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plus encore: quoiqu'elle n'ait point quitté la terre, elle a sa place dans la Sainte Trinité et ceux qui ne croient ni au Père, ni au Fils, ni au Saint-Esprit, qui refusent de croire que Marie soit la mère de Jésus-Christ, sont punis du même supplice.

On voit aussi combien l'on se figurait puissante et irrésistible l'intercession de la sainte Vierge auprès de Dieu. En vain l'archange saint Michel et les anges avaient sept fois le jour et sept fois la nuit répandu leurs prières devant le Très-haut en faveur des coupables; la justice divine était demeurée inexorable. Mais quelques larmes de la sainte Vierge auront cette victorieuse efficacité. Ce triomphe d'une mère n'a rien qui surprenne ceux qui ont lu dans Gautier de Coinsy, moine du XIIe siècle, tant de légendes miraculeuses où la Vierge intervient et marque la force de son intercession, au risque de scandaliser des âmes plus sensibles au dictamen de la raison que dociles aux enseignements de la dévotion. On sait l'historiette de cette femme qui, pratiquant tous les jours la dévotion de saluer les images de la Vierge, vécut toute sa vie en péché mortel et fut pourtant sauvée, car notre Seigneur Jésus-Christ la fit ressusciter exprès. J'ai lu chez un prédicateur du moyen âge l'aventure à peu près semblable d'un moine. Chaque nuit, il quittait le couvent, non pour quelque œuvre pie; mais, en traversant le choeur de la chapelle, il n'avait jamais manqué de faire une dévote révérence à la Vierge. Il s'en trouva bien, car, ayant à passer un ruisseau qui avait débordé la veille, il s'y noya. Déjà les mauvais anges s'étaient emparés de son âme et la conduisaient en enfer; la Vierge intervint, réclama pour son serviteur et l'arracha à la damnation éternelle.

Le zèle de l'auteur à célébrer la Mère de Dieu ne lui fait pas oublier ses propres intérêts, ou du moins ceux

du corps dont il fait partie. On a remarqué sans doute que ces chrétiens qui restent dans leur lit le saint jour du Dimanche, dès que l'aube a paru sont condamnés à des supplices sans fin. Il en est de même des fidèles qui négligent de saluer les prêtres qui entrent dans les églises ou bien en sortent, parce qu'ils sont les messagers de Dieu. On ne pouvait pas assez fortement imprimer dans les esprits le respect dû au clergé.

A propos de l'Apocalypse de saint Paul, un des plus anciens ouvrages en ce genre, M. Constantin Tischendorf fait observer qu'il n'est peut-être pas de langue soit en Orient soit en Occident où l'on ne retrouve une version de cette vision miraculeuse; l'Arabe et le Syriaque ont servi aussi bien que le latin à la propagation de ces œuvres édifiantes. Les langues issues du latin, la langue d'oc et la langue d'oïl, nous offrent des exemples semblables. Dans le manuscrit d'Urfé, folio 134, verso, colonne 5, chapitre 963, je trouve, en provençal, une imitation de l'Apocalypse de l'apôtre ainsi annoncée : Aiso es la revelatio que Dieu fe a sant Paul et a sant Miquel de las penas dels y ferns. Je me serais peut-être abstenu d'en parler ici, si, parmi beaucoup de détails directement traduits de l'Apocalypse de saint Paul éditée par M. Tischendorf, il ne se rencontrait des passages étrangers à ce texte et absolument semblables à quelques-uns de ceux que nous lisons dans la Vision de la sainte Vierge. Ainsi telle est cette particularité: San Paul vi denan las penas d'ifern, albres de foc on vi los peccadors tormentatz e pendutz. En a quels albres li un pendia per los pes, els autres per las mas, els autres per las lengas, els autres per las aurelhas, els autres per los brasses. Et entorn los albres avia VII flamas ardens en diversas colors.

Dans le texte provençal comme dans l'apocalypse de Marie, coule un fleuve épouvantable où maintes âmes

sont plongées, las unas tro als ginhols, las autras tro las aurelias, las autras tro las Carias (?), las autras tro als sobresilhs.... ailleurs on retrouve les mêmes coupables ayant autour du cou des serpents de feu enlacés e tenian en lors cols serpens e drago e foc. Les mêmes supplices éternels sont également réservés à ceux que non creyran Jhû Crist qui vengues en la verge sancta Maria.

Ozanam dans son live sur Dante et la Philosophie Catholique au XIII° siècle, donne une Vision de SaintPaul, poème inédit du XIII° siècle. Les vers français sont une reproduction exacte de la pièce provençale dont je viens de citer des extraits. Les mêmes détails s'y rencontrent; je crois inutile d'en charger ici mon travail. Peut-être ai-je suffisamment fait comprendre par ces textes rapprochés les uns des autres, que les échos des moines du mont Athos sont parvenus jusqu'en France dans leur forme originale, et que les rapports de l'Occident avec la Grèce n'ont jamais été interrompus, même dans les siècles où l'on affirmait autrefois que la langue grecque était inconnue (1).

