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de ce grand saint ('), se retrouve dans notre Physiologus grec. Le même Antoine vit aussi, quelques instants après, une espèce de petit homme au nez crochu, au front cornu; son corps se terminait par des pieds de chèvre. Il l'interrogea; cet être bizarre répondit : suis un de ces hommes que la gentilité, abusée par tant d'erreurs, a appelés faunes et satyres. Je m'acquitte ici d'une commission que m'a donnée la troupe à laquelle j'appartiens. Nous vous prions d'implorer pour nous votre Dieu, qui est aussi le nôtre; nous savons qu'il est venu pour le salut du monde, et le bruit s'en est répandu dans l'univers entier. » Saint Jérôme se demande si l'hippocentaure n'était pas une de ces illusions dont le diable se plaît à tromper parfois les yeux des hommes; mais, pour le satyre, il n'y a pas l'ombre d'un doute dans son esprit. Au temps de Constantin, dit-il, on amena dans Alexandrie un de ces faunes. Une multitude immense de peuple le vit. Il mourut, et l'on transporta dans du sel, pour le préserver de la corruption, car on était en été, son cadavre jusqu'à Antioche, où se trouvait alors l'empereur.

Il ne restait qu'à donner un sens moral à ces phénomènes de la nature. Rien n'était plus conforme au penchant de l'esprit humain et aux habitudes de l'enseignement chrétien.

Les apologues anciens, répandus sous le nom d'Esope, ont la même origine. Au début des sociétés, les hommes, plus naïfs et plus rapprochés de la nature, n'ont jamais manqué d'observer les animaux. Ils ont pénétré jusqu'au fond de leur caractère, si l'on peut ainsi dire; ils ont surpris leurs défauts, leurs ruses, leurs habitudes. Rien ne leur a échappé de leurs bonnes et de leurs mauvaises qualités. Les analogies les plus fines, que

(1) Épitre I, liv. III. Edit. Canisii.

nous n'apercevons plus, ont été saisies par les premiers chasseurs entre la conduite des animaux et celle des hommes, suivant ce principe reconnu par La Fontaine, que nous sommes l'abrégé de ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les créatures raisonnables.

Il en est résulté toute une langue riche en métaphores et en comparaisons. Des rapports qui nous semblent bizarres aujourd'hui ont été exprimés par des mots pittoresques ou des légendes singulières. Ainsi, dans les Védas, dans les Ithiasas, dans le Dharma Sâstra, cités par M. Hippeau, on trouve mentionnés l'éléphant, le loup, le tigre, le lion, la cigogne, la corneille, avec des traits de moralisation qui sont dans les Bestiaires. Ainsi, chez ces peuples, les diverses espèces de voleurs sont transformées en loups, en ours, en singes, en boucs, en vautours, selon des ressemblances que l'imagination populaire a saisies; les voleurs de soie, par exemple, changés en perdrix grise ou rouge, réveillent dans l'esprit de ces peuples des idées d'une concordance exacte, où se retrouvent tout à la fois les notions d'histoire naturelle acceptées par tout le monde et les analogies entre le plumage de l'oiseau et la couleur de l'objet dérobé par les voleurs.

Dans l'Eglise grecque, aussi bien que dans l'Eglise latine, les docteurs qui fondaient le dogme chrétien ne pouvaient négliger les preuves de la puissance de Dieu écrites en caractères si manifestes dans la nature. Cœli enarrant gloriam Dei, avait dit le Psalmiste; saint Jérôme dit à son tour: Bestia Christum loquuntur. Saint Basile, saint Grégoire de Nazianze, n'ont pas été les seuls à composer en grec des dissertations consacrées à l'exposition de l'oeuvre des six jours. Cette démonstration éloquente et facile de l'existence de Dieu avait été tentée longtemps avant eux. Ces divers ouvrages n'ont pas survécu tous; de quelques-uns il ne reste que

de rares fragments, et, pour le plus grand nombre, il n'en demeure plus que le souvenir. Papias, évêque d'Hierapolis en Phrygie, saint Justin, saint Théophile d'Antioche, avaient mêlé les allégories morales à la science du monde telle que leur âge la comprenait. Origène, Candide, Appion, Maxime, ont mérité qu'Eusèbe et saint Jérôme aient transmis, pour des compositions de ce genre, leurs noms à la postérité. Saint Pantène, philosophe stoïcien converti au christianisme, avait traité, dans un ouvrage spécial, de la création du monde. Des ouvrages du même genre, attribués à saint Denis ou dus à saint Cyrille, n'avaient devancé que de quelques années celui de saint Basile, archevêque de Césarée. La littérature latine n'était pas moins riche en ces sortes d'ouvrages. Tertullien, Lactance, Arnobe, saint Augustin, saint Ambroise, ont eu leurs Hexaémérons.

