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ÉTUDE

SUR UNE

APOCALYPSE DE LA VIERGE MARIE

MANUSCRITS GRECS, N° 390 ET 1631, BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE PARIS (')..

M. Constantin Tischendorf dans un volume publié par lui à Leipzig en 1866 sous ce titre Apocalypses Apocrypha Mosis, Esdræ, Pauli, Johannis, etc., indique, sans en donner le texte en entier, une Apocalypse de la vierge Marie écrite en grec dont un manuscrit se trouve à Oxford, Bibliothèque Bodléienne, un autre à Venise, Bibliothèque de Saint-Marc, et enfin un troisième à Vienne, Bibliothèque impériale. Il ne dit rien d'un manuscrit grec à nous appartenant qui porte le n° 390 et renferme une Apocalypse de la Vierge. Il n'est pas étonnant qu'il ait échappé aux recherches de cet amateur érudit de livres apocryphes. Le titre qu'il porte fragmenta de Liturgia, ne fait pas soupçonner autre chose qu'une espèce d'Eucologe. Pourtant rien n'est moins exact; c'est de ce volume que j'ai tiré le texte d'Apollonius de Tyr, cité par Ducange dans son Glossaire de la basse grécité. A la suite de ce poëme,

(1) Lecture faite à l'Association pour l'encouragement des études grecques en France, dans la séance du 5 janvier 1871, le premier jour du bombardement de Paris par les Prussiens.

au f 174, vient un écrit en prose portant cette indication : Ἡ ̓Αποκάλυψις τῆς ὑπεραγίας Θεοτόκου καὶ ἀεὶ Παρθένου Μαρίας. Δέσποτα ευλόγησον. La première fois que je vis cette révélation faite à la Vierge des tourments des damnés, car il s'agit d'une descente aux enfers, ma curiosité vivement excitée, se trouva bien vite déjouée; les trois derniers feuillets du volume ne conduisaient pas très loin sainte Marie, et je n'espérais pas retrouver la suite de son voyage dans le manuscrit 390. Cependant en regardant de plus près la première page de ce recueil qui semblait au premier abord ne se rapporter à rien, j'y découvris la suite des derniers feuillets transposés maladroitement par le relieur, ainsi qu'il arrive souvent pour les manuscrits grecs contenant des productions de la littérature du moyen âge. Malheureusement ce fragment est très court, et il nous laisse encore désirer la fin de cette Apocalypse. Les manuscrits consultés par M. Tischendorf, suppléeront à notre texte et nous montreront la sainte Vierge dans son rôle tout puissant de clémence, désarmant, suivant des idées chères au moyen âge, l'éternelle justice de Dieu.

Voici l'analyse du texte grec coté sous le n° 390: « Marie en prières sur le mont des Oliviers conçoit le désir de connaître et de voir les châtiments auxquels sont condamnés les pécheurs dans les enfers. Sa voix s'élève vers le ciel et implore son fils, « écoute ta servante lui dit-elle. Aussitôt descend vers elle l'Archange Michel accompagné de quatre cents anges. saint Michel salue la Vierge bénie des noms les plus glorieux; de son côté, Marie répond à l'archange en reproduisant cette polyonymie dont les litanies chrétiennes ont emprunté l'usage au culte des païens. Les anges ne sont pas oubliés non plus dans cet échange de

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politesses graves et saintes. « Bienheureux archange, dit la Vierge, occupée des pécheurs, dévoile à mes yeux toutes choses dans le ciel et sur la terre. » Et le chef des milices célestes lui promet d'obéir à ses ordres. « Montremoi, dit Marie, et le nombre des châtiments que subissent les pécheurs et les lieux où ils endurent leurs souffrances. Ces tourments sont nombreux, on ne saurait les compter. -Montre-les moi, dit la mère du Christ.

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Aussitôt sur l'ordre de saint Michel les quatre cents anges enlèvent la Vierge et la conduisent aux lieux où est l'Adès. Et la Vierge vit là les pécheurs torturés; une multitude d'hommes et de femmes. Il sortait de ce lieu un bruit de pleurs et de grincements de dents. « Qui sont ces pécheurs, dit Marie à son guide et quel fut leur péché? Ce sont, répond son divin guide, ceux qui n'ont point confessé le Père, le Fils et le SaintEsprit, qui n'ont point cru à la mère de Dieu sans tache; et c'est pour cela qu'ils sont ainsi punis.,

