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la nuit, le cardinal crut en imposer au peuple en les fesant arrêter en plein midi, tandis qu'on chantait le Te Deum à Notre-Dame pour la victoire de Lens, et que les suisses de la chambre apportaient dans l'église soixante et treize drapeaux pris sur les ennemis. Ce fut précisément ce qui causa la subversion du royaume. Charton s'esquiva; on prit Blancménil sans peine; il n'en fut pas de même de Broussel. Une vieille servante seule, en voyant jeter son maître dans un carrosse par Comminges, lieutenant des gardes-du-corps, ameute le peuple; on entoure le carrosse; on le brise; les gardes-françaises prêtent mainforte. Le prisonnier est conduit sur le chemin de Sedan. Son enlèvement, loin d'intimider le peuple, l'irrite et l'enhardit. On ferme les boutiques, on tend les grosses chaînes de fer qui étaient alors à l'entrée des rues principales; on fait quelques barricades, quatre cent mille voix crient: Liberté et Broussel.

Il est difficile de concilier tous les détails rapportés par le cardinal de Retz, madame de Motteville, l'avocat général Talon, et tant d'autres; mais tous conviennent des principaux points. Pendant la nuit qui suivit l'émeute, la reine fesait venir environ deux mille hommes de troupes cantonnées à quelques lieues de Paris, pour soutenir la maison du roi. Le chancelier Séguier se transportait déjà au parlement, précédé d'un lieutenant et de plusieurs hoquetons, pour casser tous les arrêts, et même, disait-on, pour interdire ce corps. Mais, dans la nuit même, les factieux s'étaient assemblés chez le coadjuteur de Paris, si fameux sous le nom de cardinal de Retz, et tout

était disposé pour mettre la ville en armes. Le peuple arrête le carrosse du chancelier et le renverse. Il put à peine s'enfuir avec sa fille, la duchesse de Sulli, qui, malgré lui, l'avait voulu accompagner; il se retire en désordre dans l'hôtel de Luines, pressé et insulté par la populace. Le lieutenant civil vient le prendre dans son carrosse, et le mène au Palais-Royal, escorté de deux compagnies suisses, et d'une escouade de gendarmes; le peuple tire sur eux, quelques uns sont tués : la duchesse de Sulli est blessée au bras (26 août 1648). Deux cents barricades sont formées en un instant; on les pousse jusqu'à cent pas du PalaisRoyal. Tous les soldats, après avoir vu tomber quelques uns des leurs, reculent et regardent faire les bourgeois. Le parlement en corps marche à pied vers la reine, à travers les barricades qui s'abaissent devant lui, et redemande ses membres emprisonnés. La reine est obligée de les rendre, et, par cela même, elle invite les factieux à de nouveaux outrages.

Le cardinal de Retz se vante d'avoir seul armé tout Paris dans cette journée, qui fut nommée des barricades, et qui était la seconde de cette espèce. Cet homme singulier est le premier évêque en France qui ait fait une guerre civile sans avoir la religion pour prétexte. Il s'est peint lui-même dans ses Mémoires, écrits avec un air de grandeur, une impétuosité de génie, et une inégalité, qui sont l'image de sa conduite. C'était un homme qui, du sein de la débauche, et languissant encore des suites infames qu'elle entraîne, prêchait le peuple et s'en fesait idolâtrer. Il respirait la faction et les complots; il avait été, à l'âge

de vingt-trois ans, l'ame d'une conspiration contre la vie de Richelieu : il fut l'auteur des barricades : il précipita le parlement dans les cabales, et le peuple daus les séditions. Son extrême vanité lui fesait entreprendre des crimes téméraires, afin qu'on en parlât. C'est cette même vanité qui lui a fait répéter tant de fois Je suis d'une maison de Florence aussi ancienne que celle des plus grands princes; lui, dont les ancêtres avaient été des marchands, comme tant de ses compatriotes.

Ce qui paraît surprenant, c'est que le parlement, entraîné par lui, leva l'étendard contre la cour, avant même d'être appuyé par aucun prince.

