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qu'ils ne peuvent distinguer chaque maladie à cause de la grande affection qu'ils ont pour eux; il faut donc que ce soient des médecins étrangers qui guérissent leurs femmes et leurs enfants, de même il faut que ce soient des juges étrangers qui jugent les griefs, parce que la colère ou la douleur manque à ces étrangers, qui voient l'affaire telle qu'elle est. C'est pour cela que je vous remets l'autorité; c'est pour cela que je vous ai rassemblés afin de porter devant vous les griefs que j'ai, et que vous jugiez selon ce qui vous semblera juste. "

Ils répondirent au roi : « seigneur, nous avons entendu votre plainte, votre demande et votre chagrin, nous espérons dans la grâce de Dieu, pour qu'il nous enseigne ce qui doit lui convenir et convenir à votre majesté. Sur le point que vous nous ordonnez de juger, veuillez vous retirer un peu, afin que nous délibérions, et que nous choisissions le parti que Dieu trouvera le meilleur, et que nous vous disions ce qui doit se faire. »

En entendant ceci, le roi se retira aussitôt. Et les chevaliers se livrèrent entre eux à une discussion pénible : les uns parlaient de tuer le comte; mais ils disaient: «sinous le faisons, nous révélerons l'affaire, et ce sera une grande honte pour nous. » D'autres disaient : « il est bien dit qu'il y a trois choses que nous devons éviter, la colère, la haine et le bruit public. Mais si nous disions de tuer la reine, vous savez qu'elle est de la grande famille des Catalans, ils sont impitoyables; ils diront que nous avons agi par haine, il prendront les armes, ils viendront ici, ils détruiront notre pays avec nos biens. D'un autre côté, si nous tuons le comte, le fait va s'ébruiter, les uns le croiront, les autres ne le croiront pas, tous croiront que nous avons tué le comte pour cette affaire, et le bruit s'en répandra dans le monde entier. Et notre roi est comme l'oiseau, et

nous, nous sommes ses ailes, et comme l'oiseau ne peut rien sans ses ailes, aussi le roi seul ne peut rien sans nous, et nous, nous ne pouvons rien sans lui; notre roi nous accusera et le bruit ne fera que prendre de la consistance. Il nous semble que nous serions mieux entendus si nous étouffions ce propos. Vraiment, le roi nous a montré la lettre qui lui a été écrite par sire Jean Visconti en France, mais nous pouvons dire tous que Jean Visconti est un menteur, faisons lui perdre la liberté de sa condition, et laissons-le à la pitié du roi, comme un homme qui a calomnié la reine, à cause de quelque brouillerie qui est survenue entre eux au temps passé. S'il se sauve, la gloire en sera à Dieu, si non qu'il aille au bien (qu'il meure)! il vaut mieux qu'un chevalier périsse plutôt que nous-mêmes soyons démontrés parjures, parce que nous n'avons pas surveillé la reine, et si nous l'avons surveillée, nous aurions dû, aussitôt que nous entendîmes les bruits indignes qui couraient sur elle, venger notre maître sur son ennemi, et sur celui qui avait porté atteinte à son honneur. De cette manière, si l'on vient à apprendre ce qui s'est passé, on ne croira pas à ces méchants bruits, tous diront que le chevalier a menti, et qu'il a subi une mort injuste! et avec cela les propos se dissiperont, et tout le monde croira ce que nous aurons dit.

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Aussitôt ils appelèrent le roi, et ils lui dirent: « Seigneur, vous nous avez fait connaître vos griefs, vous nous avez montré la lettre que vous avez reçue, nous avons longuement conféré entre nous, nous avons tourné la question de côté et d'autre, pour trouver quelque justification à ce que dit le papier, enfin il nous a paru que ce que la lettre contient n'est que mensonge; celui qui l'a écrite en a menti à son âme, et tous ensemble, ainsi que chacun de nous en particulier, nous sommes prêts à prouver par notre même corps contre lui (en duel)

qu'il est un menteur. S'il a agi comme il l'a fait c'est qu'il est survenu une querelle entre lui et la reine; le chevalier l'a convoitée, la reine ne l'a pas écouté: de là sa colère, et la lettre qu'il vous a écrite. Mais notre reine est honnête, sainte, noble et honorée. Et souvenez-vous que vous nous avez promis de faire ce que nous vous conseillerions. "

C'est ainsi qu'ils justifièrent le roi, en présentant lechevalier comme menteur. Le roi les remercia; il demanda ce chevalier à son pouvoir, il leur donna en main un papier où ils écrivirent qu'il était un traître et qu'il avait calomnié la reine. Quand il eut écouté leurs raisons, qu'il en eut rapproché celles des deux dames, ses maîtresses, il les crut, et il envoya à minuit à la demeure du chevalier, et on l'appela de la part du roi. Le noble chevalier était dans son lit, aussitôt il se lève, il monte à cheval pour aller à la cour du roi. Dehors se tenaient des Turcopoules, des Arméniens, une foule de gens armés, ils le prirent sur le champ et le conduisirent à Kérinia, et on le jetta dans la fosse de Scoutella. Il y resta quelque temps; sur ces entrefaites, vint un seigneur de l'Occident qui allait à Jérusalem pour faire ses dévotions; les parents de sire Jean Visconti le prièrent de le demander au roi, comme il est de coutume aux seigneurs. Celui-ci pria le roi de le retirer de la prison, et le roi promit de le retirer. Quand le comte étranger fut parti, le roi ordonna de retirer le chevalier de la prison de Kérinia; il l'envoya à Lioritas; on le jeta dans la fosse, il y resta sans manger et il y mourut. Le chevalier qui fut si mal traité, comme je viens de le dire, était un très-brave homme, et dans les joutes et dans toute sorte d'armes très-vaillant; que le Seigneur lui pardonne.

ÉROTOCRITOS.

POEME EN GREC MODERNE, DU XVI SIÈCLE.

Quand on a voulu étudier la littérature des Grecs depuis la chute de Constantinople, on s'est longtemps contenté de l'histoire de quelques savants exilés. Ils avaient porté en Italie, en France, en Angleterre la science proscrite et bannie par les Turcs, on ne pouvait pas oublier leurs noms. L'occident n'a point été ingrat à leur égard. Depuis le xvi° siècle on a largement rendu hommage aux érudits qui nous ont initiés à la connaissance de leur langue. C'était justice. Hermonyme de Sparte, Chrysoloras, Musurus, Lascaris, Chalcondyle ont bien droit à notre gratitude pour nous avoir ouvert les trésors de la science grecque. Mais en fuyant ils n'avaient pas emporté toute la Grèce avec eux. Il restait encore dans ce pauvre pays destiné à gémir si longtemps dans l'ignorance et la servitude, une part, bien faible hélas, toutefois vivante, de l'antique génie des Hellènes. Tandis que l'Europe savante se refaisait aux sources de l'hellénisme de Platon et d'Homère, les Grecs asservis consolaient leur triste condition par une littérature avilie comme eux. Athènes n'était plus qu'une bourgade sans nom, la plus pauvre et la moins instruite de tout le nouvel empire des Turcs. Pourtant, sur la terre ferme, dans les îles, on essayait encore de balbutier en vers quelques tristes poëmes, fruits du malheur. Tous les Grecs n'avaient pas fui. Beaucoup, les moins dignes

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