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d'en représenter, parce qu'elles étaient ou ruinées ou possédées par les barbares, ou parce que la misère empêchait de trouver l'argent nécessaire pour ces divertissements, on en représentait toujours dans les principales villes, comme à Rome, comme à Ravenne, et, lorsque ceux qui n'en avaient point dans leur ville se trouvaient dans celles où il y en avait, ils prenaient part avec la même passion que les autres à ces plaisirs. Les habitants de Trèves, au milieu des ruines de leur cité, trois fois saccagée, dans l'attente d'un quatrième désastre, demandaient les spectacles de l'amphithéâtre et du cirque.

Les études se poursuivaient donc troublées et précaires. Jamais pourtant il n'y eut plus de beaux esprits, jamais on ne déploya dans les vers plus de subtilité, de finesse et de puérile élégance. On lisait Virgile, Ovide et Térence. « On néglige Paul et Salomon, dit Marius Victor, pour aller applaudir ce que Virgile a chanté de Didon, Ovide de Corinne, pour la lyre d'Horace, la scène de Térence. » Nous n'avons pas à refaire le tableau de la littérature latine à cette époque. Sidoine Apollinaire, Fortunatus, quelle que soit leur instruction, quoiqu'ils semblent ne pas ignorer le grec, Sidoine surtout, ne nous offrent pas de traces directes de leur communication avec les Grecs.

Nous notons avec plus de curiosité les écrits de Paulin. Il semblait destiné à écrire en grec il compose ses poèmes en latin; c'est à peine si le titre de l'un d'eux, Eucharisticon, rappelle sa première éducation. En effet, il était né à Pella, dans la Macédoine. A trois ans, il fut amené à Bordeaux où vivait encore son grand-père, Ausone. Le rhéteur gaulois, Ausone ne s'appliqua pas à étouffer l'hellénisme dans son petit-fils. Il avait à peine cinq ans qu'on lui fit étudier la philosophie de Socrate et la poésie d'Ho

mère. « Le grec était sa langue naturelle; il eut quelque peine à apprendre le latin, qui était pour lui une langue étrangère; il excuse par là sa manière d'écrire, et, en effet, elle a besoin d'excuse (1).

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Nous retrouvons la mème évolution dans le poète Claudien, c'est un transfuge du grec qui passe à la langue latine. Il était d'Alexandrie, en Egypte, il le dit lui-même en plusieurs endroits, c'est de là que Suidas l'a appris (2). C'est bien à tort qu'on a voulu le faire naître à Florence. Il s'appelait Claude Claudien. Il fit d'abord des vers en grec et l'on a encore un fragment d'un poème grec sur le combat des géants. « C'est sans doute sur cela, dit Tillemont, qu'Evagre et Suidas parlent de ses poésies. Son premier poème latin est sur les deux frères Olybre et Probin, consuls ensemble l'an 395. On ne peut douter qu'il n'ait vécu à Rome. On a trouvé dans cette ville l'inscription d'une statue qui lui avait été érigée dans la place Trajane, à la prière du Sénat, à cause de ces poésies (3). "

Une particularité singulière de cette inscription, c'est qu'après la dédidace latine, on lit ces mots grecs:

EIN ENI BIPгIAOZO NOON KAI MOYCAN OMHPOY
ΚΛΑΥΔΙΑΝΟΝ ΡΩΜΗ ΚΑΙ ΒΑΣΙΛΕΙΣ ΕΘΕCAN.

c'est-à-dire qu'à lui seul, il avait reçu le talent et l'inspiration de Virgile et d'Homère. Il convenait que cette inscription, par le mélange des deux langues, perpétuât le souvenir de l'origine grecque de Claudien (*).

(1) Ampère. t. II, p. 168.

(2) Pr. p. 11, 15.

(3) Tillemont. Les Emp. t. V. p. 657.

() Voici l'inscription latine : « Cl. Claudiano. V. C. Cl. Claudiano. V. C. tribuno et notario inter ceteras ingentes virtutes præglo-riosissimo poetarum licet ad memoriam sempiternam Carmina ab eodem scripta sufficiant attamen testimonii gratia ob judicii sui - fidem DD. NN. Arcadius et Honorius felicissim. — et doctiss. impp. senatu petente statuam — in foro divi Trajani erigi collocarique jusserunt. » Hederiche. Notitia auctor. antiq. et modern.

Wittenberg. 1714. p. 723.

Macrobe est encore un grec de naissance qui s'est appris à écrire en latin. « Je ne sais, dit Tillemont (1), si l'on aurait voulu marquer son pays par le mot de Sicetin ajouté à ses noms dans un manuscrit : mais je ne sais ce que c'est. » Il a vécu sous Théodose Ier (2). Erasme a dit de lui (3): « Macrobius Æsopica Cornicula ex avorum pannis suos contexuit centones. Itaque sua lingua non loquitur, et, si quando loquitur, Græculum latine balbutire credas. » Tillemont a répété ce jugement (*): «On prétend en effet que son élocution n'est ni pure ni belle, et que dans les endroits où il parle de luimême, on voit un grec qui bégaie.

