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VI

bourg; ces publications et la Bibliotheca Græca medii ævi de M. Constantin Sathas, entretiennent et justifient ce mouvement de sympathie. Mon désir serait de l'accroître après avoir contribué à le faire naître (1).

Dans mes Premières Etudes, je m'étais attaché plus spécialement à l'examen des textes grecs qui marquaient une imitation précise de nos romans de chevalerie. Dans ces Nouvelles Etudes, je n'ai pas négligé ce point de vue si intéressant pour l'histoire de la transmission des idées en Europe. On y verra entre nos compositions françaises du XIIIe siècle et celles des Grecs à la même époque des rapprochements curieux et des imitations incontestables. On se convaincra de plus en plus qu'il y avait alors entre les différentes nations de l'Europe une communauté d'idées, une sorte d'échanges intellectuels qui se sont arrêtés à mesure que chacune de ces nations a pris un caractère plus défini et s'est fait des voies nouvelles. On peut, en particulier, assurer que les Français et les Grecs n'ont jamais cessé de communiquer ensemble, et qu'il a toujours existé un lien étroit entre l'esprit de ces deux peuples.

Je crois en donner de nouvelles preuves dans l'examen de quelques poëmes grecs inédits jusqu'alors, dont j'ai le premier étudié les textes, et dont M. E. Legrand a publié une édition critique dans sa précieuse collection des monuments pour servir à l'histoire de la langue néo-hellénique.

Il n'a jamais été complètement vrai de dire pour l'Occident que l'ignorance du grec y ait été absolue. Ce propos Græcum est non legitur, n'a jamais élé qu'une boutade, et il est même démontré que le savant Accurse, qui passe pour l'avoir dit le premier, était loin d'ignorer le grec.

J'ai cru qu'il serait intéressant de suivre à travers le moyen âge du Ve siècle après J.-C. jusqu'au XV, les vicissitudes des études grecques dans nos contrées de l'Occident, et j'ai recueilli dans une étude spéciale, tous les faits relatifs à ces études dont le souvenir s'est transmis; j'ai même recueilli les assertions les

() Voir l'ouvrage de M. P. Moraitinis, La Grèce telle qu'elle est. Athènes, 1877, p. 152.

plus hasardées et qui peuvent donner lieu à controverse, mais qui ont cependant une valeur historique.

Je voudrais que ce travail complétát l'ensemble des recherches méthodiques, ingénieuses et savantes de M. Egger, dans son Histoire de l'Hellénisme en France.

J'ai recueilli des souvenirs de la domination des Lusignans dans l'ile de Chypre (XVe siècle), qui sont restés dans deux chansons populaires écrites en grec, qu'expliquent et éclaircissent les pages d'une chronique grecque de Léontios Machæras, publiée pour la première fois par M. Constantin Sathas en 1873.

J'offre ensuite aux lecteurs l'analyse et l'étude d'un poëme grec fort répandu encore aujourd'hui dans les diverses contrées de la Grèce. Cette œuvre, connue sous le nom d'Érotocritos, date du XVIe siècle. C'est un poëme de chevalerie calqué sur nos romans et accommodé au goût des Crétois pour qui il a été écrit.

Les Grecs ont beaucoup estimé et estiment encore Vincent Cornaro, l'auteur de cette œuvre. Coray ne craignait pas de l'appeler l'Homère de cette littérature vulgaire. Si Rizos-Néroulos en parlait avec quelque mépris, c'est qu'en 1828, époque où il portait un jugement trop sévère sur ce poëme, la critique passionnée pour le renouvellement de la langue aussi bien que pour l'indépendance de la Grèce, voyait les choses d'un point de vue particulier, peu favorable aux compositions populaires du temps passé.

