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fête, ceux qui ont des femmes cachées, qui reçoivent des présents, embrassent de nouvelles doctrines, vivent dans la débauche. Les abbés ont aussi leur part dans cette virulente satire; on voit en effet dans les flammes des abbés brigands, avares, ivrognes, d'autres simplement enjoués. Les abbesses ne sont pas épargnées davantage. L'enfer recèle et punit les abbesses qui n'honorent point leurs abbés, celles qui s'abandonnent à une vie impudique, à l'ivrognerie, celles aussi qui sont bigames (1).

Jusque dans le paradis, le satirique poursuit les membres du clergé de ses censures. Il y voit en effet des évêques qui n'y ont pas de trône, des prêtres qui n'y ont point d'étoles: ils ont été appelés et n'ont pas été élus, ils expient les désordres de leurs femmes sur la terre. Il eût été plus piquant, mais moins juste, peutêtre, d'exclure les évêques du paradis, comme on disait au XVIIe siècle à une provinciale admirant une cérémonie religieuse où huit évêques officiaient, et s'écriant dans sa naïveté: « N'est-ce point ici le paradis? - Non, il n'y a point tant d'évêques.

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Un pareil ouvrage donne à celui qui le compose une juridiction absolue sur tous les ordres de la société, les rois eux-mêmes ne peuvent y échapper, et l'écrivain qui a composé la révélation qui nous occupe n'a pas épargné les souverains de Constantinople. Il voit, en effet, dans le ciel, un trône vide; derrière, se tient un ange redoutable. Il apprend de lui que ce trône est celui de Jean Tzimiscès, le meurtrier de Nicéphore Phocas. Par une imagination vraiment saisissante, le satirique prête la parole à l'empereur assassiné, et on l'entend s'adresser à son meurtrier : « Seigneur Jean, pourquoi m'as-tu fait périr dans un meurtre injuste? Ne savais-tu pas

(1) C'est-à-dire, probablement celles qui se remarient.

que nous avions mis nos mains l'une dans l'autre dans Sainte Sophie; que nous nous étions promis la paix l'un à l'autre? Tu n'as point observé nos conventions, et maintenant tu jouis de ton crime. » A ces paroles, Tzimiscès ne répond que par des gémissements et des cris de douleur. « Hélas, malheur à moi!"

Voilà, je crois, une scène qui relève avec bonheur cette élucubration monacale. Dans un état comme celui de Constantinople, où les princes mouraient si souvent victimes de menées odieuses et d'assassinats que la débauche et la perfidie provoquaient, il était bon qu'une voix vengeresse s'élevât en faveur de la justice et du droit. Il faut savoir gré à cet écrivain, ridicule lorsqu'il appelle la colère de Dieu sur les impies qui mangent de la viande et du fromage aux jours interdits, de s'élever au-dessus des préoccupations puériles des cloîtres, pour réclamer au nom de la conscience humaine, et placer au milieu des supplices éternels de l'enfer celui qui a joui un instant sur la terre du fruit de son crime et succédé sur le trône à la victime de son ambition.

Disons aussi à l'honneur du clergé de Constantinople que Nicéphore Phocas n'eut pas seulement, dans un récit de pure imagination, un vengeur de sa mort. Quoique ses ordonnances eussent soulevé contre lui le mécontentement des moines, en mettant des limites aux donations religieuses, le vieux patriarche Polyeucte refusa d'admettre dans Sainte Sophie l'assassin Tzimiscès, lorsque, quelques jours seulement après le meurtre, il voulut s'y faire couronner encore tout couvert du sang de son ami et de son parent. Toutefois Polyeucte céda quand le prince eut déclaré par un mensonge qu'il n'avait pris aucune part au crime; et la protestation du moine écrivain demeure seule ineffaçable et terrible encore.

C'était dans la nuit du 10 décembre 969, que Nicé

phore Phocas avait été égorgé. Tzimiscès mourut empoisonné le 10 janvier 976, c'est donc aux dernières années du Xe siècle que fut composé cet ouvrage. Cette date précise qui n'est pas un des moindres titres de ce manuscrit à notre intérêt, m'a servi à classer comme je l'ai fait plus haut la révélation de la Vierge vers le VIII° siècle. Le style de la première Apocalypse est d'une date beaucoup plus ancienne que celui du manuscrit 1631. Ce dernier, en effet, nous offre l'usage, non pas constant, mais régulier déjà, des formes qui prévaudront plus tard dans la langue moderne. On y lit χείρας μας ἐθήκαμεν — γράφουν τὴν ἁμαρτίαν καλά εἶσαι.

Voilà ce que j'ai cru devoir ajouter aux observations beaucoup trop sommaires de M. Constantin Tischendorf sur notre manuscrit grec 1631. J'ai pensé qu'il n'était pas inutile de faire mieux ressortir ce qu'il contient d'intéressant au point de vue historique. Quant au manuscrit 390, il est bon que l'on sache qu'il nous conserve un texte inconnu jusque là, et qu'il nous dispenserait désormais, si la chose en valait la peine, d'envier à Oxford, à Venise et à Vienne la possession d'une Apocalypse de Marie (1).

