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RECHERCHES ET CONJECTURES

SUR

DIOPHANE ET BLOSSIUS

OUVRAGE ÉCRIT EN GREC ACTUEL, PAR M. MARC RÉNIÉRIS (').

L'association pour l'encouragement des Études grecques en France, fondée à Paris en 1867, a eu pour effet immédiat de resserrer étroitement nos rapports intellectuels avec la Grèce moderne. Les hellènes se sont empressés de concourir par des dons et des souscriptions au succès de cette œuvre. Athènes et Constantinople nous ont envoyé un nombre considérable de confrères, tous très-sympathiques et très-généreux. M. Zographos a fondé un prix de 1,000 francs qui se décerne chaque année à l'ouvrage le mieux en rapport avec le but que poursuit la Société. Tous les ans, il nous arrive, soit à titre d'hommage, soit pour concourir aux prix proposés, un bon nombre d'ouvrages écrits en grec, publiés en Grèce, dont la connaissance aurait pu nous échapper, ou rester dans un cercle moins étendu. C'est ainsi que nous avons connu les utiles et précieux travaux de M. Balettas, une histoire fort savante de la langue grecque de M. Maurophridis, les recherches intéressantes de M. Sathas sur le moyen âge en Grèce, des discours, tels que ceux de M. Basiadis, et de

(1) Περὶ Βλωσσίου καὶ Διοφανοῦς ἔρευναι καὶ ἐικασίαι Μάρκου Ρενιέρη, in-8°, ἐ Λειψία, 1873.

M. Karapanos. Je ne peux pas oublier non plus l'Histoire de la Grèce, si complète, si sagement critique, si profondément érudite de M. Paparigopoulos.

C'est à titre de membre de cette association que j'ai reçu moi-même, une étude de M. Marc Réniéris, écrite en grec, ayant pour objet des recherches et des conjectures sur Blossius et Diophane, un philosophe et un rhéteur grecs; celui-ci professeur d'éloquence des deux Gracques, celui-là leur conseiller, leur inspirateur, leur confident dans les entreprises qu'ils tentèrent; tous les deux, unis au sort de Tibérius, et victimes, ainsi que lui, de la colère de ses ennemis.

Cicéron ne nous avait pas laissé ignorer les noms de ces deux grecs établis à Rome. C'est de l'un d'eux qu'il a dit, dans son dialogue intitulé Lælius, ou de Amicitia: « C. Blossius Cumanus, hospes familiæ vestræ, Scœvola, quum ad me, qui aderam Lænati et Rupilio consulibus in consilio, deprecatum venisset, hanc, ut sibi ignoscerem, causam afferebat, quod tanti Tib. Gracchum fecisset, ut, quidquid ille vellet, sibi faciendum putaret. Tum ego: Etiamne, inquam, si te in Capitolium faces ferre vellet? — Numquam, inquit, voluisset id quidem. Sed, si voluisset? Paruissem.” Videtis, quam nefaria vox. Et Hercle ita fecit, vel plus etiam quam dixit: non enim paruit ille Tib. Gracchi temeritati, sed præfuit; nec se comitem illius furoris, sed ducem præbuit, itaque hac amentia, quæstione nova perterritus, in Asiam profugit, ad hostes se contulit, pœnas reipublicæ graves justasque persolvit (1).

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Nous avons là un jugement grave et sérieux sur le rôle de Blossius auprès de Tibérius Gracchus. Dans son second discours sur la loi agraire, Cicéron le reproduit encore, d'une manière plus fugitive, mais non moins forte: « Quem hominem (Considium) Vegrandi macie

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torridum, Romæ contemptum (atque) objectum videbamus, hunc Capua Campano supercilio ac regio spiritu cum videremus, Magios, Blossios mihi videbar illos videre, ac Jubellios (). » Il n'y a pas à s'y méprendre. On voit ce que Cicéron pensait de l'influence de Blossius sur le célèbre tribun, il le range parmi les plus implacables ennemis de Rome.

Quant à Diophane, le même orateur le désigne comme un rhéteur fort éloquent, un maître de mérite, puisqu'il forma les deux tribuns auxquels il ne refuse pas lui-même la gloire d'avoir porté la parole à un très-haut degré de puissance et de perfection: « fuit Gracchus diligentia Corneliae matris a puero doctus, et Græcis litteris eruditus. Nam semper habuit exquisitos e Græcia magistros, in eis jam adolescens Diophanem Mitylenæum, Græciæ, temporibus illis, dissertissi– mum (2).

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Presque au début de la vie de Tibérius Gracchus, Plutarque écrit ceci : « Tibérius, élu tribun du peuple, reprend le projet de Lélius, à l'instigation, disent la plupart des historiens, du rhéteur Diophane et du philosophe Blossius. Diophane était un banni de Mitylène: Blossius, né à Cumes, en Italie, avait été intimement lié à Rome avec Antipater de Tarse, qui l'avait honoré de la dédicace de plusieurs de ses traités philosophiques (3). »

Tels sont à peu près tous les renseignements que l'histoire nous transmet sur ces deux hommes, en les recueillant, M. Réniéris a voulu les développer, les étendre et les confirmer. Il s'est appliqué à rechercher tout ce qui pouvait mettre davantage en lumière ces deux maîtres des Gracques, et mieux faire comprendre

(1) De Lege Agrar, II, 34.

(2) Brut. 37. 104.

(3) Tibérius Gracchus, ch. VIII.

la nature de leur rôle auprès de Tibérius; mieux expliquer aussi le dessein et les intentions du fameux tribun. M. Réniéris fait observer que le nom de Gracchus reste à jamais le synonyme du factieux et du démagogue éloquent; il en fut ainsi dans Rome au temps même de sa tentative; c'était naturel, le réformateur qui blessait toutes les aristocraties, celle des municipes, celle des chevaliers, celle du sénat romain, ne pouvait que recueillir des imprécations, et sa mémoire devait être honnie. Cicéron a consacré ces malédictions. Juvénal, longtemps après lui, a fait ce vers tant de fois cité :

Quis tulerit Gracchos de seditione querentes. »

Les Grecs seuls, Plutarque et Appius l'ont jugé avec plus d'indulgence. Ils ont préparé l'opinion de Niebuhr et celle de quelques modernes, qui ne voient plus aujourd'hui dans le fils de Cornélie qu'un citoyen comme O'Connel, se dévouant à la défense d'une classe dont les intérêts étaient oubliés ou méconnus par une aristocratie opulente.

Quoique M. Réniéris raconte avec vivacité l'histoire de Tibérius, qu'il mette sous nos yeux les grandes scènes du Forum, avec l'éclat d'un style très-animé, il ne s'agit pas pour lui de rehabiliter le tribun: l'objet de son travail est autre. L'auteur veut nous montrer ce que deux Grecs ont pu donner de conseils singuliers à un jeune homme qu'ils avaient élevé et qu'ils continuaient à diriger; comment la philosophie, venue de la Grèce, est entrée dans les plans du tribun pour les régler, les fortifier, les ennoblir.

La philosophie grecque, en général, a toujours tendu à fonder les constitutions des peuples et à gouverner les États. Les Cyrénéens demandaient des lois à Platon :

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