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se quittent. S'ils se conviennent, ils ne se séparent point. Rien de plus simple et de plus juste. Séparezvous donc quand vous êtes associés et que le dissentiment s'est glissé entre vous! Le moyen d'établir un compte de liquidation équitable. La Corporation a tous les avantages que n'a pas l'Association. La Corporation abrite l'individu contre toute exploitation abusive de l'homme par l'homme; elle protége le travail contre le capital et le capital contre lui-même, puisqu'elle marque à la concurrence non le point d'arrivée mais le point de départ. Elle seule peut adopter des mesures efficaces pour rendre insensibles les effets du chômage et inutiles les menaces de grève; elle seule, enfin, peut faire de ces paroles une vérité *: «Le principe d'association plus largement appliqué » doit régénérer le monde; en lui est le problème de » l'avenir. Mais là s'arrête l'hypothèse la formule » manque à la réalisation. » En effet, qu'est-ce que la Corporation, sinon l'Association élevée à sa plus haute puissance? La Corporation, c'est la nation professionnelle au sein de la nation territoriale. Aussi mon avis est-il que chaque corporation se grossisse en réunissant en faisceau toutes les industries qui ont de l'analogie entre elles, toutes les industries de la même famille, toutes celles qui mettent en œuvre la même matière ou qui se servent des mêmes instruments de travail, toutes celles, enfin, qui sont à la Corporation ce que les membres sont au corps, ce que les petits ruisseaux sont aux grandes rivières. Ce serait un moyen de faire disparaître certaines causes de chômage qui n'existent que parce que certaines industries sont trop. morcelées. Un exemple va faire comprendre ma pensée l'hiver, le maçon des villes est condamné à vivre

* Proudhon, 20 juillet 1850.

de son épargne au lieu de vivre de son travail; c'est pendant l'hiver, au contraire, que les fumistes qui ont chômé l'été sont le plus occupés. Le maçon ne pourrait-il être fumiste, le fumiste ne pourrait-il être mæ çon ? Le chômage est un risque; comme tous les risques, il peut être, par l'étude approfondie de ses causes, considérablement diminué. Que de risques ont déjà disparu, uniquement parce qu'on s'en est rendu exactement compte et qu'on a porté la lumière où régnait l'obscurité! Ce que la précieuse invention de la lampe Davy a réalisé dans l'ordre physique, il faut le réaliser dans l'ordre moral.

Il n'y a pas lieu de craindre que les Corporations deviennent trop puissantes: plus elles seront puissantes, moins elles seront multipliées; moins elles seront nombreuses, et plus elles seront modérées dans leurs exigences; car en groupant ainsi des intérêts divers, ces intérêts se feront équilibre entre eux et tendront à composer une juste moyenne. Ce ne sera pas seulement une manière d'éteindre beaucoup de rivalités, ce sera aussi le moyen de diminuer considérablement frais, risques et peines.

Je viens d'exposer sommairement l'avantage que présenterait, au point de vue du travail et des travailleurs, l'existence des Corporations; il me reste maintenant à montrer l'avantage qu'elles offriraient au point de vue de la liberté des peuples.

En adoptant pour la Commune, pour l'État, pour la Corporation, pour chaque corps d'association, le même mode de constitution, le même centre de gravité, le même axe de rotation, qu'ai-je cherché? J'ai cherché à tirer du chaos social toutes les forces qui s'y trouvent afin qu'elles se fassent réciproquement contrepoids et se tiennent toutes par elles-mêmes en parfait équilibre.

C'était avec raison que Napoléon, premier consul, disait au conseil d'État :

« Je vois bien un pouvoir législatif et un pouvoir administratif; mais le reste de la nation, qu'est-ce? Des grains de sable. Il faut jeter dans le sol des blocs de granit sur lesquels nous élèverons un nouveau système. >>

Par l'indépendance des Communes et l'existence des Corporations se protégeant mutuellement, l'État, si considérable que soit la force armée mise à sa disposition, est contenu dans son orbite sans qu'il y ait désormais lieu de craindre qu'il en puisse sortir. Audessus de l'État, au-dessus des Communes, au-dessus des Corporations plane la Justice, qui n'est elle-même que la première et la plus puissante des corporations, parmi lesquelles elle occupe le rang qu'occupe le soleil parmi les planètes, qui ne luisent qu'en réfléchissant sa lumière. Dans cet ordre d'idées, les cultes et les universités redeviennent ce qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être, de libres corporations vivant chacune des fruits de ses travaux et de ses épargnes; de leur côté également, les lettres et les arts se constituent, soit en deux corporations distinctes, soit en une seule corporation représentant la pensée humaine en toutes choses où elle brille par l'individualité des œuvres.

Grouper tous les intérêts identiques, séparer tous les intérêts distincts, agréger, enfin, sous le nom de Corporation, de Commune et d'État toutes les molécules de chaque corps: - telle est la loi des mondes dans l'ordre social comme dans l'ordre physique. J'imite et je n'invente pas.

LIVRE CINQUIÈME.

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