(1) Il faut lire dans l'Annuaire de l'Association pour l'encouragement des études grecques, année 1871, les Supplices de l'enfer d'après les peintures byzantines, par M. Léon Heuzey, de l'Académie des inscriptions et belleslettres j'en rapporterai ici les premières lignes : « J'avais écouté avec un intérêt particulier, dans la séance du 5 janvier, la lecture de M. Gidel, sur les Descriptions apocalyptiques de l'enfer, chez les grecs du moyen âge. Je me rappelais, en effet, avoir relevé curieusement sur les murs de quelques vieilles églises grecques. des peintures qui reproduisaient avec des détails presque identiques, le tableau des différentes catégories de damnés et toute la série des tourments qui leur sont infligés par la justice divine. Sur beaucoup de points, la description peinte peut même servir à combler les lacunes ou à réparer les omissions des manuscrits étudiés par M. Gidel. »

LA LÉGENDE D'ARISTOTE

AU MOYEN AGE.

On a fait de très-savants ouvrages sur Aristote, précepteur d'Alexandre le Grand. Il était naturel qu'on voulût savoir, s'il était possible, par quels principes l'illustre philosophe avait formé son illustre élève. On n'a pu recueillir sur ce point que des renseignements très-rares et des notions peu précises. Plus le problème était difficile, plus l'érudition devait s'appliquer à en donner une solution. Un peu d'opiniâtreté sied bien à la science: elle a même parfois ses témérités, en Allemagne surtout. Dans ce pays, on ne se résigne pas assez à ignorer, dit M. Egger. «On est souvent effrayé, ajoute le judicieux et éminent critique, de ce qu'elle entasse de volumes sur des sujets qui comportent à peine quelques pages d'assertions ou de conjectures discrètes. En ce qui concerne les rapports d'Alexandre et d'Aristote, la déclamation sophistique et la légende avaient, dès l'antiquité, trop complaisamment élargi le champ de l'histoire; chez les modernes, l'abus des conjectures aventureuses n'aura pas moins fait pour nous égarer (1). »

(1) Voir les Mémoires de littérature ancienne, XVIII, Aristote considéré comme précepteur d'Alexandre le Grand, où l'auteur apprécie l'ouvrage de M. Geier: Alexandri Magni historiarum scriptores ætate suppares. Vitas enarravit, librorum fragmenta collegit, disposuit, commentariis et prolegomenis illustravit R. Geier, Lipsiæ, 1834, in-8.

Ce n'est pas un travail de ce genre que j'entreprends ici. Je veux suivre, non plus dans l'antiquité, mais dans les temps à moitié obscurs du moyen âge, l'idée qu'on s'est faite d'Aristote. Il ne s'agit plus de l'opinion des anciens sur cet homme, plus grand par sa science que par l'honneur qu'il eut d'élever un prince. Je voudrais rassembler dans cet essai les textes des ouvrages populaires soit en grec, soit en français, où Alexandre et son maître ont une mention. Il peut y avoir, il me semble, quelque intérêt à se donner le spectacle d'une vérité historique qui s'altère par l'ignorance; à suivre le progrès d'une légende à travers les âges où l'imagination du vulgaire, et même celle des savants, brode mille capricieux détails sur un fond dont la solidité s'use et se détruit chaque jour davantage. Les créations de l'ignorance sont, au même titre que celles de la science, dignes de l'attention de quiconque veut connaître les lois mystérieuses de l'esprit humain.

A le bien prendre, la légende a commencé de bonne heure pour Aristote comme pour Alexandre son élève; il y a des fables dans sa biographie rédigée par Diogène de Laërte, il y en a dans celle des anonymes. Les ouvrages apocryphes, mis sous le nom du Stagirite, n'étaient pas faits davantage pour dissiper les obscurités qui entourent certaines circonstances de sa vie (1).

Toutefois le premier ouvrage qui commence la liste des compositions légendaires que nous avons en vue

(1) Parmi les nombreux biographes d'Aristote dans l'antiquité on cite: Hermippe, de Smyrne; Timothée, d'Athènes; Démétrius, de Magnésie; le Pseudo-Aristippe; Apollodore, d'Athènes; Eumélos; Favorin; Aristoxène, de Tarente; Apellicon, de Téos; Sotion; Aristoclès, de Messène; Damascius; Andronic, de Rhodes; Ptolémée Philadelphe. De tous ces écrits il ne reste que cinq biographies d'Aristote, celles de Diogène de Laërte, de Denys d'Halicarnasse, dans sa première lettre à Amméus, du Pseudo-Ammonius, d'Hésychius de Milet, et d'un anonyme. L'article de Suidas a été pris en partie mot pour mot de la biographie de l'anonyme. (Voir l'Histoire de l'ancienne littérature grecque, de Donaldson, traduite en grec par M. J.-N. Valettas, t. I, p. 162).

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