ESSAIS DE MICHEL DE MONTAIGNE. SUITE DU LIVRE PREMIER. CHAPITRE XXXVII. Comme nous pleurons et rions d'une mesme chose. Mort des vaincus pleu vainqueurs. QUAND UAND nous rencontrons dans les histoires (a) qu'Antigonus sceut tresmauvais gré à son fils de rée par les luy avoir presenté la teste du roy Pyrrhus, son ennemy, qui venoit sur l'heure mesme d'estre tué combattant contre luy, et que, l'ayant veue, il se print bien fort à pleurer; et que le duc René de Lorraine plaingnit aussi la mort du duc Charles de Bourgoigne (6) qu'il venoit de desfaire, et en porta le dueil en son enterrement ; et qu'en la (a) PLUTARQUE, Vie de Pyrrhus. C. (b) Devant Nanci, en 1477. C. battaille d'Auroy (a), que le comte de Montfort gaigna contre Charles de Blois, sa partie pour le duché de Bretaigne, le victorieux, rencontrant le corps de son ennemy trespassé, en mena grand dueil, il ne fault pas s'escrier soub dain, E cosi avven che l'animo ciascuna Sua passion sotto 'l contrario manto Ricopre, con la vista or' chiara, or' bruna. (1) Quand on presenta à Cæsar la teste de Pompeius, les histoires (6) disent qu'il en destourna sa veue, comme d'un vilain et malplaisant spectacle. Il y avoit eu entre eulx une si longue intelligence et societé au maniement des affaires publicques, tant de communauté de fortunes, tant d'offices reciproques et d'alliances, qu'il ne fault pas croire que cette contenance feust toute faulse et contrefaicte; comme estime cet aultre Tutùmque putavit Iam bonus esse socer; lacrymas non sponte cadentes (a) Donnée en 1564, sous le règne de Charles V, roi de France. C. C'est Auray, en Bretagne, près Vannes E. J. (1) Ainsi, l'âme couvre ses mouvements secrets sous une apparence contraire, triste sous un visage gai, gaie sous un visage triste. PETRARCA. (b) PLUTARQUE, Vie de César, c. 13. C. (2) Dès qu'il crut pouvoir, sans péril, paroître sensible et généreux, il répandit quelques larmes forcées, et d'un |