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L'épreuve qu'Aristote a fait subir à l'esprit d'Alexandre, pour s'assurer de la solidité de son jugement et de la bonté de son cœur, est singulièrement travestie dans le roman populaire; il en est de même des combats ou déjà s'annonçait la vaillance du futur conquérant du monde. Nous n'en voyons plus ici qu'un misérable tableau. Un jour, est-il dit, Aristote réunit tous les enfants de son école ayant le même âge; il les partage en deux groupes, arme chacun de ceux qui le composent d'un bâton. D'un côté Alexandre commande, de l'autre c'est Ptolémée. Aristote donne le signal. Le combat s'engage; le fils de Philippe s'élance au milieu des rangs ennemis, et, en moins de rien, il a remporté sur eux sa première victoire. Le Stagirite y voit le présage de beaucoup d'autres; il en augure la future grandeur de son élève. Il n'est pas moins satisfait de la réponse d'Alexandre, qui n'a pas ici la même prudence que dans le Pseudo-Callisthène, mais promet plus naïvement au philosophe un avenir plein de magnificence et de grandeur, si jamais son disciple arrive au trône : Διδάσκαλε, ἀνίσως γένῃ αὐτὸ ὁποῦ λέγεις, καὶ γίνω αὐτοκράτωρ τοῦ κόσμου ὅλου, ἐσένα θέλω σὲ κάμει μέγαν ἄνθρωπον, νὰ ἦσαι να πάντα μετ' ἐμένα. Καὶ ὁ ̓Αριστοτέλης τοῦ εἶπε. Χαῖρε λοιπὸν ̓Αλέξανδρε Αὐτοκράτωρ, ὅτι εἰς ἐσένα θέλει ἔλθει τὸ βασίλειον νὰ ἐξουσιάσῃς ὅλον τὸν κόσμον ('). La conception et la langue ont marché du même pas, et sont l'une et l'autre descendues, on le voit, assez bas.

Aristote ne paraît plus dans la narration que sur les bords du fleuve Kassandra, en Macédoine. Il vient avec Olympias rendre hommage au guerrier victorieux, dont il reçoit de magnifiques présents.

Une particularité de cette version, c'est qu'au lieu d'une lettre à Aristote, comme dans le Pseudo-Callis

(1) P. 16.

thène, l'auteur, pour marquer les rapports qui n'ont cessé d'exister entre le maître et l'élève, imagine de faire entreprendre à Aristote le voyage de Babylone. Alexandre est dans cette ville, entouré de toute la pompe orientale. Il a une cour de princes et de rois. Il en est venu du levant et du couchant, du nord et du midi, de la terre ferme et des îles de la mer; tous lui ont apporté le tribut de plusieurs années. C'est au milieu de ce somptueux appareil que paraît Aristote. Il est envoyé près du roi par Olympias. A sa vue Alexandre se réjouit, il l'embrasse. « Tu as bien fait de venir à moi, tête précieuse, toi qui brilles ainsi que le soleil au milieu de tous les Grecs. » Redoublant de tendresse, il lui donne les noms que l'affection la plus vive lui suggère; il l'accable de questions; il lui fait les récits de ses courses qui l'ont porté jusqu'au Paradis. Aristote félicite son élève. Il le salue roi du monde. Il lui assure que la joie règne dans l'univers, ainsi que la paix, grâce à ses conquêtes et à son empire. « Ta mère, lui dit-il, est pleine de bonheur au récit de tes vaillants exploits; mais elle voudrait bien te revoir, elle voudrait bien voir Roxandre, ton épouse.

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Alexandre, au souvenir d'Olympias, verse des larmes; il s'afflige du chagrin qu'elle ressent.

le festin commence : Aristote y

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Cependant, le festin prend place à côté du roi. Τὴν ἄλλην ἡμέραν ἔδωκεν ὁ ̓Αλέξανδρος συμπόσια πολλὰ εἰς τοὺς βασιλεῖς καὶ αὐθεντάδες, ὁποῦ ἦσαν μαζῆ του, καὶ εἰς ὅλα τὰ φουσάτα του. Ἦλθαν καὶ ἀπὸ τὸν τόπον τῆς ἀνατολῆς καὶ τῆς δύσεως, ἀπὸ τοῦ βορέως τὰ μέρη, καὶ τοῦ νότου, καὶ ἀπὸ τὰ νησία τῆς θαλάσσης, ὅλοι οἱ αὐθεντάδες, φέροντες πολλῶν χρόνων χαράτζιον, μὲ δῶρα πολλά. Ἦλθε καὶ ὁ ̓Αριστοτέλης ὁ διδάσκαλός του ἀπὸ τὴν μητέρα του τὴν Ὀλυμπιάδα. Ὅταν τὸν εἶδεν ὁ ̓Αλέξανδρος, ἐχάρη, ἐφίλησέ τον, καὶ εἶπε · Καλῶς μᾶς ἦλθες πολύτιμον

κεφάλι, ὁποῦ λάμπεις ὡσὰν ὁ Ἥλιος ἀνάμεσα εἰς τοὺς Ἕλλη νας... » (1)

Le philosophe s'étonne que son élève ait pu accomplir des exploits tels qu'il n'y en eut jamais de pareils, qu'il n'y en aura jamais de semblables au monde. Alexandre explique ainsi tous ses succès: «J'ai quatre avantages: un bel accueil, de la franchise, je me conduis par ma propre raison, j'ai le jugement juste et la foi en Dieu, créateur du ciel et de la terre. » Τέσσαρα καλά ἦσαν εἰς ἐμένα· πρῶτον, καλὸν χαιρέτημα· δεύτερον, ἀλήθεια· τρίτον, ἀπὸ τὸν λόγον μου νὰ μὴν εὐγαίνω ̇ τέταρτον, ἡ κρίσις μου νὰ ἦναι δικαία, καὶ νὰ πιστεύω τὸν Θεὸν τοῦ οὐρανοῦ καὶ τῆς γῆς, ὁποῦ ἔπλασε τὰ πάντα (*).

