égard à la condition des personnes, vous commettez un péché et vous serez condamnés par la loi comme en étant les transgresseurs.

>> Si un de vos frères ou une de vos sœurs n'a pas de quoi se vêtir et manque de ce qui lui est nécessaire chaque jour pour vivre, et que quelqu'un d'entre vous lui dise: « Allez en paix, je vous souhaite de quoi vous ga>> rantir du froid et de quoi manger, » sans leur donner ce qui est nécessaire à leur corps, à quoi serviront vos paroles? C'est par les œuvres que l'homme est justifié et non pas seulement par la foi. »

La foi, par la bouche de l'apôtre saint Jean, prescrit ce qui suit:

« C'est de Dieu même que nous avons reçu le commandement: Celui qui aime Dieu doit aussi aimer son frère. Tout homme qui n'aime point son frère n'est point de Dieu.

» Si quelqu'un a des biens dans ce monde et que voyant son frère réduit à la nécessité, il lui ferme son cœur et ses entrailles, comment l'amour de Dieu demeurerait-il en lui? » Jugez suivant l'équité. »

La foi, par la bouche de l'évangéliste saint Luc, donne ces commandements:

« A vous qui m'entendez, je vous dis: Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent.

» Bénissez ceux qui vous maudissent.

» Et à celui qui te frappe sur une joue, présente-lui aussi l'autre; et si quelqu'un t'ôte ton manteau, ne l'empêche point de prendre aussi ta tunique.

» Et à tout homme qui te demande, donne-lui; et à celui qui t'ôte ce qui t'appartient, ne le demande point. » Et comme vous voulez que les autres vous fassent, faites-leur aussi de même.

» Mais si vous aimez seulement ceux qui vous aiment,

quel gré vous en saura-t-on? Car les gens de mauvaise vie font aussi de même.

>> Et si vous ne faites du bien qu'à ceux qui vous auront fait du bien, quel gré vous en saura-t-on? car les gens de mauvaise vie font aussi de même.

»>> C'est pourquoi aimez vos ennemis et faites du bien, et prêtez sans en rien espérer, et votre récompense sera grande et vous serez les fils du Très-Haut, car il est bienfaisant envers les ingrats et les méchants.

» Et ne jugez point et vous ne serez pas jugés; ne condamnez point et vous ne serez pas condamnés. »

Que fait la loi ?

S'applique-t-elle à faire entrer dans les mœurs et dans les esprits ces idées de liberté, d'égalité, de fraternité?

Oblige-t-elle celui qui veut être le plus grand à n'être que le serviteur de tous?

Avant et par-dessus tout, de quoi se préoccupe-t-elle? Est-ce de la charité? Non, c'est de la propriété.

Dans ses prescriptions et dans ses préoccupations faitelle passer le pauvre avant le riche? Non; elle fait passer le riche avant le pauvre; elle protége l'héritage et poursuit le vagabondage; elle punit la mendicité et ne punit pas l'oisiveté; elle écrase indirectement le travail sous l'impôt, afin d'en rendre directement au patrimoine le poids plus léger.

Elle punit d'un emprisonnement de deux à cinq ans les chefs ou moteurs de coalitions d'ouvriers, et seulement d'un emprisonnement de six jours à un mois, plus une amende de 200 fr. à 3,000 fr., les coalitions formées entre les chefs d'industrie.

Partout où une révolution ne l'a pas détruit, elle maintient abusivement l'esclavage de l'homme, et je ne sa

che pas de codes où elle n'ait expressément écrit l'inégalité de la femme *.

Inégalité et légalité sont deux mots synonymes dans les dictionnaires de tous les peuples qui ont des dictionnaires.

Ce que la loi prescrit est le plus souvent le contraire de ce que la foi commande.

Montesquieu établit entre les lois humaines et la religion la distinction suivante :

« Les lois humaines, faites pour parler à l'esprit, doivent donner des préceptes et point de conseils : la religion, faite pour parler au cœur, doit donner beaucoup de conseils et peu de préceptes. >>

* CODE CIVIL FRANÇAIS :

213. Le mari doit protection à sa femme, la femme obėissance à son mari.

214. La femme est obligée d'habiter avec le mari et de le suivre partout où il juge à propos de résider.

215. La femme ne peut ester en jugement sans l'autorisation du mari.

217. La femme non commune ou séparée de biens ne peut donner, aliéner, hypothéquer, acquérir à titre gratuit ou onéreux, sans le concours du mari dans l'acte ou le consentement prescrit.

