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avec autant de fracas qu'elle est entrée. Combien je fais plus de cas, sans la connaître davantage, de cette veuve agenouillée sur la pierre avec sa modeste fille, dans le coin d'une · chapelle obscure! Elle arrive avec la foule, participe en silence au service divin, et sort sans être remarquée: je suis le seul peut-être qui me sois aperçu qu'elle avait accepté l'eaubénite du vieillard infirme qui la lui présentait, en laissant à sa fille le soin et le plaisir des aumônes qu'elle a coutume de distribuer à la porte. Mais j'abuse du privilége de mon âge en me laissant aller à des réflexions qui m'éloignent de mon sujet ; j'y reviens par un récit très-succinct des circonstances qui me l'ont fourni..

J'étais, il y a quinze jours, à Saint-Roch, où j'avais été conduit par le désir d'entendre un prédicateur qui a trouvé, comme tant d'autres, le secret de se faire une grande réputation avec un petit mérite fatigué de l'attention que j'avais donnée aux deux premiers points d'un sermon sans intérêt, sans éloquence, débité d'une voix traînante et monotone, je m'endormis, et je ne me réveillai qu'au bruit des

chaises que mes voisins remuaient en sortant. Pendant mon sommeil, j'avais laissé tomber un de mes gants; en le cherchant, je trouvai sous ma main un portefeuille : je le ramassai en regardant autour de moi pour voir si quelqu'un ne s'approchait pas pour le réclamer: personne ne se présenta; et comme il ne me restait plus d'autre moyen pour en connaître le propriétaire que d'examiner les papiers qu'il renfermait, je me mis à en faire la revue. A l'élégance de la forme, à l'odeur de rose et de vanille qu'exhalait ce petit portefeuille, j'avais d'abord soupçonné qu'il devait appartenir à une femme; j'en acquis la certitude en fouillant dans les deux petites poches de satin rose, où je trouvai plusieurs billets de même style, quoique d'écritures différentes; un mémoire de Mlle Despaux, de 1500 francs, et deux feuillets de vélin où se trouvaient inscrites quelques observations pleines de goût et de finesse, entremêlées de citation s sentimentales en jargon métaphysique. Mais ce qui piqua plus particulièrement ma curiosité, ce fut un très-petit manuscrit d'une jolie écriture de femme, ayant pour titre SUITE DE MON JOURNAL. Je me

fais d'autant moins scrupule de faire partager à mes lecteurs le plaisir de mon indiscrétion, qu'elle est absolument sans conséquence, puisque je n'ai pu trouver dans cet écrit le moindre indice de la personne à qui il appartient, et qu'en le publiant j'offre à son auteur le moyen de réclamer le portefeuille que j'ai déposé, sous enveloppe, au bureau de la Gazette de France, pour être remis à qui de droit.

8 janvier 1812.

« Je suis rentrée à cinq heures de chez Mme de B.... Avec cent personnes de moins, son bal eût été charmant. Il n'était pas deux heures que mon mari parlait déjà de s'en aller ; on s'est moqué de lui; de dépit il est parti seul. Qu'a-t-il gagné à cela ? Horace m'a reconduite. -A midi, Victoire est entrée dans ma chambre ; nous avons essayé les nouveaux madras que m'a envoyés Versepuy. Cette coiffure me sied à ravir. Je ne suis pas du tout contente des canezous de Mme Rhaimbaud; je m'en tiendrai, je crois, aux peignoirs à l'espagnole de Mme Germon.

Victoire est dans les intérêts du Chevalier;

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elle prétend qu'hier il est venu trois fois; qu'il a couru tous les spectacles pour me trouver.

J'ai à m'en plaindre, et, pour l'en punir, je serai deux jours entiers sans le voir; d'ailleurs, je me suis arrangée pour cela.

J'étais invitée à dîner aujourd'hui chez l'am bassadeur je n'y serai plus reprise; je me suis trop ennuyée la dernière fois j'aurai ma migraine ; mon mari ne peut se dispenser d'y être. -Nota. Me rappeler de faire chasser M. Dulac cet insolent oublie que c'est à moi qu'il doit sa place d'intendant; il me refuse mille écus, sous prétexte qu'il a des ordres de M. le baron. Et puis on se plaindra que je fais des dettes !

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Je m'étais rendormie; mon mari n'a pu entrer chez moi qu'à deux heures; je lui ai fait une scène pour éviter celle que je craignais; je me suis plainte amèrement de n'avoir pas encore la diligence nouvelle qu'il me promet depuis six mois, et je lui ai signifié que, dès demain, j'irai au bain en cabriolet, comme la femme d'un agent de change. Il a prétendu que j'avais beaucoup de grâce à me fâcher; nous nous sommes quittés les meilleurs amis du monde.

Horace est venu déjeûner avec moi : il m'a tant tourmentée, que je me suis habillée pour aller prendre ma leçon d'équitation chez Sourdis; j'ai monté Zéphirine : je suis fólle de cette jument; il me la laisse pour 150 louis; je pourrai bien m'en arranger: mon cocher assure que c'est pour rien. Nous avons été jusqu'au Rincy pour l'essayer. Je suis descendue un moment de cheval; j'ai fait deux parties de billard avec Horace; il ne me rend plus que six points; j'ai doublé de force depuis qu'Espolard me donne des leçons.

A quatre heures, nous étions de retour à Paris; je suis entrée chez Noustier pour voir quelques chiffons nouveaux rien de joli. La petite M***, de l'Opéra, venait de faire pour cent louis d'emplettes. Le commandeur a pu croire que je ne l'avais pas aperçu. Je profiterai de cette découverte au bal de l'Opéra.

J'ai dîné au coin de mon feu avec la bonne Emilie et son cher président; le colonel est venu par hasard. C'est un homme pour qui l'occasion est une vraie providence. Nous avons fait la partie d'aller demain, tous les quatre, à St....., entendre l'évêque de qui doit

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