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sert, et les plus beaux fruits de la saison, servis dans les paniers où ils avaient été apportés à Paris, n'auraient rien gagné à mes yeux à être arrangés en pyramide dans des corbeilles de porcelaine.

La jeune mariée, plus modeste que timide, n'avait pas cette pudeur guindée, ce maintien de circonstance qu'en pareille occasion on rencontre souvent dans un plus grand monde : elle était heureuse et ne craignait pas de le paraître. Je ne me chargerai pas de rendre compte de la conversation entre cent vingt-cinq convives de cette classe, qui, dès le premier moment, semblaient être convenus de parler, de crier et de rire aux éclats tous ensemble. Ce fut bien mieux ou bien pis quand le vin eut échauffé toutes ces têtes; il faut se reporter à certaines séances de nos assemblées politiques pour avoir l'idée d'un pareil vacarme. Après la cérémonie du larcin et du partage de la jarretière de la mariée, commencèrent les chansons. Lorsque Rousseau a dit que de toutes les académies celle qui faisait le plus de bruit était l'Académie royale de Musique, il est probable qu'il n'avait point entendu les chorus, les rondes à boire, les morceaux d'ensemble de

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la Courtille. La détonation simultanée de vingtcinq pièces d'artillerie de gros calibre eût été le seul accompagnement capable de couvrir les -voix. Quand on eut épuisé tous les refrains des poètes de guinguette, tous les airs des chansonniers de carrefour les plus en vogue, on en re→ vint à des plaisirs moins tumultueux : le nouveau marié s'était chargé de la musique; pendant le café, les vielles et les orgues de Barbarie exé→ cutèrent les ouvertures de Démophon et du Jeune Henri, qui n'eurent qu'un médiocre succès; mais, en revanche, les romances nouvelles du Baiser et de l'Aurore réunirent tous les suffrages. Le spectacle succéda à cette première partie du concert; le Grimacier et le Lapin savant parurent alternativement sur la scène, au milieu des applaudissemens et des ris convulsifs de l'assemblée; mais l'auteur quadrupède eut sur son rival l'avantage d'un de ces à-propos de société dont le succès est infaillible: son maître lui ayant ordonné de battre de la caisse pour la demoiselle la plus amoureuse de la société, le mangeur de choux passa discrètement devant toutes les jeunes filles, et dès qu'il se vit en présence de la mariée, il commença un roule

ment qu'il soutint plus d'une minute, à la grande 'confusion de la jeune personne, et à la grande joie des spectateurs. Vint ensuite la musique de la Loterie je ne devinais pas ce qu'elle pouvait avoir de commun avec une noce; mais un des musiciens, à qui je demandais. compte de cette galanterie passée en usage, me dit assez spirituellement que tous les jeux de hasard étaient dans leurs attributions. Après quelques fanfares, deux violons, une clarinette et la grosse caisse s'emparèrent d'un des bonts de la salle, et, montés sur une estrade permanente, firent succéder le bal au festin. Les quadrilles sé formèrent; il en fut de la danse comme de la conversation tout le monde voulut danser à-lafois ; et cette joyeuse confusion, qui se prolongea fort avant dans la nuit, ménagea aux jeunes mariés l'occasion de s'échapper vers minuit, -sans qu'on inquiétât leur retraite ; je sortis à la même heure, mais par une raison directement contraire. Je descendis à petit bruit le faubourg du Temple, au milieu d'une foule de buveurs moins solides que moi sur leurs jambes, et qui, pour n'avoir pas été de la noce, n'en étaient pas moins joyeux.

N° LII.—6 septembre 1812.

L'HERMITE DE LA CHAUSSÉE-D'ANTIN AU CAFÉ DE CHARTRES.

Je proteste contre tout chagrin, toute plainte, toute maligne interprétation, toute fausse application et toute censure, contre les froids plaisans et les lecteurs mal intentionnés.

LA BRUYÈRE, Caract., chap. 1.

Il m'est arrivé plus d'une fois de me promener au Salon, pour le seul plaisir de suivre et d'entendre certaines gens plus avides de voir que d'apprendre, et qui, par cette raison, parcourent les galeries sans avoir fait l'emplette du Livret. Rien de plus amusant et presque toujours rien de plus ridicule que les conjectures qu'ils forment ou que les jugemens qu'ils portent sur les divers tableaux devant lesquels ils s'arrêtent. Chaque groupe de cette espèce de curieux a, pour l'ordinaire, son connaisseur en chef, qui répond sans hésiter à toutes les questions qu'on lui fait, et dont les décisions sont des oracles

pour sa compagnie. S'agit-il d'un portrait, il en connaît l'original, il l'a vu poser dans l'atelier du peintre dont il est l'ami ; il peut vous dire ce qu'il a coûté, la place qu'il doit occuper dans la maison de la personne qui l'a fait faire.

Ceux qui n'ont pas l'habitude de ce commérage sont aisément dupes de l'air d'assurance de ces orateurs du Salon ; mais il est permis de rire à leurs dépens, lorsque, le Livret à la main, on s'aperçoit de leurs bévues. L'un prend le portrait de Ninon pour celui de la belle Limonadière; l'autre, le portrait de Jean-Jacques pour celui d'un procureur de la rue Tirechappe. « Qu'il est ressemblant ( dit un troisième, appuyé sur sa canne et regardant un portrait de Corneille)! Vous ne le reconnaissez pas ? c'est notre ami M. Bernard, le chantre de SaintGervais..... »

Immédiatement à la suite de ces beaux diseurs, ne pourrait-on pas ranger ces faiseurs de clés explicatives des ouvrages de critique ? Je me fais une idée de la surprise qu'éprouverait La Bruyère, si quelqu'un lui montrait dans l'autre monde la clé de ses caractères, composée, dans celui-ci, par ces furets de la littéra

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