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ANECDOTA HELLENIKA (1).

Tant que les Hellènes ont eu besoin d'intéresser l'Europe à leur sort, ce sont les noms de leurs plus glorieux ancètres qu'ils n'ont cessé d'invoquer. C'est à Platon, à Sophocle, à Périclès, à Phidias, à Homère, qu'ils ont voulu faire plaider la cause de leur indépendance.

Ils ne pouvaient pas choisir de plus illustres et de plus éloquents avocats. Alors ils ne regardaient qu'avec un mépris mêlé d'horreur les temps malheureux où ils avaient péri sous les Turcs. Tout ce qui venait de cette époque leur paraissait odieux et ils en repoussaient jusqu'au souvenir.

Aujourd'hui qu'ils sont assez forts pour vivre tout seuls; qu'ils ont fait des révolutions et soutenu fièrement les menaces de la Sublime-Porte, ils cessent de remuer selon l'expression d'un allemand, la poussière de Marathon, et l'histoire de leur moyen âge commence à les occuper. C'est à ce retour d'attention sur les années qui ont précédé ou suivi immédiatement la chute de Constantinople que les ouvrages de M. Sathas, doivent leur naissance.

C'est en 1865 que M. Constantin Sathas a commencé à se faire connaître. Il étudiait alors la médecine à Athènes, lorsqu'il entreprit de publier la chronique de Galaxidion, ou l'histoire d'Amphissa,

(1) 2 vol. in-12 par M. Constantin Sathas. Athènes, 1867.

de Naupacte de Galaxidion, de Loidorchion et des lieux environnants, depuis les temps les plus reculés jusqu'à nos jours. Ce travail, précédé d'une longue et savante introduction, puisée aux sources de toutes les archives d'Italie, reçut à son apparition les éloges de M. Charles Hopf. Ce savant consacra les études de M. Sathas en les citant plusieurs fois avec éloge ('), tandis que, à ce qu'il paraît, l'Académie des Inscriptions et BellesLettres de Paris, celles de Bruxelles, de Madrid et de Berlin donnaient aussi au jeune écrivain des témoignages d'une approbation flatteuse.

Le gouvernement grec ne resta pas lui-même indifférent à ces travaux, il se montra au contraire fort disposé à les encourager. Le ministre de l'instruction publique était alors M. Constantin Lombardos; il se trouvait qu'il était passionné pour les études sur le moyen âge, il s'appliqua donc à faire obtenir à M. Sathas les moyens de poursuivre ses recherches.

C'est ainsi que celui-ci reçut une somme de quatre cents drachmes pour faire un voyage dans les îles et sur la terre ferme.

Levoyageur revint après deux mois d'absence, il rapportait à Athènes des manuscrits, des livres anciens dont la publication fut décidée: sept mille drachmes furent allouées à cet effet. Des fonds votés, ne sont pas toujours des fonds disponibles; les changements de ministères, l'opposition de quelques mal-intentionnés arrêtèrent la publication projetée, si bien qu'en 1867 seulement, M. Christopoulos, continuant l'œuvre de son prédécesseur, put mettre M. Constantin Sathas en mesure de publier deux volumes de pièces inédites.

Deux poëmes, l'un sur Mercurios Buas, l'autre sur la guerre de Crète, au milieu du XVIIe siècle, le récit

1) Histoire de la Grèce au moyen áge publiée dans l'Allgemeine Encyklopadie von Ersch und Gruber.

d'une révolte populaire à Zante en 1628, une chronique écrite par un certain Matesès, de 1684 à 1699, voilà ce que renferment ces deux volumes d' Ἑλληνικὰ ̓Ανέκ Sota. Ce ne sont pas sans doute des ouvrages de bien grande conséquence. Ils ne laissent pas néanmoins d'avoir un très-vif intérêt pour l'histoire de la Grèce depuis la chute de Constantinople, et surtout pour l'histoire de la langue et de ses divers changements.

Mercurios Buas, le héros du premier de ces deux poëmes, descendait de l'ancienne famille des Buas qui se glorifiait de venir de Pyrrhus, roi d'Épire; la principale preuve qu'elle en donnait était, dans ses armoiries, qui n'étaient rien autre chose que l'écusson de cet ancien roi, sur un champ de gueules quatre serpents de sinople tenus par une main. Les Buas y montraient aussi la croix d'or accostée de deux étoiles d'argent, souvenir de l'empereur Constantin quand il passa à Durazzo venant de Rome, pour aller fonder Constantinople.

Ce sont les fables dont les maisons illustres aiment à embellir leur berceau. Il est un peu plus certain que les Buas habitèrent l'ancienne Epire de Pyrrhus, et que leur histoire telle que nous la fait connaître M. Sathas offre plus d'un point de ressemblance avec celle de ce prince aventureux, qui ne pouvait vivre qu'en faisant de continuelles entreprises. Ils appartenaient à cette nation que nous appelons aujourd'hui les Abbanais, que les Turcs désignent sous le nom d'Arnautes et qui se donnent à eux-mêmes celui de Sckypetars. Etaientils d'origine grecque? c'est un point encore en discussion. Asseman, Milétios, Chremmydas et surtout Fallmerayer veulent en faire des Slaves; Hahn, Nicoclès, Kamardas et Koupitoris leur donnent pour ancêtres les Pélasges. C'est aussi l'opinion de M. Sathas, et, dans

ce débat, il apporte des témoignages qui avaient été négligés avant lui.

