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qu'aux jours de la vieillesse qu'on doit prévoir; de subvenir, par un excédant indispensable, aux indispensables frais de trois enfants, au moins, et souvent de quatre enfants, qui demandent du pain et auxquels il faut en donner jusqu'à l'âge où ils pourront eux-mêmes gagner de quoi se nourrir. Si, pour ne citer qu'un seul exemple, les filateurs français étaient constitués en Corporation et que les filateurs anglais le fussent pareillement, rien ne serait donc plus facile à concevoir, rien ne serait donc plus facile à exécuter que l'accord entre les deux Corporations de filateurs, la Corporation française et la Corporation britannique.

Elles se mettraient en relations l'une avec l'autre, au moyen de délégués plénipotentiaires qu'elles accréditeraient, comme les nations se mettent en relations entre elles au moyen de plénipotentiaires qui reçoivent soit le titre de ministres, soit celui d'envoyés. Elles règleraient les conditions des tarifs et arrêteraient le taux des salaires. Cela fait, un champ assez vaste resterait encore à la concurrence et au capital puisqu'ils auraient à se mouvoir dans les larges limites de l'achat des matières à ouvrer, du perfectionnement des procédés et des machines à employer, des débouchés à étendre ou à découvrir, etc., etc. Tel que je le comprends, le rôle des Corporations serait aussi simple que m'a toujours paru compliqué et secondaire le rôle des Associations. Corporations et Associations sont deux termes qu'il ne faut pas confondre; il existe entre eux autant de différence qu'il y en a entre un entier et une fraction.

Par Associations, j'entends les réunions de travailleurs où le patron et sa volonté sont remplacés par un gérant élu et par un règlement voté. Ces Associations accumulent, comme à plaisir, les difficultés et ne résolvent, en réalité, aucun problème. Elles sont impuissantes à prévenir et à réprimer l'abaissement du salaire; elles

subissent la loi du marché et ne la lui dictent pas. Elles ont tous les désavantages: elles louent plus cher l'argent dont elles ont besoin, et le profit qu'elles comptaient réaliser par la suppression du patron, s'évanouit sous la forme d'escompte. L'unité leur manque; or, sans unité point de liberté effective, point de responsabilité directe, point de spontanéité dans la conception, point de rapidité dans l'exécution. Le patron qui agit à ses risques et périls peut faire hardiment la part de la perte aussi large que celle du gain; le gérant qui agit aux risques et périls d'une Association, toujours ombrageuse, est forcément condamné à la timidité, car il ne peut ni ne doit rien donner au hasard.

Il y a deux manières d'assurer au travailleur un salaire qui soit la juste rémunération de son travail, et qui tienne compte de la valeur de l'homme : par voie de réglementation ou par voie de liberté.

Par voie de réglementation, c'est l'État qui s'impose. Par voie de liberté, c'est la Corporation qui s'administre.

Dans l'ordre de choses qui admet à tout propos et hors de propos l'immixtion de l'État, qu'aurait-on à objecter contre un décret, une loi ou un règlement qui se fonderait sur les motifs ci-après :

Attendu :

Qu'il a été reconnu que l'insuffisance des salaires est l'une des causes les plus générales de l'indigence parmi les individus valides *;

Qu'il est incontestable que la rétribution du travail est abandonnée au hasard ou à la violence **;

Que le bas prix des salaires est un des plus grands vices

* Circulaire du 6 août 1840, adressée par le ministre de l'intérieur aux préfets.

** L.-N. Bonaparte.

de l'ancien monde; qu'on ne peut pas appeler heureuse une société où, par la modicité et l'influence des salaires, les salariés ont une subsistance si bornée que, pouvant à peine satisfaire leurs premiers besoins, ils n'ont le moyen ni de se marier, ni d'élever de famille, et sont réduits à la mendicité aussitôt que le travail vient à leur manquer ou que l'âge et la maladie les forcent à manquer de travail; que l'insuffisance des salaires est une cause de décadence pour une manufacture, comme le haut prix est une cause de prospérité *;

Que la simple équité exige que ceux qui habillent, nourrissent et logent le corps de la nation aient dans le produit de leur propre travail une part suffisante pour être euxmêmes passablement nourris, vêtus et logés; que le prix réel de chaque chose, ce que chaque chose coûte réellement à celui qui veut se la procurer, c'est le travail et la peine qu'il faut s'imposer pour l'obtenir; que le travail a été le premier prix, la monnaie payée pour l'achat primitif de toutes choses **;

