Imágenes de página
PDF
ePub

fait choix d'un domicile; c'est un acte important pour lequel je mets mon expérience à votre service. L'appartement trouvé, je vous enverrai mon tapissier; vous voyez qu'il fait les choses avec goût et distinction. Votre costume sent un peu la province; je vous donnerai mon tailleur; avant trois jours, vous serez en mesure de vous présenter partout.

--

Que d'obligeance !

Mais vous ne m'avez pas dit encore le but de votre voyage à Paris?

J'y viens étudier le droit pour me faire recevoir avocat. - A merveille; nous suivons la même carrière; nous étudierons ensemble; je veux que nous soyons inséparables. C'est mon dêsir le plus vif.

- Voulez-vous que nous arrêtions, dès à présent, l'emploi de nos journés?

[ocr errors]

Je ne demande pas mieux.

Le matin, nous ferons une promenade à cheval, au bois de Boulogne.

-Adopté cela ouvre l'appétit.

:

Nous rentrerons ensuite déjeuner au Café de Paris.
Afin de nous donner du cœur au travail.
Après le déjeuner, nous irons au club.

Qu'est-ce que cela?

Un endroit où l'on fréquente la meilleure compagnie. Présenté par moi, vous y serez accueilli parfaitement. Nous disons donc que nous allons au club; et nous y restons...?

Jusqu'à l'heure du diner; pas plus tard.

Sans doute.

—A moins qu'[il ne nous convienne] d'y passer la soirée ; alors nous y dinerons.

Cela va sans dire; et les jours où cela ne nous conviendra pas

?

- Nous irons au café, dans les théâtres; je vous ferai faire connaissance avec les artistes en vogue; en un mot, cher ami, je vous produirai.

- D'honneur, vous êtes un homme charmant...mais permettez, dans tout cela, quel temps donnons-nous donc à l'étude ?

Quel temps? les intervalles, pardieu! les intervalles.
C'est juste.

– D'ailleurs, quand on a un peu de facilité...

- Et de bonne volonté...

- Qu'est-ce qu'il faut de temps pour l'étude ?

C'est tout au plus s'il en faut.

Les deux nouveaux amis prirent rendez-vous pour le lendemain, et il fut convenu qu'à partir de ce moment ils ne se quitteraient plus.

-A la bonne heure, disait Edouard, en retournant à son hôtel, voilà le Pylade qu'il me fallait. Quelle différence de cet aimable et bon Jollivet à cet original de Dumesnil !

Au bout de huit jours, Edouard avait un appartement somptueux, un groom qui lui allait au genou, un cheval anglais pur sang et des habits d'une coupe extravagante. Il était à la hauteur de Jollivet.

Alors commença pour les deux inséparables l'existence dont ils s'étaient tracé le programme.

Nous laisserons s'écouler trois années au bout desquelles nous retrouverons Edouard bien différent de ce qu'il était au jour de son arrivée à Paris. Son nom avait acquis dans un certain monde excentrique une célébrité si grande que des gens honorables eussent hésité à lui ouvrir les portes de leur maison. Racontait-on une folie, il suffisait qu'elle fût incroyable, impossible, pour qu'aussitôt on la lui attribuât, tant il était riche sous ce rapport. Ses dépenses ressemblaient à ses folies; elles étaient excessives; tout son patrimoine y avait passé, et pourtant, au moment où nous reprenons notre histoire, il n'avait encore rien changé à son genre de vie. Il se soutenait avec l'aide du jeu et des

usuriers.

Mais les usuriers se lassent et le jeu est inconstant; il arrivait qu'Edouard se trouvait quelquefois au dépourvu;

I

on devine aisément qu'il en était de même de Jollivet: [il y avait bien des années] que celui n'avait plus de patrimoine ni de crédit; l'industrie était son unique ressource; il entreprenait l'éducation de quelque jeune homme riche et novice qu'il aidait à manger son bien, et d'éducation en éducation, il parvenait à se maintenir dans une position assez confortable; celle d'Edouard lui avait valu trois années de folle et joyeuse existence.

Un jour que nos deux amis en étaient aux expédients, Jollivet accourut chez Edouard:

Mon cher, nous sommes sauvés !

Et il lui montra un billet ainsi conçu :

"Je prie M. Duvignon, notaire à Paris, de remettre au porteur, mille écus, à valoir sur la somme de cinquante mille francs que j'ai déposée entre ses mains; le présent lui tiendra lieu de quittance.

"Veuve CAMIADE."

Qu'est-ce donc que cette madame Camiade? demanda

Edouard.