On peut bien croire que ces sujets, diversement traités pendant une suite assez longue d'années, devinrent des lieux communs désignés aux orateurs. Vraisemblablement alors, il dut venir à l'esprit de quelque docteur de ramasser en un manuel commode les traits principaux de cet enseignement. L'ouvrage de saint Épiphane me paraît être un de ces recueils dont l'habitude ne s'est jamais perdue dans l'éducation des prédicateurs chrétiens. Ce qui me fait incliner à cette opinion, c'est le ton moins relevé de ce traité. Ce n'est plus la mise en œuvre éloquente de connaissances laborieusement acquises, c'est l'abrégé succinct, le résumé populaire des notions d'histoire naturelle qu'on regardait comme les plus utiles à l'instruction des premiers chrétiens. Ce qu'il y a de surprenant, c'est qu'un ouvrage du même genre, désigné par le même titre de Physiologus, fut composé en latin. Il existait encore, au temps du pape Gélase: on l'attribuait à saint Ambroise : c'était à tort;

car, en 494, il fut déclaré apocryphe par l'autorité de l'Eglise (').

Le mot Quotoλóyos et le terme latin Physiologus ne désignent pas les traités eux-mêmes consacrés à l'étude des animaux ; ils ne sont en aucune façon le synonyme de ce mot français Bestiaire. Ils indiquent un auteur sur lequel on a travaillé plus tard (*). C'est proprement le Naturaliste.

Or quel est ce premier observateur, dont les études ont eu un si long succès? Ponce de Léon hésite. Il croit qu'on pourrait entendre par là Salomon, dont la science avait tout scruté, depuis le chêne jusqu'à l'hysope. On ne saurait admettre cette supposition; le texte de saint Épiphane ne le permet pas. Il y a des articles où l'opinion du Physiologos vient la première, suivie bientôt de celle de Salomon. Ὁ Φυσιολόγος μὲν λέγει, ὁ δὲ Σολωμών. Cette opposition nettement indiquée montre bien qu'il s'agit de deux personnages différents qu'il est absolument impossible de confondre.

On remarquera la même opposition dans notre poëme : on pourra y discerner encore une autre nuance. Les faits rapportés sous l'autorité de Salomon n'ont rien de scientifique et s'appliquent le plus souvent à ces animaux douteux dont parle Samuel Bochart; celles que l'on donne au nom du Physiologos, sans exclure tout-à-fait les détails fabuleux, ont un caractère plus rigoureux et qui donne mieux l'idée d'une méthode et d'une observation scientifiques.

Après Salomon, l'éditeur d'Épiphane cite le nom d'Aristote. Il paraît se rapprocher alors davantage de la

(1) Conciles, t. IV, p. 260.

(2) C'est ce que dit fort bien le titre d'un manuscrit d'Épiphane dont M. Constantin Sathas a retrouvé la désignation dans un catalogue des manuscrits du couvent du Saint-Sépulcre, à Constantinople; voyez le premier volume de la Bibliotheca Græca medii @vi: Ἐπιφανίου εἰς τὸν φυσιολόγον τὸν διδάσκοντα περὶ τῆς ἑκάστου γένους φύσεως τῶν θηρίων καὶ τῶν πετεινῶν.

vérité. Aristote, c'est incontestable, a laissé dans la science une trace ineffaçable. On a de lui huit livres d'une Histoire des animaux, et ce n'est qu'une portion du grand ouvrage qu'il avait consacré à cette partie de la physique. De même qu'en morale, qu'en politique, en métaphysique il garda longtemps le premier rang, que le moyen âge désignait sa souveraineté par ce seul mot, le Philosophe, on peut penser que les premiers siècles du christianisme n'hésitèrent pas à lui déférer une souveraineté égale dans l'histoire naturelle, et qu'on l'appela dès lors le Physiologos, ó Þusioλóyoç.

et

Un manuscrit de la bibliothèque de Vienne semblerait trancher la question. MM. Moustoxydis et Schinas l'ont cité avec l'inscription qu'il porte et que voici: Toʊ ἐν ἁγίοις πατρὸς ἡμῶν Ἐπιφανίου ἐπισκόπου Κύπρου ἐκ τοῦ Αριστοτέλους φυσιολόγου τῶν ζώων. On ne sait quelle confiance on doit attribuer à cette épigraphe. Il est permis toutefois de la rapprocher de cette autre indication d'Athénée (1) qui attribue au précepteur d'Alexandre une Histoire des animaux sous le titre de Zwixóv. On peut faire remarquer encore que le Physiologus est cité par Origène, mais qu'il ne saurait remonter au-delà des temps d'Alexandre, car le chapitre de la Gorgone fait mention d'Alexandre comme étant antérieur de quelques années.

On sent, du reste, que les emprunts faits au grand naturaliste par Epiphane ou d'autres compilateurs, tels que celui du Physiologus Syrus, se sont moins attachés aux notions positives qu'aux merveilles qu'Aristote lui-même avait trop complaisamment accueillies. M. Egger a dit avec raison que le Traité des animaux passait chez les anciens, comme il est tenu chez les modernes, pour un véritable chef-d'oeuvre; il

(1) IX, 298. Tauchnitz.

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