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un habitant, comme pour parfaire quelque œuvre. Il était hérissé et tout brûlé, de couleur noire. Comme il vit les serviteurs de Dieu passer près du bord, il retourna en son officine. L'homme de Dieu cependant, disait à ses frères : « Mes fils, tendez plus haut vos voiles, naviguez tôt, et fuyons cette île. » Quand il eut ainsi dit, revint l'homme d'auparavant au rivage devers eux; il portait une tenaille dans ses mains, et une masse toute vermeille d'écume de fer, d'extrême grosseur; laquelle il jeta hâtivement sur les serviteurs de Dieu, et ne leur nuisit point. Car elle les trépassa comme de l'espace d'un stade, où elle plongea dans la mer, et la fumée de la mer monta comme la fumée d'un fourneau ()..

"

Saint Colomban n'est pas moins versé dans la connaissance de l'antiquité grecque (3). C'est un poète, le plus grand poète de son temps. On n'est pas surpris de l'entendre invoquer à l'appui des maximes évangéliques l'autorité de Juvénal:

Semper avarus eget nummo, testante poeta (3).

On l'est davantage de le voir accumuler les souvenirs de la mythologie grecque dans une lettre à son ami Fedolius « Combien de maux a causés la toison d'or! Quelques grains d'or ont bouleversé le banquet des dieux, suscité le plus vif débat entre trois déesses, et armé le bras dévastateur de la jeunesse dorienne contre l'opulent royaume des troyens... Souvent une chaste femme vend sa pudeur pour de l'or. Jupiter ne se changea pas en pluie d'or; la pluie d'or, c'est l'or qu'offrait cet adultère. Pour un collier d'or, Amphiaraüs fut livré par une perfide épouse. Achille vendit à prix d'or les

(') La Légende de Saint Brandaine, publiée par Achille Jubinal. Cf. Odyssée, IX, 539.

(2) Usher. Ibid. p. 11.

(3) Usher. Sylloge epist. Hibern. p. 9.

restes du héros troyen; et l'on assure que le sombre asile de Pluton s'ouvre à qui paye une somme d'or. » M. Hauréau a raison de faire remarquer que cette ode païenne est écrite en vers adoniques, à l'imitation

des grecs; et que Saint Colomban, en désignant lui

même la douce lyre dont il s'est efforcé de reproduire les accords, nomme celle de la galante Lesbienne, l'illustre Sappho (1):

Trojugenarum
Inclyta vates
Nomine Sappho,
Versibus istis
Dulce solebat

Edere carmen.
Extitit ingens

Causa malorum

Aurea pellis.

Corruit auri

Munere parvo
Coena Dearum;
Ac tribus illis
Maxima lis est
Orta Deabus.
Hinc populavit
Trojugenarum

Ditia regna
Dorica pubes.

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Prodidit auro

Perfida conjunx.
Hectoris heros
Vendidit auro
Corpus Achilles,
Et reserari

Munere certo
Nigra feruntur

Limina Ditis.

Nunc ego possem
Plura referre,

Ni brevitatis

Causa vetaret....(')

De pareils saints ne se faisaient nul scrupule d'étudier le grec, car il avait été consacré, ainsi que le latin et l'hébreu par l'inscription mise sur la croix de JésusChrist. C'est ce que dit Cumianus Hibernus, (l'hibernien) à Segienus (3): « Nec laudare, nec vituperare ausus, utpote Hebræos, Græcos, latinos, quas linguas, ut Hieronymus ait, in crucis suæ titulo Christus consecravit. "

Ces souvenirs de la mythologie antique, si curieux dans les vers de l'apôtre irlandais, peuvent avoir passé par le latin pour venir jusqu'à lui; mais nous ne savons pas s'ils auraient cette précision, cette justesse, cet air d'invention originale et neuve, s'ils n'étaient qu'un reflet d'Horace ou d'Ovide, dont ils semblent d'abord dériver. Nous croyons y retrouver l'imitation directe d'auteurs grecs. Sophocle, dans son Antigone, parle de Danaë(); il blâme la cupidité qui entraîne les hommes à leur perte (*). Enfin Pindare semble avoir inspiré Saint

(1) Epist. VI ad Fedolium. Usher. Sylloge. Epist. Hiber. (2) Usher. Ibid. Ep. XI, p. 17.

(3) V. 940.

(*)

Ουδὲν γὰρ ἀνθρώποισιν, οἷον ἄργυρος,

Κακὸν νόμισμ ̓ ἔβλαστε. Τοῦτο καὶ πόλεις
Πορθεῖ, τόδ ̓ ἄνδρας ἐξανίστησιν δόμων·

Τόδ ̓ ἐκδιδάσκει καὶ παραλλάσσει φρένας

Χρηστὰς πρὸς ἀισχρὰ πράγμαθ ̓ ἵστασθαι βροτῶν....