Une vieille tante à moi qui habite à cinquante lieues d'ici et que je laissais dans un oubli coupable. J'ai eu des remords, je lui ai écrit, et c'est, comme tu le vois, une heureuse idée que j'ai eue là.

Mille écus! c'était peu; Jollivet avait compté trouver au jeu une veine qui ne se présenta pas; tous ses paris furent malheureux; au bout de huit jours, le dénuement était

revenu.

[ocr errors]

Qu'allons-nous faire à présent? lui dit Edouard d'un ton piteux.

- La tante Camiade n'est pas morte, répondit Jollivet ; tiens, va toucher toi-même ce second mandat à vue, chez le brave notaire Duvignon.

Edouard, émerveillé, prit le mandat et courut chez le notaire; celui-ci le pria d'attendre quelques instants dans son cabinet et sortit sous prétexte d'aller chercher des fonds dans sa caisse.

[ocr errors]

En effet, M. Duvignon ne tarda pas à rentrer; mais il était accompagné d'un commissaire de police et de deux sergents de ville.

Quelle fut la stupéfaction d'Edouard lorsqu'il se vit arrêter et conduire en prison sous la grave inculpation de faux.-Madame Camiade à qui M. Duvignon avait écrit après avoir payé le premier mandat, avait répondu que, personne n'ayant été chargé par elle de toucher des fonds chez son notaire, il fallait évidemment que quelqu'un eût contrefait sa signature.

Voilà donc le malheureux Edouard traduit devant la cour d'assises et sans espoir de démontrer son innocence. Lorsque, par suite des explications qu'il avait données au juge d'instruction, on voulut procéder à l'arrestation de Jollivet, celui avait disparu, et depuis, toutes les recherches avaient été infructueuses.

Les charges les plus accablantes pesaient donc sur Edouard, et il n'avait à y opposer que le simple récit de ce qui s'était passé, récit dont rien ne pouvait confirmer l'exactitude. La Providence pouvait seule le [tirer d'un si mauvais pas]; elle le fit en lui envoyant pour défenseur ce même Dumesnil dont il avait, trois ans auparavant, repoussé les sages principes et refusé de cultiver la connaissance.

Pendant qu'Edouard se lançait étourdiment sur la pente qui devait le conduire à sa perte, Dumesnil, à force d'étude et de travail, avait conquis une position distinguée parmi les avocats du barreau de Paris. Sa loyauté bien connue n'était pas moins considérée que son talent; on savait qu'il s'était fait une loi de ne jamais mettre son éloquence au service d'une mauvaise cause, et il avait, comme on dit au Palais, l'oreille de la justice.

Persuadé par l'accent de vérité avec lequel Edouard lui démontra son innocence, il consentit avec empressement à se charger de sa défense; c'était déjà un motif de presomption favorable à l'accusé. Dumesnil plaida avec une chaleur entraînante; la conviction qui était dans son esprit, il eut le bonheur de la faire passer dans l'esprit des jurés.

Edouard, acquitté tout d'une voix, en fut quitte pour une admonition paternelle que lui fit le président sur le danger des mauvaises fréquentations.

Le pauvre jeune homme, pénétré de repentir et de reconnaissance, se jeta en pleurant dans les bras de son éloquent défenseur.

- Ce n'est pas tout, lui dit Dumesnil; qu'allez-vous faire aujourd'hui, que vous voilà sans fortune et sans position ? Il faut acquérir l'une et l'autre. Je vous offre ma maison et mes conseils; rompez avec votre vie passée, et venez chercher un refuge dans le travail qui peut seul être la source d'un bonheur réel et sans amertume.

Edouard accepta.

L'amitié de l'homme de plaisir l'avait mis à deux doigts du déshonneur; l'amitié de l'homme de travail en fit un citoyen utile et recommandable.

Edouard Salentin est aujourd'hui une des lumières de la magistrature.

Moléri.

(XXII.)—MÉNAGER LA CHÈVRE ET LE CHOU.

LA question suivante a donné lieu à cette façon de parler proverbiale. Un homme a un petit bateau dans lequel il doit passer à l'autre côté de la rivière un loup, un chou et une chèvre, sans qu'il puisse passer plus d'un de ces objets à la fois. On demande lequel des trois il transportera le premier sans craindre que, durant l'un de ses passages, le loup mange la chèvre ou que la chèvre mange le chou; voici le moyen: c'est de prendre la chèvre seule au premier voyage, le chou reste avec le loup qui n'y touche pas; au second voyage, il prend le chou et ramène la chèvre, au lieu de laquelle il passe le loup qui ne touche pas au chou; enfin, pour dernier voyage, il revient prendre la chèvre qui, étant restée seule, ne courait aucun risque.

« AnteriorContinuar »