Imágenes de página
PDF
ePub

dèrent dans ses entreprises et lui prêtèrent une puissante assistance. C'est avec eux que Stéfan battit près d'Acheloüs, Cantacuzène uni aux Turcs. La prospérité des Buas n'était pas attachée pourtant à celle des Serbes. Ils se rendirent redoutables à leurs maîtres, quand des successeurs plus faibles eurent remplacé Douschan. Jean Buas, en Albanais Kionès, et, par abréviation, Kinos, fut le plus puissant de sa race. Il a rendu célèbre le surnom de Spathas qu'il porta. En 1374, il s'empare d'Arta; en 1330, il ravage le territoire de Janina, il se rend maître de Naupacte, épouse la fille de Thomas, roi de Serbie, successeur de Stéfan. Celui-ci implore contre Spathas le secours des Turcs, meurt dans une bataille et laisse sa veuve exposée aux attaques du redoutable abbanais. En vain, Esau Buondelmonte, qui a épousé la veuve de Stéfan, se marie en secondes noces avec la fille de Spathas, il ne peut désarmer son beau-père. Bajazet, qu'il appelle à son aide, ne lui est pas d'un plus grand secours. Spathas lui fait essuyer une défaite. Le roi lui-même, tombé aux mains du second gendre de Spathas, ne doit sa liberté qu'à l'intervention de la ville de Florence.

Enfin, la mort seule put dompter cet infatigable aventurier. Le 29 octobre 1400, il mourut, laissant à sa famille la possession d'Arta, d'Acheloüs et de Naupacte. Cette sorte de royaume, fondé par la violence, ne dura pas longtemps. La famille des Buas fut dépouillée d'Arta par l'albanais Bonkoès, d'Angelocastron par Charles de Tocco, et Paul Buas céda Naupacte aux Vénitiens pour une somme de 500,000 ducats.

Maurice demeurait encore maître d'Arta et de Wonitza; Charles de Tocco à sa mort s'en empara. Expulsé de l'Albanie, les Buas se réfugièrent à Constantinople et les empereurs employèrent leur courage à défendre certaines places dans le Péloponèse. Cette partie de la

Grèce devait bientôt elle-même tomber aux mains des Turcs. Ce fut alors que trois frères de cette même famille, avec un nombre d'hommes qui allait à peu près à mille, passèrent dans Nauplie, possédée par les Vénitiens et servirent sous l'étendard de Saint-Marc.

La dispersion des Grecs en Europe n'y répandit pas seulement des lettrés: on y vit arriver aussi beaucoup d'hommes de guerre qui, à la tête de soldats de leur pays, se battaient moyennant un salaire pour les princes qui voulaient les payer. Les Lascaris, les Bocalis, les Kladas, les Paléologue prirent part aux luttes meurtrières dont l'Italie était alors le théâtre. Mercurios Buas se distingua parmi eux; il eut le bonheur de rencontrer un chantre de ses exploits. C'est à Koronaios, un grec exilé, vivant à Venise, que nous en devons le souvenir.

Chargé en 1495 du commandement des grecs mercenaires, Mercurios commença à se faire apprécier dans les combats livrés aux Français. Sur les bords du Taro, à Gérola, à Fornoue nos armées éprouvèrent la valeur de ces hardis Condottieri. Bembo, Philippe de Comines, Guichardin rendent tous le même témoignage sur ces Grecs, ils vantent leur agilité, leur courage, l'audace, et la résolution de leurs chefs (1). C'est Mercurios qui, à vingt pas de Charles VIII, fit prisonnier le duc de Bourbon; ce fut encore lui, s'il faut en croire le poëte, qui frappa notre roi au visage, et s'empara dans cette déroute d'une enseigne française. Gilbert de Montpensier, d'Aubigny, Trivulce eurent souvent à se mesurer avec lui, et n'eurent pas toujours l'avantage. Prompt à se décider, hardi à braver les périls, il anime ses cavaliers par son exemple. S'agit-il de traverser un fleuve, d'enlever une position difficile, de dresser une

(1) Bembo, rerum Venetarum historia lib. II. Mémoires de Philippe de Commines, p. 499, 506, 509, 513, édit. de Milan, cités par M. Sathas.

embuscade, il n'hésite jamais, et son exemple fait de ses soldats autant de héros. Indifférent à la cause qu'il défend, il passe du côté des Français. Louis XII l'attire en France, reçoit de lui des services signalés contre les Espagnols et Gonzalve de Cordoue le fit gouverneur de Gênes, le nomma comte d'Aquin et de Rocca-Secca, et lui donna même le port de Mourizi.

Bientôt Maximilien l'emprunte à Louis XII et l'envoie dans la Flandre battre le comte d'Egmont et reconquérir les pays que celui-ci lui avait ravis; de retour en Italie, portant les armes contre Venise, il écrase un corps de trois cents Turcs au service de la République.

Avec François Ier, il est à la bataille de Marignan, tue quatre cents ennemis, prend six pièces d'artillerie et six enseignes. Bientôt il revient au service de Venise, prend Lodi, fait le siége de Peschiera, taille en pièces un corps de cent cinquante grecs commandés par Bocalis qui seul échappe au désastre. Vérone, Brescia le voient s'illustrer par de nouveaux faits d'armes; en 1517, il rentre à Venise où l'attend une sorte de triomphe.

