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Elle la prend par la main, et elles vont dans le jardin, et tous ceux qui les voient, les admirent. Elles ont passé ce jour comme des sœurs, elles ont joué ensemble, elles se sont promenées, les servantes malignes en rient de loin.

Le jour est fini, et le soleil va bientôt se coucher. Arodaphnousa commence à prendre congé de la reine: «Je vous souhaite une bonne santé, reine,branche de pommier d'or, qui avez le cou blanc comme une perle. » La reine ne l'entendit pas, et elle ne lui répondit pas. Arodaphnousa en conçoit de la colère, et elle reprend : « La voilà cette femme au gros vilain front, édentée, ce petit coq enroué dont on me disait tant de belles choses. "

La reine n'entendit pas, mais ses servantes entendirent." Écoutez, Madame, écoutez Arodaphnousa ce qu'elle dit de vous: elle vous a appelée femme au vilain front, édentée, petit coq enroué dont on dit tant de belles choses."

Quand elle apprit cela, la reine en fut trèsmécontente; le lendemain, elle envoie à Arodaphnousa un cavalier. — « En route Arodaphnousa, la reine veut vous voir, allons vite en route. » — « — « Hier, j'étais chez la reine, et elle veut maintenant me voir ! » - 66 Allons, vite, cela ne me regarde pas. "

Quand elle entend ces mots, le cœur lui bat dans la poitrine; elle se rappelle alors les propos qu'elle a tenus. " Attends un petit instant que je me reconnaisse et m'arrange; j'ai peur dans mon âme de ne plus revenir. Adieu ma maison ! et mon lit où je couchais, adieu ma chambre où je buvais le café, cour où je me promenais; je te ferme, ô mon coffre, et je ne t'ouvrirai plus. Je t'endors, ô mon cher enfant, et tu t'éveilleras avec une autre; c'est moi qui t'ai donné le jour; il faudra qu'une autre te fasse grandir!

Elle se mit en marche, elle fit le chemin tout entier,

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et Arodaphnousa arriva au palais. Pendant qu'elle montait l'escalier son cœur tremblait. La reine était prête; elle la prend par les cheveux : « Il faut que je te tue, chienne de folle; tu vas le voir maintenant, parce que tu aimes mon mari, tu veux me séparer de lui. Je t'ai fait grâce de la vie, mais tu en es devenue insolente; sache aujourd'hui que tu vas perdre la vie. » — « Je t'en prie laisse-moi, laisse-moi vivre une heure, afin que je puisse dire adieu à mon roi de si grande beauté. »

Elle commence alors à crier comme un boeuf, elle mugit, avec des larmes, avec des cris et voici ce qu'elle dit : «Adieu mes yeux, adieu ma lumière, c'en est fait de moi, je quitte le monde. Mon roi, je te dis adieu avec larmes, avec affliction, je t'ai aimé et je t'aime, il y a maintenant huit ans; je t'ai aimé du fond de mon cœur, tu as enflammé mon âme, et ta femme cruelle maintenant me fait mourir ! »

Elle jette un petit cri, elle jette un grand cri, et le roi qui était là-bas se sentit remuer sur son siége; aussitôt il se lève et dit à son serviteur: «Amène-moi mon coursier qui broie les pierres, qui broie le fer, qui boit l'écume. ”

Il va et chevauche sur son coursier gris, et dans le temps qu'on met à dire bonjour, il a fait un millier de milles; le temps de dire adieu, il en a fait cent cinquante autres. Il excite son cheval de la bride, il entre dans la ville.

Disons maintenant ce que la reine a fait à Arodaphnousa. Elle la prise par les cheveux, elle lui a coupé la tête, et l'âme de la malheureuse s'est en allée.

Le roi arrive, il frappe à la porte! Malheur, hélas, à la malheureuse Arodaphnousa! Il a donné un coup de pied dans la porte, et la porte est sortie de ses gonds; quand il voit tant de sang, il perd connaissance et ne voit plus rien. Quand il eut repris ses sens et qu'il fut

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revenu à lui-même, il marche sur la reine, il tremble de colère : « Pourquoi as-tu mis à mort, chienne, cette jeune femme ? j'anéantirai ton nom, je ruinerai ta fortune, va-t'en d'ici, punaise immonde; liez-la à l'écurie comme une vieille ânesse. Les os d'Arodaphnousa, je les mettrai dans un coffre d'or, et toi, vieille ânesse, je donnerai les tiens aux chiens. "

Aussitôt il la pousse hors du palais; il prend dans ses mains le corps d'Arodaphnousa, il se lamente et il dit, il dit en se lamentant, et ses mains tremblent, et il se met à pleurer : « Arodaphnousa, mes yeux, ma lumière, ma consolation, il y a huit ans que je t'aime, que je t'ai dans mon cœur ; je t'aimais, tu m'aimais d'un amour fidèle, mais voilà que cette femme trois fois maudite t'a mise à mort. Arodaphnousa, mes yeux, c'est pour moi que tu es morte; et moi je vois que ma vie est finie; je t'aimais, chère amie, j'en avais un secret plaisir, et maintenant l'on t'a fait mourir, et je n'en ai rien su. Le soleil s'est couché, la lune a perdu sa lumière; un tel malheur ne s'éteint pas, qui peut le supporter? Les fers sont suspendus à la porte neuve, tout le monde aime, tout le monde se réjouit, et moi j'ai perdu toute joie. »

