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encore ces qualités naturelles, Il était fait pour s'entendre avec les orientaux. Ce monstre, dont Orose dit avec mépris « mutilus, lævis in fronte povóplaλuos,» avait répandu une hérésie favorablement accueillie par les Grecs. Jean, évêque de Jérusalem, fut complétement séduit. Saint Augustin, d'abord charmé, lui donna pour un temps son amitié « nam et nos... dileximus (1), » puis il le combattit de toutes ses forces et triompha de lui. C'était une nouvelle victoire de l'Occident sur les tendances philosophiques et rationalistes de l'Orient, manifestées cette fois par un moine hibernien. Saint Jérôme s'éloigna de lui, il n'avait pas tardé à reconnaître dans ses doctrines des opinions analogues à celles d'Origène. Tant il est vrai que l'église bretonne avait ses origines au sein de l'église grecque,

On reconnaîtra sans peine l'influence de l'hellénisme dans le retour subit d'opinion qui releva presque Pélage au moment où ses ennemis le croyaient à jamais abattu. Le pape Innocent mourut, ce fut Zozime qui lui succéda. Il était grec de naissance, et il prit hautement d'abord le parti de Pélage; il blâma ceux qui l'avaient traité d'hérétique. Mais bientôt il changea de conduite, condamna les erreurs du moine Hibernien et de ses fauteurs. Les évêques pélagiens furent déposés de leurs siéges en Italie, et on laissa l'un d'eux, Julien d'Eclanum, exhaler inutilement des plaintes où il disait: « On enlève aux églises le gouvernail de la raison pour que le dogme populaire navigue à pleines voiles (2).

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Parmi les défenseurs des mystères de la Grâce, il faut citer Marius Mercator comme très-versé dans la connaissance de la langue grecque. On croit qu'il était d'Afrique; en 418 il était à Rome et composa contre Julien et les autres chefs pélagiens un ouvrage qu'il

(1) Epist. 105.

(2) Wigger. Versuch einer pragmatischen Darstellung der Augustinianismus und Pelagianismus, t. I, p. 209, cité par Ampère, t. 11, p. 16.

envoya à Saint Augustin. En 421, il était à Constantinople, et, trouvant là les pélagiens chassés d'Occident, groupés auprès de Nestorius, il écrivit contre eux. Ce qui nous intéresse davantage, c'est qu'il traduisit du grec en latin quelques écrits de Théodore de Mopsueste, pour prouver que ce maître commun des Pélagiens et des Nestoriens avait été un homme très-dangereux. Mercator travailla aussi avec zèle contre l'hérésie de Nestorius, il traduisit en latin les anathèmes de Saint Cyrille et ceux de Nestorius qu'il réfuta. Il mit également en latin la sixième session du concile d'Ephèse et plusieurs autres pièces importantes. Il vécut jusqu'à l'an 449. De pareils ouvriers n'étaient pas moins utiles à l'Eglise que les grands docteurs qu'elle ne cessait d'enfanter. Puisque toute doctrine devait être présentée au jugement de l'évêque de Rome, n'était-il pas avantageux qu'il y eut à ses côtés des interprètes habiles à déchiffrer les écrits des Grecs? (')

IX.

Et toutefois la pénurie de ces hommes va se faire sentir. A Rome l'on s'éloigne chaque jour davantage des études helléniques, et les papes seront bientôt réduits à demander au dehors des hommes éclairés. On en vit bien un exemple lorsque le pape Célestin reçut de Nestorius une lettre écrite en grec et quantité d'autres pièces qui contenaient ses doctrines. Dans l'ignorance où il était lui-même de cette langue, et ne trouvant autour de lui parmi ses clercs latins personne qui pût

D. Ceillier, t. 13.

(1) V. sur Mercator, Tillemont. Mém. ecclés. t. 15. Il se rendit habile, non-seulement dans la langue latine, mais aussi dans la grecque. Car il fit des écrits importants en grec (t. I. p. 5.) et presque tout ce que nous avons de lui, sont des pièces grecques qu'il a traduites en latin... on voit... qu'il possédait assez bien les auteurs profanes. (T. 15, p. 137.)

venir au secours de son inexpérience, il fit appeler de Marseille un moine, Jean Cassien, qui savait parfaitement le grec et d'ailleurs était fort savant en théologie. Jean, surnommé Cassien, était, à ce qu'il paraît, d'origine provençale ('), quoique l'auteur de l'Abrégé de l'Histoire ecclésiastique, déjà cité plusieurs fois, le fasse venir de la Thrace (). Il naquit en 360 et mourut en 440. Il fut d'abord élevé parmi les moines de la Palestine et de l'Egypte. Ses parents l'obligèrent de s'appliquer aux lettres humaines. Il a raconté luimême quelle impression avait faite sur lui cette première éducation où dominaient les préoccupations littéraires. « La lecture continuelle, dit-il, des auteurs profanes, que nos maîtres nous ont tant pressés de faire autrefois, a tellement rempli mon esprit, qu'étant infecté de ces poésies, il ne s'occupe que de fables, que de combats et des autres niaiseries dont je me suis entretenu dans ma jeunesse. C'est pourquoi, lorsque je veux gémir devant Dieu à la vue de mes péchés, tantôt des vers d'un poète me reviennent dans l'esprit, tantôt les images des combats de ces héros fabuleux frappent si vivement mon imagination que mon âme ne peut plus s'élever jusqu'à Dieu, ni se délivrer de ces fantômes, malgré les larmes que je verse. »