L'auteur profite de la présence d'Aristote pour faire tenir à son héros des propos pleins de sagesse et empreints d'une philosophie qui rappelle celle de la Cyropédie de Xénophon. C'est la vue d'Aristote qui inspire sans doute, dans la même circonstance, au conquérant du monde quelques actions ou jugements où il ne dépend que de nous de retrouver les heureux effets d'une bonne éducation.

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Aristote se sépare enfin de son élève; mais ce n'est pas sans emporter de riches présents; il reçoit le diadème du roi Porus, sa tente, dix mille talents d'or et trente boisseaux de perles. « Μετὰ ταῦτα ἐκάλεσε τὸν διδάσκαλόν του τὸν ̓Αριστοτέλην, καὶ ἐφιλοδώρησέ τον, δίδοντάς του τὸ στέμμα του Πόρου τοῦ βασιλέως, καὶ τὸ ἐπανωφόρι, δέκα χιλιάδες τάλαντα χρυσᾶ, καὶ τριάκοντα μέδια μαργαριτάρι. » Jamais précepteur de prince ne fut si richement récompensé.

La Ριμάδα, ou poëme en vers rimés sur la vie

(*) Ρ. 141.

(*) Ρ. 143.

d'Alexandre ('), ne dit presque rien de l'éducation du héros :

Είχε διδάσκαλον καλόν, τὸν μέγ ̓ Αριστοτέλην

Κ ̓ αὐτίνον τὸν Διάνιδα, ποὖχαν κ ̓ οἱ δυὸ τὰ θέλει.

Elle n'ajoute rien aux détails que nous avons déjà fait connaître. Là s'achève ce que nous pouvons dire sur la légende d'Aristote, telle qu'elle s'offre à nous dans les ouvrages grecs écrits au début et presque à la fin du moyen âge. Il nous faut arriver aux romans et aux fabliaux français.

Le nom d'Aristote n'a jamais été inconnu dans l'Europe occidentale, et surtout dans la France. Il Ꭹ fut porté par les traducteurs latins de ses œuvres, comme Boèce et Aventinus, ou conservé par les citations de Cicéron, de Victorinus, etc. Parmi les savants, il existait très-anciennement un recueil d'axiomes tirés

des ouvrages physiques et métaphysiques d'Aristote, qui donnaient une idée succincte de toute sa doctrine (2). Il n'entre pas dans mon plan de rechercher ce que les philosophes du douzième et du treizième siècle ont pensé d'Aristote; je m'occupe de traditions qui n'ont rien à démêler avec la science et l'érudition, puisqu'elles sont nées précisément de leurs contraires; il n'est pas inutile toutefois de résumer en quelques mots l'histoire d'Aristote dans les écoles du moyen âge.

(1) Ἱστορία εἰς ὁποίαν περιέχεται ὁ βίος καὶ ἡ ἀνδραγαθίαισ τοῦ περιβοήτου βασιλέως Αλεξάνδρου τοῦ Μακεδόνος, υἱοῦ τῶν θαυμαστῶν βασιλέων Φιλίππου καὶ Ὀλυμπιάδος, νεωστὶ τυπωθεῖσα, καὶ μέτ ̓ ἐπιμελείας διορθωθεῖσα ; Venise, On attribue le poëme à Démétrios Zénos. M. Sathas ne parle pas de cet auteur dans sa Φιλολογία Νεοελληνική.

1778.

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(2) Amable Jourdain, Recherches critiques sur l'âge et l'origine des traductions latines d'Aristote, etc., nouvelle éd., 1843, ch. I, p. 21.

Depuis Roscelin jusqu'à Albert le Grand, c'est-à-dire dans la première époque de la philosophie dite scholastique, Aristote n'est connu que comme dialecticien. Sa dialectique fait délirer Abélard dans ses raisonnements sur l'Écriture sainte. Aristote est le maître des sophistes; c'est lui qui inspire les nouveaux sophistes Pierre Lombard, Pierre de Poitiers, Gilbert de la Porée. Gauthier de Saint-Victor s'exprime ainsi sur leur compte : "Uno spiritu Aristotelico afflati, duo ineffabilia Trinitatis et Incarnationis scholastica levitate tractarunt, multas hæreses olim vomuisse... » Au poëme de l'AntiClaudien, Aristote figure dans l'un des tableaux qui ornent le palais de la nature, sous cet aspect :

Illic arma parat logico, logicæque palestram
Pingit Aristoteles.

Depuis 1230 ou 1240, dit Jourdain, la réputation du philosophe s'est tellement accrue par l'introduction de ses ouvrages philosophiques, qu'on oublie ses premiers titres pour ne plus parler que de ses travaux sur la nature, ce qui le fait appeler Princeps philosophorum.

Plus la réputation d'Aristote s'accroît dans les écoles, plus elle doit se répandre même parmi ceux qui, sans faire les études scholastiques, participent un peu au mouvemeut intellectuel des écoles. Il était difficile qu'il n'en fût pas ainsi, quand l'Église s'inquiéta de l'influence du Stagirite dans l'enseignement de la théologie. Son nom se trouva bientôt mêlé à des excommunications retentissantes. La condamnation des erreurs d'Amaury amena celle de certains écrits du précepteur d'Alexandre. Une première interdiction frappa quelques ouvrages du philosophe grec. Des historiens, comme César d'Heisterbach, comme Guillaume le Breton, enregistrent la sentence du Concile de Paris, qui

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