V. 295.

Colomban dans ce passage. « Et l'on assure que le sombre asile de Pluton s'ouvre à qui paye une somme d'or. » Il s'agit d'Esculape:

̓Αλλὰ κέρδει καὶ σοφία δέδεται.

Ἔτραπεν καὶ κεῖνον ἀγάνορι μισθῷ χρυσὸς ἐν χερσὶν φανείς

Ανδρ ̓ ἐκ θανάτου κομίσαι

Ἤδη ἁλωκότα.

« Mais la cupidité domine souvent même les plus sages. On fit briller l'or à ses yeux; séduit par l'appât d'une riche récompense, il consentit à rappeler à la vie un homme qui n'était plus (1).»

Mais voici quelque chose de plus précis. Muratori, dans ses Anecdota latina, t. IV, cite des pièces extraites d'un antiphonaire de Bangor, l'abbaye où Saint Colomban avait fait profession; des mots grecs s'y trouvent mêlés à des mots latins. Ce monument singulier peut remonter au VII° siècle, il a été trouvé au monastère de Bobbio, fondé par Saint Colomban lui-même (*). On lit dans l'hymne de Saint Comgall:

Audite, pantes, ta erga
Allati ad angelica,

Athletæ Dei abdita,

A juventute florida.

Dans l'hymne des Apôtres, on remarque ce vers: Ille qui proto vires adimens chao.

L'hymne des matines offre le mot grec άyɩ :

Dignos nos fac, rex agie (3).

(1) Pyth. III. v. 54. Traduction de M. Poyard.

(2) Ozanam. Ibid. p. 483.

(3) Dans l'Antiphonaire (Muratori, t. IV. p. 159), on trouve;

Zoen ut carpat Cronanus.

Horum sanctorum merita
Abbatum fidelissima
Erga.....

P. 156.- Munther, Benchuir beata; n'est-ce pas μýtnp?

Ce n'est pas un reste de cette liturgie grecque dont l'église d'Occident a gardé quelques débris dans les offices du Jeudi Saint, où l'on chante encore "Ayios o θεὸς ἰσχυρὸς, ἀθανατὸς, ἐλέησον μας. C'est le caprice d'un moine instruit dans la langue grecque et qui se fait un jeu innocent de ce macaronisme pédantesque.

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Dans un autre écrit, intitulé Hisperica famina, « paroles d'Occident, » qu'Angelo Mai a publié dans le t. V de ses Classici Auctores, et qu'il prouve être de la main d'un moine irlandais, au milieu de phrases alambiquées, d'une intelligence difficile et d'une construction bizarre, on lit celle-ci : Pantes solitum elaborant agrestes orgium. Sur cinq mots, il y en a deux qui sont grecs.

M. Hauréau (1) cite, d'après Usher, Sylloge epistolarum hibernicarum (2), un théologien irlandais, plus érudit qu'aucun de ceux des écoles romaines, qui sait le grec. Il est si jaloux, dit-il, de le montrer qu'il hérisse son discours de mots inintelligibles aux docteurs qui devront lui répondre. « Quand, par exemple, avant de citer une phrase d'Origène, il l'appelle Chalcenterus et vere adamantinus, il doit bien être persuadé que ce mot xaλxévτepos (3) (entrailles d'airain), ne sera pas compris sur le continent ailleurs qu'à SaintGall et peut-être à Bobbio, colonies hiberniennes. Il en est de même d'un autre mot barbare, petalicus, mis après le nom de l'apôtre Saint Jean et signifiant sans doute l'exilé... (*) Ces hellénismes attestent du moins

(1) Ibid. p. 15.

(2) P. 17.

(3) Chalcenterum se trouve p. 18, dans Usher, Epist. Cumiani Hiberni ad Sigienum Huensem abbatem. On trouve dans la même lettre, ibid. p. 21. Tessares cœdicaditæ id est quartanæ decimæ, p. 22. Decennovalem cyclum, qui Græce enneacædeciterida. La date de cette lettre est de 622 à 652.

(*) Petalicus désigne celui qui portait le Pétalum, ornement du grandprêtre à Jérusalem. Eusèbe, liv. 3, ch. 31; liv. 5, ch. 24, cite une lettre écrite au pape Victor par Polycrate, évêque de Smyrne; celui-ci désigne Saint Jean par ces termes : « Celui qui a reposé sur la poitrine du Christ, qui a été grand-prêtre, portant le Pétalum.»

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