224. Dans le cas de divorce, admis en justice pour cause d'adultere, l'époux coupable ne pourra jamais se marier avec sa complice. La femme adultère sera condamnée par le même jugement, et sur la réquisition du ministère public, à la réclusion dans une maison de correction.

CODE PÉNAL :

324. Dans le cas d'adultère de la femme, le meurtre commis par l'époux sur son épouse, ainsi que sur le complice, à l'instant où il les surprend en flagrant délit dans la maison conjugale, est excusable. 337. La femme convaincue d'adultère subira la peine de l'emprisonnement pendant trois mois au moins et deux ans au plus.

339. Le mari qui aura entretenu une concubine dans la maison conjugale et qui a été convaincu sur la plainte de la femme, sera puni d'une amende de cent francs à dix mille francs.

Distinction subtile! La loi, conversion des conseils en préceptes, ne devrait être que la sanction pénale de la foi.

Montesquieu, dans le chapitre qui suit celui que je viens de citer, ajoute :

« Les points principaux de la religion des habitants de Pégu sont de ne point tuer, de ne point voler, d'éviter l'impudicité, de ne faire aucun déplaisir à son prochain, de lui faire, au contraire, tout le bien qu'on peut. Avec cela, ils croient qu'on se sauvera dans quelque religion que ce soit. »

Habitants de Pégu, vous avez raison, et je ne demande rien de plus à la justice pour qu'elle suffise à sa tâche et devienne universelle.

Mais l'Évangile lui-même ne prescrit rien de plus; que dit-il? Il dit :

« Si tu veux entrer dans la vie, garde les commandements :

>> Tu ne tueras point.

>> Tu ne commettras point d'adultère.

» Tu ne déroberas point.

>> Tu ne diras point de faux témoignage.

>> Honore ton père et ta mère et tu aimeras ton prochain comme toi-même. »>

Rien de plus simple que la justice pénale telle que je la conçois; je ne lui demande point d'inventer des tortures et des instruments de supplice qui, pour faire briller la vérité d'une lueur douteuse, font pâlir l'humanité d'une lueur sinistre; je ne lui demande point de construire des labyrinthes de procédure, sous le prétexte menteur de garanties nécessaires à la légitime défense; non, je ne demande à la justice pénale que d'être le fait judiciairement constaté, et alors il suffira, pour qu'elle devienne la justice absolue, qu'elle soit la vérité relative.

On conviendra que, si la justice humaine se bornait à n'être plus que la justice pénale, et que, si la justice pénale se bornait à n'être plus que l'enquête judiciaire et la constatation publique du fait*, elle serait singulièrement et universellement simplifiée.

Serait-il donc plus difficile d'être arbitre que d'être juré? Est-il démontré que le président d'assises, dont actuellement la fonction consiste à appliquer la peine à l'accusé ou à renvoyer le prévenu de la plainte, ne fasse pas là une chose superflue, après que le jury a prononcé le verdict de condamnation ou d'acquittement qui admet ou qui écarte l'imputation du fait?

Si la conscience publique était ce que, livrée à ellemême, elle ne tarderait pas à devenir, ne serait-elle pas de tous les juges le plus redoutable et le plus redouté? Quelles peines seraient à craindre à l'égal de son blâme, de son mépris, de son exécration, équivalant le plus souvent à l'expatriation pour cause de honte publique?

Expatriation pour cause de honte publique.- Quelle admirable peine, et comme celle-ci relèverait promptement une nation à ses propres yeux d'abord, et ensuite aux yeux de tous les autres peuples!

Je compare la justice, telle qu'elle existe généralement, à un arbre touffu dont l'épais ombrage empêche, dans l'espace qu'il couvre, toute tige qui a besoin d'air et de jour de pousser, de fleurir et de fructifier.

Dans ce cas, qu'y a-t-il à faire? — Élaguer l'arbre. Pour rendre universelle la justice, qu'y a-t-il à faire? La rendre plus simple.

« Il existe en Angleterre une juridiction spéciale appelée Cour d'équité, où l'on statue sans avoir égard aux lois et sans tenir aucun compte des conventions écrites justifiées par des contrats. >>

(L'Angleterre comparée à la France.)

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