Là s'arrête, en 1517, le poëme de Koronaios. Les recherches de M. Sathas nous montrent en 1519 Buas tenant garnison à Trévise pour la République; en 1527, il contribue à la prise de Pavie. Il est probable que sa mort arriva entre 1527 et 1562. Elle eut lieu à Trévise, et c'est dans cette ville, dans l'Eglise de Sainte-Marie-Majeure qu'on voit son tombeau, sculpté en 1562 par Antoine Lombard; il reçut en 1637 cette inscription, hommage de son arrière-petit-fils François Agolant:

"Au comte Mercurios Buas, prince du Péloponèse, chef de cavalerie Épirote, qui battit les Français et les chassa du royaume de Naples, rendit à Pise la liberté, rétablit Ludovic Sforza à Milan, battit Trivulce, prit Novare, vainqueur à Pavie, fit rentrer Bologne sous l'autorité du pape Jules II, soumit les Bavarois à

Maximilien, combattit avec François Ier à Marignan; battit les Espagnols à Vérone. Il repose en paix, il n'eût jamais dû mourir.

[ocr errors]

La famille des Buas ne s'éteignit pas avec Mercurios, d'autres rejetons la perpétuèrent. Ils firent même refleurir dans des contrées et dans des temps différents la gloire militaire de cette maison. C'est ainsi que M. Sathas voit un Buas du surnom de Gribas leveren 1585 l'étendard de la révolte contre les Turcs dans l'Acarnanie. Il tomba pendant la nuit sur les Turcs de Wonitza et de Néroméro; d'autres Grecs l'imitèrent, prirent Arta et marchèrent sur Janina. Gribas ne put pas longtemps résister à ses puissants ennemis, battu près d'Acheloüs, il mourut de ses blessures. Un de ses frères fut également tué dans une bataille à Peratia en face de Leucade, l'endroit s'appelle encore τοῦ Μπούα αὐλάκι. Gribas laissa des fils qui marchèrent sur ses traces.

Pendant tout le XVIIIe siècle, ils ne cessèrent de harceler les Turcs. Enfin, au XIX, un membre de cette maison s'illustrait encore dans l'insurrection de 1821. Tant les Grecs ont conservé à travers les âges la même haine contre leurs oppresseurs et le même courage à les attaquer !

Jean Koronaios, qui entreprit de célébrer les exploits de Mercurios, était de Zante. Il n'a donné sur lui-même aucun détail qui puisse nous intéresser. Tout entier à son héros, il s'est complètement oublié. Ce que nous savons se borne à ceci : C'est dans sa chambre à Venise στὴν κάμαραν καθήμενος μέσα στὴν Βενετίαν que l'idée lui est venue de composer ce poëme. Hector, Achille, Alexandre, la chute de Troie, tous les paladins τοὺς παλαδίνους ὅλους, tous les héros de l'Occident et de l'Orient ont été célé– brés, il ne veut pas recommencer ces récits, Mercurios Buas sera le sujet de ses chants. Il espère bien y rendre attentifs l'Orient, le couchant et tout le levant λos

λε6άvτes. Il ne dira rien que la vérité. Pour la découvrir il n'a point épargné ses peines, il a voyagé dans le Peloponèse, interrogé les magistrats de Nauplie et recueilli sur son héros et sa famille les détails qu'il va consigner dans ses vers.

M. Sathas attribue la composition de cette chronique rimée à l'ardeur du patriotisme du poëte; il lui suppose l'intention fort honorable de relever aux yeux de l'Occident la nation grecque avilie par la chute de Constantinople. Nous ne pensons pas que ces sentiments-là aient été étrangers à l'âme du poëte; mais ce voyage entrepris par Koronaios dans la Grèce, l'envoi qui termine cet ouvrage et en fait la dédicace à Mercurios Buas, le soin que prend l'écrivain de faire peindre les armoiries de son héros et les enseignes qu'il a prises sur le champ de bataille, les détails très-précis qu'il donne sur les rencontres et les combats de Mercurios, l'énumération exacte des présents et des titres qu'il a reçus des princes qui l'ont employé tout nous fait penser que J. Koronaios vivait aux gages de Mercurios Buas, dont l'orgueil, assurément très-justifié, aimait à entendre célébrer ses prouesses dans la langue de son pays.

Le poëte a fait son œuvre en conscience. Sa chronique est nourrie de détails intéressants qui confirment les récits des divers historiens de ces temps; elle est de le faire des orne

plus embellie autant que l'auteur a
a pu

ments de la poésie.

Un songe qui annonce la grandeur future de Mercurios, des comparaisons répétées, des discours, des prodiges, sont placés par lui de manière à égayer la sécheresse du fond. Ces parures distribuées dans le poëme, plutôt par instinct que par un sentiment délicat des convenances de l'art, attestent un esprit ingénieux et facile. Il n'y a rien qui distingue davantage

« AnteriorContinuar »