En terminant ses observations sur les trois manuscrits de l'Apocalypse de Marie, M. Constantin Tischendorf ajoute quelques détails sur un manuscrit grec que possède notre grande bibliothèque de Paris, c'est le

(1) « Au IXe siècle, Halitgaire, évêque de Cambrai en 817, a dû nous enrichir de plusieurs manuscrits grecs pendant son ambassade à Constantinople; car il cite 24 auteurs ecclésiastiques des deux langues savantes dans une épître dédicatoire Vers l'an 835, l'auteur de la Vie de Saint Angésilde rapporte que cet abbé avait donné à l'abbaye de Fontenelle 31 volumes, parmi lesquels on lit le titre de l'histoire par Josèphe, comme parmi les 49 qu'il avait donnés à une autre abbaye, on remarque l'histoire ecclésiastique d'Eusèbe, la chronique du même auteur, et le traité d'arithmétique de Cassiodore. L'abbé de Fontenelle faisait alors bâtir exprès une tour pour y garder ses livres avec plus de sûreté : domum vero qua librorum copia conservaretur, quæ græce upyos dicitur, ante refectorium collocavit, cujus tegulas clavis ferreis configi fecit. Petit-Radel, Recherches sur les bibliothèques, pp. 60 et 62. »

no 1631. « Similis operis dit-il, posterior pars superest in codice Parisiensi 1631, sæculi fere decimi tertii. » Cette énonciation pourrait donner lieu à une équivoque. On croirait que ce manuscrit contient aussi une Apocalypse de la Vierge. Je n'oserais dire que M. Tischendorf le pensât; cependant, j'incline au fond à le croire. Il me semble avoir parcouru très-légèrement le texte, et ce pourrait bien être là une cause d'erreur. D'abord, il fait commencer le fragment qu'il cite, au verso d'un feuillet, tandis que le recto de ce même feuillet appartient à l'ouvrage qu'il examine. De cette manière, il introduit tout de suite la Vierge Marie; nous la voyons dans son rôle de clémente intercession auprès de Dieu « ἡ δὲ ἁγία θεοτόκος παρακαλεῖ καὶ (δυσωπεῖ) τὸν θεὸν λέγουσα· ἐλέησον τὸν κόσμον σου καὶ μὴ ἀπολέσῃς τὰ ἔργα τῶν χειρῶν σου. » — - Rien n'empêche de croire, si l'on se contente des extraits fort courts du savant éditeur, que la révélation ne soit faite à la Mère de Dieu, comme dans la précédente Apocalypse. Il n'en est absolument rien. En remontant, en effet, au recto du feuillet dont je parle, on voit le héros de cette Apocalypse, interroger l'ange qui le conduit, sur quatre femmes assises auprès du trône de Dieu et l'ange lui répond: « l'une est la sainte Mère de Dieu.” Voilà donc Marie entrée dans la gloire éternelle, ayant la vision complète des choses et nullement obligée de recourir au ministère et aux révélations des anges. Du reste, deux passages seulement, mais décisifs, établissent le sexe du voyageur miraculeux au recto du fo 2, il dit de lui-même xxi 0ɛwpouvτós μov ταūta; au fo 10 verso, ἀτενίζοντός μου. Nous pourrions done bien avoir ici une version de la révélation de Saint Paul.

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Je ne dirai rien des différents spectacles qui passent sous les yeux du mystérieux personnage; ce sont à peu près les mêmes qu'on rencontre partout. Je ne m'arrê— terai que sur quelques observations particulières à ce

texte. J'y remarque d'abord un goût singulier d'allégorie. Il y a là comme un prélude aux jeux d'esprit, dont le Roman de la Rose continuera trop longtemps l'usage. Ainsi, l'on voit figurer sur les degrés du trône de Dieu ces personnifications étranges Le mercredi saint, Ἡ ἁγία Τετράδη, la sainte Parasceve ou vendredi saint, Ἡ ἁγία Παρασκεβή (παρασκευή) et la sainte journée du Seigneur ou dimanche Ἡ ἁγία Κυριακή.

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Ces personnages qui doivent leur naissance à la subtilité d'esprit propre aux byzantins, ne sont point enflammés du feu de la charité. Ils respirent la colère monacale et une implacable haine contre les hérétiques. Submerge les hérétiques, ô Seigneur, dit le dimanche; nous ne pouvons supporter davantage leurs honteuses actions. Voilà qu'à partir de la neuvième heure du sabbat jusqu'à la seconde du jour suivant, leurs enfants travaillent sans respecter le jour de ta résurrection; ils allument leurs fours, ils vont dans leurs voies et font d'autres ouvrages des mains. Submerge-les, Seigneur, dans les flots de la mer. » Et une voix répondant à leur appel, maudit cette gent odieuse. De leur côté, le mercredi saint et la sainte Parascevé réclament les mêmes supplices contre les hérétiques qui mangent de la viande et du fromage pendant ces jours profanés par leur gourmandise. Et la même voix terrible les condamne et les maudit. Heureusement, la Sainte Vierge arrête l'effet de ces plaintes et de ces menaces: mais la colère de Dieu n'est que suspendue sur ces têtes coupables.

Un autre caractère de ce fragment, c'est l'ardeur des invectives contre les membres du clergé qui, à tous les degrés, manquent à leurs devoirs. Au plus profond des enfers, dans les flammes les plus dévorantes, l'auteur a placé les prêtres bigames, les abbés fastueux, les prêtres qui traînent les fidèles devant les tribunaux, ceux qui voient leur femme les dimanches et les jours de grande

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