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romain, faites que mes amours chérissent Rome, et que Rome, en retour les chérisse (1). »

Qu'on juge d'après cela l'enseignement des professeurs qui tenaient école à Rome, à Milan, à Bordeaux, à Trèves, à Toulouse, à Narbonne! Sous prétexte d'enseigner les belles-lettres, d'expliquer Homère, Hésiode, Aristote ou Platon, ne devaient-ils pas s'attacher à répandre dans les jeunes esprits les idées favorables à l'ancien culte. Tous leurs disciples n'étaient pas en état de résister à cette influence ou de s'y soustraire plus tard, comme Saint Augustin, qui fut le disciple de Thémistius (2), comme Saint Basile et Saint Jean-Chrysostome, qui reçurent les leçons de Libanius (3). N'y avait-il pas quelque danger à donner un de ces sophistes pour précepteur à des enfants destinés à monter sur le trône? Si Théodose-le-Grand confiait l'éducation de son fils Arcadius au Sophiste Thémistius, qui n'était pas chrétien, ne devait-on pas soupçonner cette éducation philosophique d'entretenir dans les âmes des dispositions trop hostiles aux dogmes nouveaux, et l'exemple de Julien, s'appliquant à détruire la religion du Christ, n'était-il pas bien fait pour éloigner de ces études? Quand, en Occident, on voyait Julien écrire en grec ses ouvrages les plus agressifs contre la mémoire de Constantin et les institutions chrétiennes, il y avait de quoi faire abhorrer le génie grec et la langue qui lui servait d'interprète.

De là, ces alternatives de faveur ou de persécution dont les écoles sont l'objet, tant à Rome qu'à Constantinople. Suivant la vivacité ou la tiédeur de leur foi, les empereurs protégent ou bannissent les rhéteurs. Valentinien Ier chasse de Rome tous les sophistes; il croit faire beaucoup d'en débarrasser la ville où siége (1) De Broglie. t. 1, p. 292. (2) Schoell. t. VI, p. 141. (3) Schoell. ibid. p. 162.

le pape. Gratien, au contraire, qui n'aime pas le clergé, qui l'a dépouillé de ses biens, établit par une loi de l'an 376 que les rhéteurs et les grammairiens recevront du trésor public un traitement annuel (1). Cette même loi établit des écoles dans les Gaules, une part y est faite à la littérature latine, une part égale à la littérature grecque.

Dans l'empire d'Orient, la langue d'Homère ne pou-vait pas être proscrite, et, jusqu'au règne de Justinien (527 à 565), elle s'était assez bien défendue contre le temps. Elle s'enseignait dans des écoles florissantes. Constantinople avait des maîtres nombreux de grammaire et de jurisprudence. Dans Edesse, le grec et le syriaque servaient en même temps à répandre la grammaire, la rhétorique, la philosophie et la médecine. Il y avait à Béryte sur les côtes de la Phénicie, une école de droit, qui passait pour être une des plus fameuses de son temps. Déjà pourtant, on commençait à voir grandir les soupçons contre la science du passé. La riche bibliothèque fondée par les Ptolémées dans Alexandrie, augmentée par Marc-Antoine de celle de Pergame, avait péri en grande partie dans la destruction du temple de Sérapis, ordonnée par Théodose l'an 390. « Orose, qui a écrit une cinquantaine d'années après cet événement, dit avoir vu les armoires où les livres étaient ancienne

ment placés, vidées par les chrétiens exstant, quæ et nos vidimus, armaria librorum, quibus direptis exinanita ea a nostris hominibus, nostris temporibus » (2). Enfin, sous Justinien, Athènes, qui n'avait cessé d'avoir des philosophes occupés dans leurs leçons à expliquer les ouvrages de Platon et d'Aristote, qui comptait des maîtres d'éloquence et d'érudition philologique, Athènes fut frappée dans ses plus chères études. Un édit de

(') Beugnot. p. 478, t. I. (2) Orose. Hist. VI, 15.

Code Théod. XIII, tit. 3, 1. II.
Schoell. ibid. 9.

l'empereur en expulsa les philosophes et les rhéteurs, et renversa leurs chaires. « Il est vrai, dit Schoell, que ces maîtres imprudents s'étaient attiré un traitement si rigoureux par une conduite qu'aucun gouvernement connaissant ses devoirs ne pourrait tolérer. Ils avaient hautement annoncé le projet de renverser la religion de l'Etat, et la jeunesse, dont ils égaraient l'imagination, qui, à cet âge, n'est pas dirigée par la raison, devait fournir les instruments de cette révolution. » C'était le néo-platonisme que Justinien ruinait par cette mesure; il portait assurément un coup aux lettres grecques, et, même en Occident, où les philosophes bannis d'Athènes n'osèrent pas aller chercher un refuge, l'hellénisme dut en être affaibli. C'était une nouvelle cause de décadence et d'oubli qui s'ajoutait à tant d'autres plus énergiquement efficaces. On était au milieu des invasions germaniques, et l'avenir appartenait à des peuples nouveaux. Leurs destinées doivent s'accomplir longtemps sans le secours de l'esprit grec.

