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douleur m'a fait commettre, il est vrai, contre ce misérable Lychas, une cruauté que je me reproche il n'a pas su quel poison il me présentait; il n'a point mérité ce que je lui ai fait souffrir mais crois-tu que je puisse oublier l'amitié que je te dois, et vouloir t'arracher la vie? Non, non, je ne cesserai point d'aimer Philoctète. Philoctete recevra dans son sein mon âme prête à s'envoler: c'est lui qui recueillera mes cendres. Où es-tu donc, ô mon cher Philoctète, Philoctète, la seule espérance qui me reste ici-bas?

A ces mots, je me hâte de courir vers lui, il me tend les bras et veut m'embrasser; mais il se retient, dans la crainte d'allumer dans mon sein le feu cruel dont il est lui-même brûlé. Hélas! dit-il, cette consolation même ne m'est plus permise. En parlant ainsi, il assemble tous ces arbres qu'il vient d'abattre; il en fait un bûcher sur le sommet de la montagne; il monte tranquillement sur le bûcher; il étend la peau du lion de Némée, qui avait si long-temps couvert ses épaules lorsqu'il allait d'un bout de la terre à l'autre abattre les monstres, et délivrer les malheureux; il s'appuie sur sa massue, et il m'ordonne d'allumer le feu du bûcher.

Mes mains, tremblantes et saisies d'horreur, ne purent lui refuser ce cruel office car la vie n'était plus pour lui un présent des dieux, tant elle lui était funeste! je craignis même que l'excès de ses douleurs ne le transportât jusqu'à faire quelque chose d'indigne de cette vertu qui avait étonné l'univers. Comme il vit que la flamme commençait à prendre au bûcher: C'est maintenant, s'écria-t-il, mon cher Philoctète, que j'éprouve ta véritable amitié ; car tu aimes mon honneur plus que ma vie. Que les dieux te le rendent! Je te laisse ce que j'ai de plus précieux sur la terre, ces flèches trempées dans le sang de l'hydre de Lerne. Tu sais que les blessures qu'elles font sont incurables;

par elles tu seras invincible, comme je l'ai été, et aucun mortel n'osera combattre contre toi. Souviens-toi que je meurs fidèle à notre amitié et n'oublie jamais combien tu m'as été cher. Mais, s'il est vrai que tu sois touché de mes maux, tu peux me donner une dernière consolation; promets-moi de ne découvrir jamais à aucun mortel ni ma mort, ni le lieu où tu auras caché mes cendres. Je le lui promis, hélas! je le jurai même, en arrosant son bûcher de mes larmes. Un rayon de joie parut

dans ses yeux; mais tout à coup un tourbillon de flammes qui l'enveloppa étouffa sa voix, et le déroba presque à ma vue. Je le voyais encore un peu néanmoins au travers des flammes avec un visage aussi serein que s'il eût été couronné de fleurs et couvert de parfums dans la joie d'un festin délicieux, au milieu de tous ses

amis.

Le feu consuma bientôt tout ce qu'il y avait de terrestre et de mortel en lui. Bientôt il ne lui resta rien de tout ce qu'il avait reçu, dans sa naissance, de sa mère Alcmène : mais il conserva, par l'ordre de Jupiter, cette nature subtile et immortelle, cette flamme céleste qui est le vrai principe de vie, et qu'il avait reçue du père des dieux. Ainsi il alla avec eux, sous les voûtes dorées du brillant Olympe, boire le nectar, où les dieux lui donnèrent pour épouse l'aimable Hébé, qui est la déesse de la jeunesse, et qui versait le nectar dans la coupe du grand Jupiter, avant que Ganymède eût reçu cet honneur.

Pour moi, je trouvai une source inépuisable de douleurs dans ces flèches qu'il m'avait données pour m'élever au-dessus de tous les héros. Bientôt les rois ligués entreprirent de venger

Ménélas de l'infàme Paris, qui avait enlevé Hélène, et de renverser l'empire de Priam. L'oracle d'Apollon leur fit entendre qu'ils ne devaient point espérer de finir heureusement cette guerre, à moins qu'ils n'eussent les flèches d'Hercule.

Ulysse votre père, qui était toujours le plus éclairé et le plus industrieux dans tous les conseils, se chargea de me persuader d'aller avec cux au siége de Troie, et d'y apporter ces flèches qu'il croyait que j'avais. Il y avait déjà long-temps qu'Hercule ne paraissait plus sur la terre : on n'entendait plus parler d'aucun nouvel exploit de ce héros; les monstres et les scélérats recommençaient à paraître impunément. Les Grecs ne savaient que croire de lui: les uns disaient qu'il était mort; d'autres soutenaient qu'il était allé jusque sous l'ourse glacée dompter les Scythes. Mais Ulysse soutint qu'il était mort, et entreprit de me le faire avouer : il me vint trouver dans un temps où je ne pouvais encore me consoler d'avoir perdu le grand Alcide. Il eut une extrême peine à m'aborder; car je ne pouvais plus voir les hommes je ne pouvais souffrir qu'on m'arrachât de ces déserts du mont OEta, où j'avais vu périr mon ami; je ne songeais qu'à me repeindre l'image de ce héros, et qu'à pleu

rer à la vue de ces tristes lieux. Mais la douce et puissante persuasion était sur les lèvres de votre père il parut presque aussi affligé que moi; il versa des larmes; il sut gagner insensiblement mon cœur et attirer ma confiance; il m'attendrit pour les rois grecs qui allaient combattre pour une juste cause, et qui ne pouvaient réussir sans moi. Il ne put jamais néanmoins m'arracher le secret de la mort d'Hercule, que j'avais juré de ne dire jamais; mais il ne doutait point qu'il ne fût mort, et il me pressait de lui découvrir le lieu où j'avais caché ses cendres.

Hélas! j'eus horreur de faire un parjure en lui disant un secret que j'avais promis aux dieux de ne dire jamais; j'eus la faiblesse d'éluder mon serment, n'osant le violer; les dieux m'en ont puni je frappai du pied la terre à l'endroit où j'avais mis les cendres d'Hercule. Ensuite j'allai joindre les rois ligués, qui me reçurent avec la même joie qu'ils auraient reçu Hercule même. Comme je passais dans l'ile de Lemnos, je voulus montrer à tous les Grecs ce que mes flèches pouvaient faire; me préparant à percer un daim qui s'élançait dans un bois, je laissai, par mégarde, tomber la flèche de l'arc sur mon pied,

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