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LIVRE SIXIÈME.

de la puissance législative et de l'exécutrice... Si elle était jointe a la puissance exécutrice, le juge pourrait avoir la force d'un oppresseur.

MONTESQUIEU. E. des L. Liv. XI, ch. v.

La puissance de juger ne doit pas être donnée à un sénat permanent, mais exercée par des personnes tirées du corps du peuple, comme à Athènes, dans certains temps de l'année, de la manière prescrite par la loi, pour former un tribunal qui ne dure qu'autant que la nécessité le requiert.

De cette façon, la puissance de juger, si terrible parmi les hommes, n'étant attachée ni à un certain état, ni à une certaine profession, devient pour ainsi dire nuisible_et nulle.

E. des L. Liv. XI, ch. vi.

Chaque année, à Rome, le préteur formait une liste ou tableau de ceux qu'il choisissait pour faire les fonctions de juge pendant l'année de sa magistrature, où il prenait le nombre suffisant pour chaque affaire. Cela se pratique à peu près de même en Angleterre, Et ce qui était très favorable à la liberté, c'est que le préteur prenait les juges du consentement des parties.

Ces juges ne décidaient que des questions de fait par exemple, si une somme avait été payée ou non ; si une action avait été commise ou non.

E. des L. Liv. XI, ch. xvI.

Il faut même que les juges soient de la condition de l'accusé, ou ses pairs, pour qu'il ne puisse pas se mettre dans l'esprit qu'il soit tombé entre les mains de gens portés à lui faire violence.

E. des L. Liv. XI, ch. vI.

Au berceau de la monarchie française, les citoyens avaient le droit d'élire leurs juges.

THOURET. Abrégé des révolutions, p. 3. Les républiques anciennes n'avaient pas de lois judiciaires pour punir les crimes et réprimer les violences.

ARISTOTE. Cilé par Vico.

Les peines sèment la guerre et la haine. Soyez donc pleins de miséricorde, comme votre père est plein de misericorde.

Je veux la miséricorde et non point le sacrifice.

Evangile.

En 1427, à Florence, lorsque l'impôt sur le capital y fut établi, toutes les peines corporelles y furent abolies.

EDGAR QUINET.

Détruisez les crimes et conservez les hommes.

THOMAS MORUS,

LA JUSTICE UNIVERSELLE.

I.

ORGANISATION JUDICIAIRE.

La justice humaine, qui tient dans ses mains une balance et un glaive, n'y doit plus tenir qu'une balance. Elle doit peser; elle ne doit plus frapper. L'infaillibilité seule possède ce droit suprême. Or, la justice humaine, qui a condamné Jésus à mourir crucifié, peutelle se croire et se prétendre infaillible? La justice humaine, ce jour-là, n'a-t-elle pas signé à jamais la condamnation de la justice pénale?

Constater le fait, sans même qu'il dût être besoin de le qualifier délit ou crime, c'est punir le coupable, car c'est le vouer, selon l'indulgence ou la rigueur des temps et des pays, au blâme, au mépris ou à l'exécration. La peine ne doit pas aller au-delà ni rester en deçà. Alors le châtiment du crime commis, c'est le crime constaté; le bourreau du criminel, c'est le criminel luimême. Le magistrat reçoit contradictoirement les témoignages contraires et les pèse; dès qu'il les a pesés, sa mission est remplie, son œuvre est terminée; il a constaté le fait, il n'a pas condamné l'homme, L'homme

n'est plus jugé par l'homme; l'homme n'a plus d'autres juges que sa conscience, son pays et son siècle. Si le fait qui lui a été imputé lui a été imputé à tort, si les témoins ont menti, si le magistrat s'est trompé, la vérité est là qui conserve tous ses droits, sans que la justice en ait rien à redouter; car alors la vérité qui se manifeste est à la justice qui se revise ce qu'un arrêt d'une cour d'appel est au jugement d'un tribunal de première instance.

Quel arbitre plus désintéressé et moins suspect que le siècle où vit l'accusé?

Si ce siècle se trompe, qui aura la prétention d'être plus que lui infaillible et de lui imposer ses arrêts? Je le demande.

Telle justice pénale, telle justice civile.

Réformer la justice pénale d'un siècle ou d'un pays, c'est donc en réformer implicitement la justice civile. Rigoureusement et logiquement, la justice civile ne devrait point exister comme justice publique, car l'État, être abstrait et collectif, ne devrait intervenir que pour régler ce qui est essentiellement indivisible, conséquemment indivis, nécessairement collectif et exclusivement public.

Il ne devrait y avoir de justice d'État qu'à l'égard de ce qui se rapporte à l'État.

Juges de paix, juges d'appel, juges de cassation, ne devraient prononcer qu'en matière publique de contraventions, de délits, de crimes, de forfaitures, et point en matière privée de contestations civiles ni commerciales.

Toute contestation entre particuliers devrait être vidée par arbitre le plus indépendant, ce qui veut dire le plus désintéressé, qu'il fût incontestablement possible de choisir.

Chacun étant ainsi exposé à être tour à tour arbitre

et partie, l'esprit de justice, par l'instinct de réciprocité, ne tarderait pas à devenir moins rare et à entrer plus communément dans les mœurs et dans les transactions, dans les contrats et dans les consciences.

La justice mutuelle serait alors le premier degré de la justice universelle.

Ce degré franchi, le plus difficile serait accompli.

Rien ne nuit plus à la maturité de l'esprit de justice parmi les hommes que cette superstition de la justice, qui les habitue trop généralement à se considérer comme des mineurs assujettis à une tutelle judiciaire et à ne consulter que la jurisprudence, jamais la justice; que le droit, jamais l'équité; que la procédure, jamais la conscience. Rien n'est plus contraire au sens moral, rien ne contribue plus activement à le pervertir, à l'étouffer. Lorsque, par la tortueuse habileté d'un avoué retors ou l'heureux choix d'un avocat célèbre, on a gagné un procès qu'on savait être inique, eût-on spclié une veuve, eût-on ruiné des orphelins, eût-on empêché un père de légitimer ses enfants naturels ou de les adopter, tout scrupule, tout remords est banni par ces mots : « Cela ne me regarde pas, cela regarde les juges qui ont prononcé. » L'excès de justice et l'insuffisance de morale se tiennent, comme la cause précède l'effet.

La justice universelle, c'est la justice absolue; c'est la justice n'ayant qu'une mesure et qu'un poids pour tous les peuples, faibles ou forts; pour tous les individus, pauvres ou riches; pour tous les âges, enfance et adolescence, maturité et vieillesse; pour les deux sexes, hommes et femmes; c'est la justice renonçant à n'être qu'un vain symbole pour devenir une vérité appliquée ; la justice universelle enfin, c'est la balance séculaire.

Qu'il n'y ait pour tous qu'une seule balance, comme il n'y a pour tous qu'un soleil qui éclaire successive

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