Du XVIe siècle jusqu'à nos jours, la condition de la Grèce a bien changé. Redevenue libre, la nation des Hellènes a travaillé à réparer ses ruines. Celles de sa langue demandaient une restauration entière. L'on s'y est mis avec ardeur. Bien des théories ont été essayées, parfois téméraires et périlleuses; il n'en est pas moins sorti de ces efforts louables, un grand bien pour la correction du langage. Cet idiome moderne, dans lequel aujourd'hui s'écrivent tant de journaux et tant de livres, s'est assoupli et purifié. On en a chassé les mots étrangers, on a repris à la langue des anciens tous ceux qui s'accommodent le mieux au besoin de clarté et de précision qui domine les langues actuelles. On a reconquis des formes, des cas et des temps dont

l'ignorance avait dépouillé la déclinaison des substantifs et la conjugaison des verbes, et les Grecs instruits parlent aujourd'hui un langage qui reste grec dans ses éléments essentiels, tout en adoptant la construction analytique des idiomes modernes. C'est à ce point de vue que je signale à l'attention des lecteurs, des compositions destinées à des érudits, comme celle de M. Réniéris, ou des œuvres de théâtre comme celles de MM. Bernardakis et Basiliadis.

Je n'ai pas fait dans ce volume une histoire suivie de la littérature grecque moderne, le temps n'est pas encore venu de l'écrire; je me contente d'en présenter ici quelques tableaux détachés qui pourront avoir place un jour dans un plus grand ensemble.

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BIBLIOTHER

LES ÉTUDES GRECQUES EN EUROPE

DEPUIS LE QUATRIÈME SIÈCLE APRÈS J.-C. JUSQU'A LA
CHUTE DE CONSTANTINOPLE (1453).

DE LA

LYON

1892

VILLE

I.

Un savant illustre, M. Egger (1), a écrit l'histoire de l'hellénisme en France depuis la prise de Constantinople par les Turcs; M. Didot (2) en a fait autant pour Venise, en Italie; de pareilles études honorent ceux qui les ont entreprises. On ne veut point en diminuer le mérite, quand on remarque qu'elles étaient faciles et attrayantes par le nombre des matériaux et l'importance des résultats. Déjà même avant la fatale époque de 1453, on suit sans peine le progrès des études grecques en Europe. On y voit venir des maîtres de science et d'érudition diverses, des écoles se fonder, des livres circuler, des élèves se former. On est en pleine lumière. Il n'en est pas de même, si l'on essaie de suivre, dans les années les plus troublées et les plus obscures du moyen âge, la trace des relations de l'Orient avec l'Occident. Que de difficultés, en effet, ne rencontre-t-on pas à marquer les rapports intellectuels de ces deux parties du monde ? Y a-t-il eu jusqu'à la Renaissance ignorance absolue du grec en Italie, en

(1) L'Hellénisme en France. 2 vol. in-8. Paris.
(2) Alde Manuce. 1 vol. in-8°. Paris, 1875.

Allemagne, en France, en Angleterre? A-t-on, au contraire, continué par de faibles études, par une tradition ininterrompue, à pratiquer le grec en Occident, de sorte qu'il n'y ait jamais eu un complet oubli de la langue d'Homère chez les occidentaux? C'est là ce qu'il est mal aisé d'établir.

En s'engageant dans ces recherches, on a peu de résultats certains, encore moins de résultats brillants à attendre. Du Ve au XVe siècle, malgré la longueur du temps, on ne peut pas se flatter de parcourir des âges où les lumières abondent. On peut tout au plus espérer de recueillir quelques indications éparses, quelques faits d'histoire, quelques curiosités littéraires, plutôt que de rencontrer des témoignages irrécusables et des monuments de grande valeur. Quel que soit le peu d'attrait qu'offrent par elles-mêmes des recherches qui, si elles ne sont pas stériles, ne conduisent pas à des horizons lumineux, nous allons les entreprendre. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres avait, à une certaine époque (1847), mis au concours l'étude des rapports littéraires de l'Orient avec l'Occident depuis le cinquième siècle. M. Renan présenta sur ce sujet un travail qui fut récompensé. Il ne l'a pas encore publié; c'est un regret pour tous ceux qui s'occupent du moyen âge grec.

On n'entreprend pas ici de rendre inutile la publication du Mémoire de M. Renan; on voudrait, au contraire, engager l'auteur à le produire.

En entrant dans ce travail, nous ne pouvons être soutenu que par un genre d'intérêt celui que Montesquieu appelle une curiosité triste ('). Nous ne saurions avoir d'autre attrait à chercher quel fut le sort d'une littérature jadis si brillante, au milieu de la confusion que les barbares jetèrent dans le monde.

(1) Considérations sur la grandeur et la décadence des Romains, ch. XIX.

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