IV.

Nous essaierons maintenant de faire voir où en étaient, dans l'église latine, au IVe siècle, les études helléniques. On ne saurait refuser à Saint Ambroise d'avoir été versé dans la connaissance du grec. Son livre de l'Hexaéméron, ou Traité sur les six jours de la création a été visiblement inspiré par celui de Saint Basile. Le titre même en fait foi. On suit également dans ses autres ouvrages les traces d'une connaissance étendue de la langue grecque; c'est par là qu'il se mit en état de choisir dans les pères grecs, et surtout dans Origène, ce qu'ils avaient enseigné de plus important sur la religion.

Moins que personne, on ne peut soupçonner Lactance d'avoir été étranger à la culture grecque. Ses écrits sont pleins de l'enseignement des philosophes; il les cite quelquefois pour les louer ou pour leur emprunter des arguments en faveur de la religion chrétienne; le plus souvent, il en parle pour les combattre par le ridicule et par le mépris. Il n'a pas toujours eu ce dédain pour les grecs. Tant qu'il fut païen et professeur de rhétorique à Nicomédie, il dut leur consacrer la plus grande partie de son temps, et ils avaient alors toute son admiration. En l'an 300, il se fit chrétien; en 318, il quitta l'Orient pour devenir dans les Gaules le précepteur de Crispe César, fils de Constantin. Son hellénisme subit alors une éclipse. Tertullien et Saint Cyprien deviennent ses principaux docteurs, et ses études inclinent du côté du génie latin. Les sept livres de ses Institutions divines abondent de science grecque. Il écrit dans cette langue les termes de philosophie dont le latin ne lui offre pas d'équivalents. Il a lu Platon, Aristote; il les a vus, non à travers des traductions, mais dans le texte même; pourtant il semble parfois ne les juger que d'après Cicéron, et souvent aussi il les lit avec une prévention chrétienne qui nuit à la parfaite intelligence de leurs doctrines. On le voit recourir de préférence à un hellénisme inférieur. Les oracles Sibyllins et Mercure Trismégiste ont plus d'autorité pour lui que les grands génies de la Grèce antique. Il n'épargne pas les reproches à l'esprit de légèreté et de mensonge des Grecs; en parlant de l'adulation qui fait les dieux, il dit : « Quod malum a Græcis ortum est, quorum levitas instructa dicendi facultate et copia, incredibile est, quantas mendaciorum nebulas excitaverit. » Il fait dériver de là toute la religion païenne qu'il réduit à l'évémhérisme : « itaque admirati eos et susceperunt primi sacra illorum, et universis gentibus tradide

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runt (1). » Pour appuyer son opinion d'une autorité grecque, il cite ce passage de la Sibylle :

Ἑλλὰς δὴ τί πέποιθας ἐπ ̓ ἀνδράσιν ἡγεμόνεσσι ;
Πρὸς τί δὲ δῶρα μάταια καταφθιμένοις ἀνατίθης;
Θύεις εἰδώλοις · τίς τοι πλάνην βάλεν ἐν νῷ
Ὥστε σε τάδε ποιεῖν, μεγάλοιο θεοῦ προσώπου
Λειπομένου.

Il s'applaudit d'ailleurs d'être revenu de ses erreurs, d'avoir quitté les sentiers où il errait en proie à ses illusions. Il met bien au-dessus de son antique profession, les études philosophiques et chrétiennes qu'il entreprend. Ce n'était pas à la vertu qu'il formait jadis les âmes des jeunes gens, il ne les façonnait qu'à une argumentation subtile. « Non ad virtutem, sed plane ad argutam malitiam juvenes erudiebamus. » Maintenant c'est la vérité, c'est la règle des mœurs qu'il va développer à leurs yeux, et faire pénétrer dans leurs âmes. S'il doit quelque avantage à ses études passées, ce sera de parler des doctrines nouvelles avec plus d'éloquence et de facilité. Au fond, dans cette direction nouvelle, dans ce nouvel emploi de ses facultés, il se soucie peu d'éloquence; on voit percer partout un profond mépris des anciens. Il leur prodigue les plus dures épithètes; la moins blessante est qu'ils sont des sots. " Stulti quos Sibylla Erythræa κωφοὺς καὶ ἀνοήτους vocat, surdos scilicet et vecordes (2). » On ne demandera pas de plus longues preuves. Il suffit d'inscrire le titre ou le résumé du chapitre XV des Institutions divines : « Quare sapientes habentur pro stultis et quomodo in duabus præcipue virtutibus, pietate scilicet et æquitate, justitia constet, et quid pietas secundum Trismegistum, et quid æquitas secundum Ciceronem: quarum

(1) Lib. I, ch. XV, quâ ratione homines dii coeperint nominari (3) Lib. v. ch. XIV.

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