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Que prouvent ces transformations d'hellènes en latins? Si ce n'est qu'à Rome, au commencement du cinquième siècle, l'érudition grecque avait baissé et qu'il eût été difficile de s'y faire comprendre en continuant de parler son langage naturel, quand on était né dans les contrées de l'Orient. Ne serait-ce pas cette décadence des études grecques qui, déjà en 376, aurait empêché le philosophe Thémistius, de céder aux offres qu'on lui faisait d'enseigner la philosophie dans Rome! L'empereur Valens l'avait envoyé de Syrie dans les Gaules vers Gratien; à son retour, il avait passé par cette

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(2) Outre les Saturnales de Macrobe, on a encore deux livres sur le songe que Cicéron attribue à Scipion. Ces deux livres ont été traduits en grec par Maxime Planude. On a encore sous le nom de Macrobe un livre de grammaire sur la conformité et les différences qu'il y a entre la langue grecque et la latine, et il paraît que Macrobe a fait un ouvrage sur ce sujet, mais que celui que nous avons est de Jean Erigène, auteur du IXe siècle, qui l'a fait sur celui de Macrobe, en y changeant et y ajoutant même diverses choses. Tillemont. V. p. 664.

Déjà Ammien Marcellin, né à Antioche, grec de nation, avait écrit en latin, l'an 390 à Rome. Il paraît qu'il est aussi l'auteur d'un ouvrage en langue grecque, sur les historiens et les orateurs de la Grèce, dont il existe un fragment intitulé : Μαρκελλίνου περὶ τοῦ Θουκυδίδου καὶ τῆς ἰδεάς αὐτοῦ àñò tỷs öλns Eurypapñs пapaбodý. Scholl. Hist. de la litt. grecq. t. VI, p. 202. (3) Ciceron. p. 148.

(4) T. V, p. 664.

grande cité. On essaya de l'y retenir, on voulut l'obliger à s'y arrêter en employant pour cela l'autorité de l'empereur; mais il ne voulut point et se hâta de retourner à Constantinople. Nous remarquerons qu'il résista de même aux sollicitations qu'on lui fit pour le retenir à Antioche et dans la Galatie.

Mais au moins fait-il l'éloge des Galates. Il prétend que dans ce pays, les esprits étaient vifs, ¿ɛîç xai ayy ívor, subtils et pénétrants, plus propres aux sciences que ceux des Grecs mêmes, et qu'ils les aimaient avec une extrême ardeur. Ces dispositions d'un peuple issu de la souche celtique justifient les observations que nous avons faites plus haut sur le génie des Gaulois et nous expliquent les progrès de l'hellénisme, tant en Irlande que dans le midi de la Gaule.

Rufus Festus Avienus interrompt cette série de Grecs devenus Latins, et nous ramène à nos études. On le voit en effet, au cinquième siècle, traduire en latin, après les tentatives de Cicéron et de Germanicus, les Phénomènes d'Aratus. Travailleur infatigable, il donna la traduction, en vers également, de la description du monde par Denys; gràce à lui, quarante-quatre fables d'Esope passèrent du grec en latin, nous croyons qu'il venait à propos pour soulager l'ignorance romaine (').

Il aurait été difficile que les études se maintinssent à Rome, surtout les études grecques, au milieu des alarmes, des troubles et des attaques répétées des barbares. Les soins que Théodose prenait à Constantinople pour maintenir les sciences ne pouvaient s'étendre jusqu'à Rome. Nous voyons en effet dans les lois de cet empereur que Constantinople devait avoir dix professeurs latins pour les humanités et autant de grecs. Une autre loi accorde la dignité de comte du premier ordre

(1) Servius dit qu'il avait mis Tite-Live en vers iambiques. Tillemont. V. p. 410.

à Hellade et Syrien, professeurs grecs en humanités, à Théophile, qui les enseignait en latin, aux sophistes Martin et Maxime et à Léonce, jurisconsulte. Elle accorde encore le même honneur à ceux qui auront professé vingt ans en l'auditoire du Capitole (à Constantinople). Nous chercherions vainement pour les études grecques, à Rome, rien de semblable à ce que Théodose faisait pour les études latines sur le Bosphore (1). Que pouvaient du reste faire les malheureux habitants d'une ville si souvent pillée, et enfin violemment séparée de Constantinople? Tout s'abaisse, Justin, fait empereur à 68 ans, était ignorant jusqu'à ne savoir pas lire.

Nous touchons pour l'Occident à l'époque où les études en général et surtout les études grecques s'affaiblissent beaucoup. On ne peut pas dire que ces dernières disparurent tout-à-fait, mais elles subirent une telle éclipse qu'on a pu croire qu'elles s'étaient tout-àfait éteintes. On en est réduit à transcrire en latin les actes du concile tenu à Constantinople en 553 contre Eutychès, parce que le pape Virgile n'entendait pas le grec et n'avait personne autour de lui qui pût le comprendre (*). Il devient de plus en plus rare qu'on cite dans l'église latine quelques hommes instruits dans la langue grecque, comme Fulgence, né dans Carthage et formé par les moines de l'Egypte (3).

(1) Tillemont. Les Emp. t. VI. p. 55. (2) Abrégé de l'Hist. ecclés., 576. On cite encore, à la même époque, un écrivain nommé Planciades Fulgentius, auteur de trois livres de mythologies, mythologiarum, d'un écrit De continentia Virgilii et de vocibus antiquis. Barthe, dans son commentaire sur Stace, t. III, p. 449, en dit ceci : Hæc Fulgentius. Quem scriptorem legendo miseratione temporum adficimur. Tanta enim ruditas a Græca litteratura erat, ut sibi adrogantiæ summæ homo omnia scribere licere crederet, modo vel auctores Græcos,. vel voces ejusdem linguæ per caput pedesque attrahere posset in medium, et inde suum negotium curare.

(3) Ibid. 594.

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