Cassien eut, comme Saint Jérôme, une crise intellectuelle. Il renonça aux études profanes et se retira parmi les solitaires. Il s'enfonça dans l'Egypte avec un compagnon nommé Germain, qui était du même pays que lui et peut-être son parent. Il visita les déserts les plus reculés de la Thébaïde et connut de près les hommes dont il avait entendu raconter tant de grandes choses.

Au commencement du cinquième siècle, nous le retrouvons à Constantinople; il reçoit les leçons de Saint

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Jean Chrysostome, et, par lui, il est élevé au rang de diacre. On pense qu'il fut fait prêtre à Marseille, où il passa les dernières années de sa vie : c'est là que Saint Léon, le premier des diacres de Rome, alla le chercher pour interpréter la lettre de Nestorius et combattre en faveur de la doctrine catholique.

Cassien est encore célèbre par ses Institutions monastiques, c'est-à-dire qu'à la demande de Saint Castor, évêque d'Apt, il rédigea la règle qu'il avait vu pratiquer aux moines de la Palestine et de l'Egypte, et qu'il faisait lui-même observer dans son monastère de Marseille. Il écrivit de même les conférences spirituelles qu'il avait eues avec les anachorètes de Sceté. Il le fit pour former des anachorètes et les élever à la contemplation et à la pratique de l'oraison continuelle. Ainsi Cassien contribuait à fortifier dans le midi de la Gaule l'esprit oriental, qui n'avait jamais cessé d'y régner mêlé à l'usage de la langue grecque.

Il faut reprendre les choses d'un peu plus haut. M. Egger, dans son Histoire de l'Hellénisme en France, a résumé dans sa deuxième leçon, consacrée à Marseille et à ses Colonies (1), toutes les preuves qui établissent l'influence du génie grec dans cette ville ancienne de la Gaule. Nous ne reprendrons donc pas ici tous les témoignages qui concernent les années antérieures à l'introduction du christianisme dans les Gaules. L'édition marseillaise de l'Iliade d'Homère, exdoσiç MaσoaλTix, les témoignages de Strabon, le grand nombre d'hommes instruits dans toutes les sciences qui sont venus de Marseille en Italie, une inscription grecque qui nous montre Marseille pourvue d'un gymnase dont l'organisation rappelle exactement celle du gymnase d'Athènes, l'épitaphe d'un grammairien romain γραμματικὸς ρωμαϊκός, les types élégants et variés des

(') P. 23 et suivantes.

monnaies marseillaises, tous ces détails diligemment recueillis et habilement commentés par le savant helléniste, ne permettent pas de douter que, dans les temps rapprochés de l'ère chrétienne, Marseille ne possédât une littérature fort riche, où le grec avait une large place à côté du latin.

Il est à regretter que cette littérature grecque ait péri tout entière sans laisser de traces appréciables. Il est certain pourtant qu'elle s'était répandue, non-seulement dans les cités les plus voisines, filles de Marseille, Nîmes, Aix, Saint-Remi, Orange et Arles; mais encore elle avait pénétré à l'ouest, jusqu'à Bordeaux, au nord, jusque dans Trèves, où de florissantes écoles en conservèrent longtemps la tradition et l'enseignement. Autun (1) était également célèbre par ses écoles; la capitale des Arvernes, aujourd'hui Clermont-Ferrand, entretenait des artistes grecs et les payait généreusement, tel était Zénodore, qui fit pour elle la statue colossale de Mercure, au temps de Néron. Des fouilles récentes, entreprises sur le Puy-de-Dôme ont mis hors de doute les assertions de Pline l'ancien sur cette merveille de l'art païen transportée dans la plus hérissée de toutes nos provinces. Faut-il s'étonner après cela qu'à Avenche, sur le territoire de la Suisse, les écrivains de l'Histoire littéraire de la France, aient trouvé la mention d'un Claudius, qui a traduit de grec en latin les Annales romaines de Caïus Acillius (22).

(1) On l'appelait la Rome Celtique :

Celtica Roma dein voluit cæpitque vocari.

(Vit. Germani, authore Herrico. Spicileg. D'Achery.) Les écoles de cette ville s'élevaient entre le temple d'Apollon et le Capitole. Sur les murs, on avait peint des cartes géographiques. Tacite en parle en ces termes : « Nobilissimam Galliarum sobolem liberalibus studiis ibi operatam. >> Ann. liv. III, ch. 43. Eumène, qui y prononça en 296 le panégyrique de Constance-Chlore, accepta une somme de 25,000 francs comme appointements; puis il demanda la permission de les appliquer à la restauration des écoles de cette ville. Ampère. t. I, p. 200,

(2) Histoire littéraire de la France. t. I, p. 132, 134, 135, 138.

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