Cette compagnie, depuis long-temps, était regar dée bien différemment par la cour et par le peuple. Si l'on en croyait la voix de tous les ministres et de la cour, le parlement de Paris était une cour de justice faite pour juger les causes des citoyens : il tenait cette prérogative de la seule volonté des rois, il n'avait sur les autres parlements du royaume d'autre prééminence que celle de l'ancienneté et d'un ressort plus considérable; il n'était la cour des pairs que parceque la cour résidait à Paris; il n'avait pas plus de droit de faire des remontraaces que les autres corps, et ce droit était encore une pure grace: il avait succédé à ces parlements qui représentaient autrefois la nation française; mais il n'avait de ces anciennes assemblées rien que le seul nom; et pour preuve incontestable, c'est qu'en effet les états généraux étaient substitués à la place des assemblées de la nation; et le parlement de Paris ne ressemblait pas plus aux parlements tenus

par nos premiers rois, qu'un consul de Smyrne ou d'Alep ne ressemble à un consul romain.

Cette seule erreur de nom était le prétexte des prétentions ambitieuses d'une compagnie d'hommes de loi, qui tous, pour avoir acheté leurs offices de robe, pensaient tenir la place des conquérants des Gaules, et des seigneurs des fiefs de la couronne. Ce corps, en tous les temps, avait abusé du pouvoir que s'arroge nécessairement un premier tribunal, toujours subsistant dans une capitale. Il avait osé donner un arrêt contre Charles VII, et le bannir du royaume 1; il avait commencé un procès criminel contre Henri III: il avait en tous les temps résisté, autant qu'il l'avait pu, à ses souverains; et dans cette minorité de Louis XIV, sous le plus doux des gouvernements, et sous la plus indulgente des reines, il voulait faire la guerre civile à son prince, à l'exemple de ce parlement d'Angleterre qui tenait alors son roi prisonnier, et qui lui fit trancher la tête. Tels étaient les discours et les pensées du cabinet.

Mais les citoyens de Paris, et tout ce qui tenait à la robe, voyaient dans le parlement un corps auguste, qui avait rendu la justice avec une intégrité respectable, qui n'aimait que le bien de l'état, et qui l'aimait au péril de sa fortune, qui bornait son ambition à la gloire de réprimer l'ambition des favoris, et qui marchait d'un pas égal entre le roi et le peuple; et, sans examiner l'origine de ses droits et de son pouvoir, on lui supposait les droits les plus sacrés, et le pouvoir

1 Voyez tome XVI, page 404; et tome XXII, page 38. B. a Voyez Histoire du parlement, chap. xxx.

le plus incontestable : quand on le voyait soutenir la cause du peuple contre les ministres détestés, on l'appelait le père de l'état; et on fesait peu de différence entre le droit qui donne la couronne aux rois, et celui qui donnait au parlement le pouvoir de modérer les volontés des rois.

Entre ces deux extrémités, un milieu juste était impossible à trouver; car, enfin, il n'y avait de loi bien reconnue que celle de l'occasion et du temps. Sous un gouvernement vigoureux le parlement n'était rien il était tout sous un roi faible; et l'on pouvait lui appliquer ce que dit M. de Guémené, quand cette compagnie se plaignit, sous Louis XIII, d'avoir été précédée par les députés de la noblesse : << Messieurs, vous prendrez bien votre revanche dans « la minorité. >>

On ne veut point répéter ici tout ce qui a été écrit sur ces troubles, et copier des livres pour remettre sous les yeux tant de détails alors si chers et si importants, et aujourd'hui presque oubliés; mais on doit dire ce qui caractérise l'esprit de la nation, et moins ce qui appartient à toutes les guerres civiles, que ce qui distingue celle de la Fronde.

Deux pouvoirs établis chez les hommes, uniquement pour le maintien de la paix, un archevêque et un parlement de Paris ayant commencé les troubles, le peuple crut tous ses emportements justifiés. La reine ne pouvait paraître en public sans être outragée, on ne l'appelait que Dame Anne; et si l'on y ajoutait quelque titre, c'était un opprobre. Le peuple lui reprochait avec fureur de sacrifier l'état à son

SIÈCLE DE LOUIS XIV. I.

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