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Les parens, ensevelis en quelque sorte sous leurs voiles de crêpe, suivaient à pied, et les nombreux amis, dans des carrosses de deuil, prolongeaient le cortége, dont la marche était fermée par les domestiques de la maison, vêtus en noir.

La première station se fit à l'église des Mathurins, où fut célébrée la cérémonie religieuse, après laquelle le conyoi se mit en marche dans le même ordre, et s'achemina vers le cimetière de Montmartre.

A notre approche; les portes fatales s'ouvrirent; le concierge nous conduisit silencieusement au fond de la vallée, où, sous des touf→ fes de verdure, près de la tombe où dort le chantre des Saisons, la terre avait été creusée pour recevoir les restes d'un être charmant que le Ciel sembla n'avoir montré quelques momens au monde que pour y laisser l'éternel regret de sa perte. Robertine n'avait point de nom à transmettre à la postérité; sa mémoire appartient tout entière à ses parens inconsolables; aussi, pour toute épitaphe, se sont-ils contentés de faire graver sur la pierre qui la dérobe à jamais aux regards, la stance de Malherbe que j'ai citée au commencement de cet article,

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NO XLI. 2 mai 1812.

LE PUBLIC.

Bellua mullorum es capitum; nàm quid sequar, aut quem?

HOR., 1. 1, ep. 1.

Tu es une bête à mille têtes : à laquelle m'attacherai-je? quel parti prendrai-je ?

UN article de journal n'est pas une chose aussi facile à faire qu'on le croit généralement. Quand je songe, en prenant la plume, qu'il s'agit de contenter à-la-fois des gens d'humeur, de condition, d'âge si différens, et cela dans le moment de la journée où les lecteurs vous jugent avec plus de sang - froid, et conséquemment avec moins d'indulgence, je trouve cette tâche si difficile à remplir, que, par modestie ou peut-être par amour-propre, je suis toujours près d'y renoncer. Le choix de mon sujet seul m'arrête quelquefois des heures entières. Estil de nature à plaire à ce désœuvré qui, tout en

déjeûnant au café Hardi, veut pouvoir partager son attention entre ce qu'il lit et ce qu'il mange, et craint beaucoup plus de fatiguer son esprit que son estomac? Amusera-t-il ce laborieux négociant qui, après s'être occupé douze heures de suite du cours de la bourse, des arrivages dans les ports, de ses bordereaux et de sa correspondance, croit pouvoir employer à la lecture d'un feuilleton le tems qu'il passe entre les mains de son perruquier? Cet article sérat-il du goût de cette petite-maîtresse qui s'éveille à midi, et dont la première occupation (après avoir chiffonné un madras autour de sa tête, ouvert ses billets et reçu sa marchande de modes) est de jeter les yeux sur son journal, ne fût-ce que pour savoir ce que l'on donne aux différens spectacles? Dois-je oublier en écrivant que je suis lu par des abonnés de province, pour l'ordinaire assez indifférens à cette foule de bagatelles dont on s'amuse, et le plus souvent même dont on s'occupe à Paris ? Cette difficulté, et pourtant cette obligation de concilier tant de goûts hétérogènes, se présentaient depuis plusieurs jours à mon esprit avec plus de force que jamais, et, les pieds sur les

chenets, tout en tisonnant mon feu, je me surpris répétant tout haut : « Ce n'est pas une petite affaire que de contenter le public. » Ce mot de public me remit en mémoire une lettre charmante d'un de mes correspondans sur cette question: Qu'est-ce que le public? et où le trouve-t-on? Après y avoir beaucoup réfléchi, très-peu satisfait des réponses que je me faisais à moi-même, je pris le parti de consulter les gens qui ont le plus communément ce mot à la bouche.

La première personne que j'interrogeai fut un jeune auteur connu par le succès brillant ¿qu'il a récemment obtenu sur le premier de nos théâtres. Ma question posée, il m'assura qu'il -n'y avait pas deux manières d'y répondre, et que le public était «< cette réunion d'hommes éclairés qui fréquentent habituellement les spectacles, et dont les jugemens irréfragables faisaient le destin des ouvrages et des auteurs. » Le hasard voulut que je m'adressasse un mo-ment après à l'un de ces courtisans disgraciés de Thalie, de Polymnie et de Melpomène, moulu par des chutes et vieilli sous les sifflets. «Si vous voulez que je vous réponde (me dit

déjeûnant au café Hardi, veut pouvoir partager son attention entre ce qu'il lit et ce qu'il mange, et craint beaucoup plus de fatiguer son esprit que son estomac? Amusera-t-il ce laborieux négociant qui, après s'être occupé douze heures de suite du cours de la bourse, des arrivages dans les ports, de ses bordereaux et de sa correspondance, croit pouvoir employer à la lecture d'un feuilleton le tems qu'il passe entre les mains de son perruquier? Cet article serat-il du goût de cette petite-maîtresse qui s'éveille à midi, et dont la première occupation (après avoir chiffonné un madras autour de sa tête, ouvert ses billets et reçu sa marchande de modes) est de jeter les yeux sur son journal, ne fût-ce que pour savoir ce que l'on donne aux différens spectacles? Dois-je oublier en écrivant que je suis lu par des abonnés de province, pour l'ordinaire assez indifférens à cette foule de bagatelles dont on s'amuse, et le plus souvent même dont on s'occupe à Paris ? Cette difficulté, et pourtant cette obligation de concilier tant de goûts hétérogènes, se présentaient depuis plusieurs jours à mon esprit avec plus de force que jamais, et, les pieds sur les

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