Que l'exemple de ces classes d'individus qui se soumettent sans se plaindre à la réduction de leurs salaires, qui se contentent de gagner simplement de quoi satisfaire à leurs premiers besoins, ne doit jamais être offert à l'admiration ni à l'imitation du public; que les intérêts de la société bien compris exigent que les salaires soient aussi élevés que possible; que les salaires réduits sont la cause de cette apathie et de cette incurie qui se contentent de la satisfaction des premiers besoins animaux ***;

Que le salaire est le revenu du pauvre; qu'en conséquence il doit suffire non-seulement à son entretien pendant l'activité, mais aussi pendant la rémission du travail; qu'il doit pourvoir à l'enfance et à la vieillesse comme à l'âge viril, à la maladie comme à la santé et aux jours de repos nécessaires au maintien des forces, ou ordonnés par la loi ou le culte public comme aux jours de travail

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Que le travailleur qui n'a pas par devers lui des fonds

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de compensation ou de revenu autre que son travail actuel ne peut se faire associé, parce qu'il mourrait de faim en attendant la réalisation du produit *;

Que le taux des salaires n'est pas réglé par les subsistances; que dans les temps de disette on voit une concurrence de misère, réduite à s'offrir avec anxiété pour le plus vil salaire, et que cependant la classe qui vit de salaires forme les trois quarts de la population; que s'il existait une propriété qu'on dût respecter plus encore que les autres, ce serait celle des hommes qui ne possèdent que leurs bras et leur industrie; que gêner leur travail, c'est leur ôter les moyens de vivre; qu'un tel vol est un assassinat **;

Que la détresse des peuples se reconnaît toujours à l'inégalité des charges, à la distribution vicieuse des profits du travail et à la prédominance de quelques castes ingénieuses à placer les abus sous la protection des lois ***;

Que le travail porte toute la charge de la guerre industrielle; qu'il perd nécessairement de toutes manières et qu'il perd seul; que les ouvriers demandent du travail et du pain; du travail, qui est chaque jour plus difficile; du pain, qui est chaque jour plus cher ****;

Que le prix naturel du travail est celui qui fournit aux ouvriers, en général, les moyens de subsister et de perpétuer leur espèce sans accroissement ni diminution *****;

Que si les salaires avaient un taux fixe et nécessaire, ce taux ne pourrait être déterminé invariablement que par le prix des objets indispensables à la vie; qu'il est de toute évidence que les salaires ne se règlent pas sur les besoins réels des ouvriers, puisque le prix élevé des denrées alimentaires est sans action favorable sur eux; que la disette coïncide le plus souvent avec une réduction de salaire et même avec le chômage; que la cherté des subsistances arrête ordinairement la demande d'un

* Rossi.

** Droz.
*** Blanqui.

**** Wolowski.

***** Ricardo.

travail qui est plus offert, à moins que la spéculation ne veuille profiter de la cherté des vivres pour imposer aux ouvriers une réduction de salaire contre laquelle la faim ne leur permet pas de se défendre *;

Que ce qui engendre le déficit, ruine à la fois maîtres et salariés, c'est l'inégalité entre le produit livré et le salaire reçu **;

aux

Que l'homme parvenu à l'âge mur doit se suffire, nonseulement à lui-même, mais suffire aux besoins de sa femme, de ses enfants, de son père et de sa mère besoins de sa femme, pour qu'elle le soigne à son tour dans les moments de chagrin et de maladie; à ceux de ses enfants, pour qu'ils lui rendent ces soins plus tard aux jours de sa vieillesse; à ceux de ses parents, enfin, pour acquitter la dette qu'il contracta envers eux au temps de son enfance ***;

Que le salaire d'un ouvrier doit comprendre, pour être suffisant : 1o Ce qu'il faut pour vivre dans le milieu où l'ouvrier se trouve et veut rester, sans monter ni descendre dans l'échelle sociale; 2° l'entretien et le renouvellement de ses outils; 3 l'amortissement du capital employé par ses parents, avec lequel il peut alimenter son enfant qui le remplacera un jour dans la société; en admettant par hypothèse que sa compagne se suffise à ellemême; 4o le déchet de sa vieillesse, c'est-à-dire de quoi parfaire à ses besoins au fur et à mesure que l'âge engourdira ses membres, et de quoi les satisfaire en entier, le jour où il sera obligé de cesser le travail et de chercher un abri, soit dans un établissement de retraite, soit dans une famille, soit partout ailleurs que dans un hôpital ou un dépôt de mendicité; toutes ces circonstances peuvent se présenter et doivent entrer dans ses calculs, s'il est luimême charitable et s'il ne veut pas se mettre à la charge de ses semblables; 5o un produit net de son travail, avec lequel il augmente sa famille ou son bien-être, avec lequel il soutiendra sa mère ou son vieux père, avec lequel il fera la charité à ses semblables, avec lequel il montera

* Buret.

** Proudhon.

*** Thiers.

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