Avec beaucoup de chagrin, avec beaucoup de douleur, il gémit profondément, il ordonne qu'on lui fasse des funérailles royales; on a enlevé le corps, et l'on va pour l'ensevelir; le roi a donné l'ordre aux grands et aux petits de pleurer. On a emporté le corps, on l'a enseveli, tous ses parents pleurent, et sa mère, ses sœurs et ses frères, et toute sa parenté.

Puissent vivre longtemps tous ceux qui liront ce chant, que tous ceux qui le liront donnent deux larmes; vous tous, qui le lisez, soyez heureux, et vous tous, qui ètes mariés, renoncez à l'amour.

N° 15.

CHANSON DE LA REINE ET D'ARODAPHNOUSA.

Quelque part l'éclair brille, quelque part la foudre gronde, la grêle tombe? Ni l'éclair ne brille, ni le tonnerre ne gronde, ni la grêle ne tombe: seulement c'est la reine qui demande à ses esclaves qu'elle est celle que le roi aime, et les esclaves lui répondent : «En haut, en haut dans le voisinage, il y a trois sœurs, l'une s'appelle Rose, l'autre Athousa, la troisième et la plus belle est Arodaphnousa (Laurier-Rose). Que Rose l'aime, qu'Athousa lui donne des baisers; mais c'est la troisième, la plus belle, qui fait sa couche et la partage. » Quand le roi apprend ceci, il part et va auprès d'elle; et la reine instruite de ce voyage, s'irrite et s'emporte. Elle envoie un message et des ordres à Arodaphnousa pour qu'elle vienne. «<Levez-vous pour venir, Arodaphnousa, la reine vous demande. »-«La reine me demande, moi; elle ne m'a jamais vue, elle ne me connaît pas; si elle me veut pour la cuisine, je prendrai mes ustensiles. Si elle me veut pour la danse, je prendrai mon écharpe. » — « Allons, partons Arodaphnousa, comme vous voudrez, partons."

Elle rentra chez elle et changea les vêtements qu'elle portait, ni longs, ni courts, justes à sa taille. Elle mit, en dessous, ses vêtements d'or, par dessus, un vêtement de cristal, enfin tout-à-fait par dessus, un vêtement garni de perles. Une pomme d'or dans la main, elle badine et s'avance; elle s'arrête, elle réfléchit à la manière dont elle saluera la reine : « Lui dirai-je, le giroflier, le giroflier plie; lui dirai-je, la vigne, la vigne a des nœuds; lui dirai-je la rose, la rose a des épines? Je dois la saluer ainsi qu'il convient,

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ainsi qu'elle le mérite. » Elle se met en route et elle marche dans le sentier jusqu'au bout, dans le sentier qui la conduit à la demeure de la reine.

Elle monte un escalier; elle se balance et se plie; elle monte un autre escalier et elle fait la coquette, enfin au bout de l'escalier la reine l'aperçoit, elle crie à son esclave d'apporter une chaise. « Bonjour, Reine. »-«Sois bien venue, ma perdrix, tu as bien fait de venir, Arodaphnousa, pour manger et pour boire avec nous. Pour manger les morceaux délicats d'un lièvre, pour manger une perdrix rôtie, pour manger l'asphodèle que mangent les braves, pour boire le doux vin que boivent les gens de noble renom; quand les malades en boivent, ils se trouvent guéris." » — « Je ne suis pas venue, reine, pour manger, pour me régaler; à ton commandement je suis venue, tu as envoyé me prendre.

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(La reine), l'interroge et lui demande quelle est celle que le roi aime. « O ma dame, ma reine, je n'en sais

rien."

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Elle a descendu un escalier, elle s'est balancée et pliée, elle a descendu un autre escalier et elle a fait la coquette; enfin arrivée au bout de l'escalier de la reine, elle dit : « Voilà cette femme au gros vilain front, ce petit coq enroué dont on me parle... » La reine n'entendit pas, son esclave entendit.

Elle envoie de nouveau des messagers avec ses ordres auprès d'Arodaphnousa. « Allons en route, Arodaphnousa, la reine te réclame. » — « Tout àl'heurej'étais près de la reine et la voilà qui me redemande. » -66 Allons, partons, Arodaphnousa, la reine veut te voir. » Elle entre dans sa demeure, et prend des vêtements tout noirs; elle prend des vêtements d'or, elle se couvre tout entière de noir, elle couvre de noir sa pomme, elle joue et se met en marche.

Elle monte un escalier, se balance et se plie, elle

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