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Et la sainte Vierge vit en un autre endroit de grandes ténèbres, et elle dit à l'archange: «quelles sont ces ténèbres-ci et qui sont ceux qui les habitent. Et l'archange lui répondit : de nombreuses âmes de pécheurs y sont plongées. Que ces ténèbres disparaissent, dit la Vierge à l'archange, afin que je voie aussi ces tourments. » Et les anges qui gardaient les damnés, lui dirent nous avons recommandation du Père invisible de les empêcher de voir la lumière jusqu'au jour où brillera son Fils, dont l'éclat sera plus resplendissant que celui du soleil. » Et la Vierge élevant ses yeux vers le trône du Père invisible dit : « moyennant la royauté et la divinité du Père et du Fils et du Saint-Esprit, que ces ténèbres s'enlèvent et que je voie ce supplice. » Et aussitôt les ténèbres s'enlevèrent et la Vierge voyant ce qu'elles recouvraient, pleura et dit : « infortunés, vos

tourments ne cessent-ils jamais? comment vous trouvezvous dans ces tourments?» Et nulle voix ne lui répondait. Et les anges qui les gardaient dirent aux suppliciés de répondre à la Vierge bénie, et les suppliciés leur dirent depuis des siècles nous n'avons pas vu la lumière et nous ne pouvons pas lui répondre.

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La sainte Vierge alla en un autre endroit où se trouvaient en quantité des hommes et des femmes, et au-dessus d'eux bouillonnait comme de la poix. Et voilà que la Vierge pleura sur eux et demanda à l'archange: «qui sont ceux-ci? quel est leur péché?» Et les suppliciés dirent : « comment t'inquiètes-tu de nous, ô reine, mère de Dieu, rempart des chrétiens, consolatrice des pécheurs?» Et la Sainte Vierge dit à l'archange : « pourquoi ceux-ci sont-ils punis? » Et l'archange lui répondit : « ce sont ceux qui n'ont point cru au Père et au Fils et au Saint-Esprit, qui n'ont pas confessé que de toi est né notre Seigneur Jésus-Christ et Dieu, qu'en toi il a pris chair; et voilà pourquoi ils sont punis.

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Et la sainte mère de Dieu pleura encore sur ces pécheurs et les ténèbres tombèrent d'en haut comme si on les versait sur eux. Et l'archange dit : «ô Vierge bénie, où veux-tu que nous allions, à l'occident ou au midi? » Et la Vierge répondit : « allons au midi là d'où sort un fleuve de feu. "

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Et en même temps le char des chérubins s'approcha, les quatre cents anges conduisirent Marie où elle voulait aller. Elle entra dans un lieu où elle vit quantité d'hommes et de femmes. Les uns étaient plongés dans le fleuve de feu jusqu'à la ceinture, les autres jusqu'à la poitrine, et les autres jusqu'au sommet de la tête. Ce que voyant, la Sainte Vierge pleura, et dit : « qui sont ceux-ci, quel est leur péché; qui sont ceux qui sont plongés dans le feu jusqu'à la ceinture? »

Et l'archange lui répondit : « ce sont ceux qui ont

hérité de la malédiction de leurs pères et de leurs mères; et c'est pourquoi ils sont punis.

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Et la sainte Vierge dit : « qui sont ceux qui plongent jusqu'à la poitrine? Ce sont ceux qui ont battu leurs pères ou leurs mères, qui les ont outragés, qui ont forniqué avec eux (1). » Et la Sainte Vierge dit : «qui sont ceux qui plongent dans la flamme du feu jusqu'au cou? » Et l'archange dit : « ce sont ceux qui ont mangé de la chair des hommes. » Et la Vierge dit : « comment un homme peut-il manger la chair d'un homme?» Et l'archange répondit : « ceux qui ont injustement partagé avec leurs frères, qui n'ont point eu pitié d'eux; et les femmes ont mangé de leur chair, et en ont donné à manger aux petits chiens. Et c'est pour cela qu'il sont punis. "

Et la sainte Vierge dit : «qui sont ceux qui sont plongés dans le feu jusqu'au sommet de la tête? » Et l'archange dit : « ce sont ceux, ô Vierge sainte, qui jurent par la précieuse croix et mentent ensuite à leur

serment. "

Tu n'as pas encore vu, ô Vierge pleine de grâce, les grands châtiments. Et l'archange dit : « où veux-tu que nous allions, à l'occident ou au midi?» Aussitôt, le char des chérubins s'approche, et les quatre cents anges enlèvent la Vierge et la conduisent dans un endroit où se trouvaient des lits dressés sur la flamme du feu; et là étaient couchés en grand nombre des hommes et des femmes, et des dragons de feu.

(1) Le texte porte ouvréxvous, M.Brunet de Presle, pensait que cúvτexvos désigne celui avec lequel on a tenu un enfant sur les fonts de baptême, compère, commère. On sait, en effet, qu'il naissait de cette circonstance des liens étroits entre les personnes. Estienne, évêque de Tournay, dit même que celui qui baptise un enfant (s'il est laïque), contracte une affinité spirituelleavec la mère, qui l'empêche de pouvoir contracter mariage avec elle, ou de vivre avec elle comme avec sa femme, s'ils étaient mariés auparavant. (Ellies Du Pin, Histoire des Controverses ecclésiastiques, XIIe siècle, 2o partie, p. 593.)

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