Ainsi, dit-il, Chalcondyle qui, le premier, a parlé des Abbanais, les rattache aux Macédoniens : « Αλβανούς γὰρ ἔγωγε μᾶλλον τι τοῖς Μακέδοσι προστίθεσθαι ἄν λέγοιμι ἤ ἄλλῳ τινι τῶν κατὰ τὴν οἰκουμένην ἐθνῶν· οὐδενί τε γὰρ συμφέρονται, ὅτι μὴ Μακεδονικόν γένος (1). » Ainsi, dans les différentes cours de l'Europe, on désignait sous le nom de Macédoniens Μακεδονικὸν Τάγμα les Abbanais ou Epirotes au service des princes qui les payaient. Scanderberg écrivant au prince de Tarente, se faisait gloire de commander aux descendants des Macédoniens: « Se vuoi dire che l'Albania e parte della Macedonia, concedi che assai più nobili sono stati i loro avi... » Cantacuzène confond ensemble l'Épire et la Thessalie, il appelle les Albains indifféremment Thessaliens et Épirotes.

Ces prétentions inspirées par la vanité et par l'ignorance auraient à nos yeux moins de valeur qu'à ceux de M. Sathas, si nous ne savions que Strabon les confirme : « Καὶ δὴ καὶ τὰ περὶ Λυγκηστόν, καὶ Πελαγονίαν, καὶ ̓Ορεστιάδα, καὶ Ελύμειαν, τὴν ἄνω Μακεδονίαν ἐκάλουν, οἱ δ ̓ ὕστερον καὶ ἐλευθέραν. Ενιοι δὲ καὶ σύμπασαν τὴν μέχρι Κερκύρας Μακεδονίαν προσαγορεύουσιν, ἀιτιολογοῦντες ἅμα ὅτι καὶ κουρᾷ καὶ διαλέκτῳ, καὶ χλαμύδι, καὶ ἀλλοις τοιούτοις χρῶνται παραπλησίως, ἔνιοι δὲ καὶ δίγλουτοί εἰσι » si Pline enfin ne comprenait dans la Macédoine l'Illyrie et la province des Molosses.

(*) Pouqueville, qui n'accepte pas cette opinion, reconnait pourtant que dans la langue des Albanais, on retrouve quelques expressions de l'idiome Macédonien. Il cite là-dessus ce passage de Plutarque: « Alexandre est né le sixième jour du mois Hécatombéon, que les Macédoniens appellent Loos.> (On le voit aussi dans Démosthène : Pro coron. Lett. de Philippe.) Ce mot de Loos se retrouve bien encore altéré dans l'idiome des Albanais, pour dési. gner le mois des Hécatombes ou juillet, qu'ils appellent Loonari et Alonar. Le même auteur dit qu'ils appelaient Achille Ispète; or, ce mot se retrouve dans leur langue, c'est ichpeite qui veut dire homme aux pieds légers. Aspate ou Spache, un messager à pied. Ange Masès. Traité de la nation Albanaise, cité par Pouqueville, t. I, ch. V.

Cette peuplade, quelle que fût son origine, mena longtemps une vie de brigandage.

Cantonnés dans les montagnes, aussi agiles que les chamois, dit le juif Benjamin de Tudèle, dès l'année 1160, les Albanais dévastaient les pays d'alentour, insaisissables dans leurs retraites et défiant la puissance de tous les rois. Marino Sanuto, au commencement du XIVe siècle, 1325, notait chez eux les mêmes habitudes. Ces courses sans cesse recommencées, appelèrent enfin la répression des empereurs de Constantinople.

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Andronique résolut d'en purger la Grèce; en 1333, il envahit la Thessalie et soumit pour la première fois à l'autorité impériale les Albanais qui, jusque-là, n'avaient pas reconnu de roi. On peut voir dans Jean Cantacuzène le récit de cette expédition. En 1341, Jean Cantacuzène, lui-même, qui venait de prendre la pourpre, eut à se défendre contre eux, en même temps qu'il appelait à son secours les turcs Osmanlis contre les Serbes et leur roi Stéfan Douschan qui, maître de la Valachie et de Janina, s'était donné le titre d'Empereur des Romains, tzar de Macédoine, aimant Dieu.

Nicolas Buas, le premier chef connu de cette famille célèbre, paraît avoir été le contemporain de Stéfan. Il en reçut, dit-on, la dignité de proto-vestiaire (de 13 15 à 1347). Ce roi des Serbes n'avait pas fondé la maison des Buas; il l'avait trouvée déjà puissante, puisque Jean Cantacuzène désigne les Albanais sous le nom de Malakosivi, Bouïci, Mesaritai, du nom de leurs chefs. C'est à partir de ce moment que l'histoire des Buas devient facile à suivre. On les voit, en effet, investis par les rois serbes d'une espèce de vice-royauté sur la Thessalie avec la ville d'Acheloüs pour capitale.

Tant que dura ce singulier empire du tzar de Macédoine aimant Dieu, les Buas fidèles à leur suzerain l'ai

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