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TRADUCTION

DES PASSAGES

DES GUÊPES D'ARISTOPHANE,

IMITÉS PAR RACINE.

Il faut savoir, avant tout, que dans la démagogie d'Athènes, l'emploi de juge étoit un métier banal et mercenaire. Il n'y avoit point chez les Athéniens d'ordre judiciaire, d'état consacré à l'administration de la justice; on n'exigeoit, pour des fonctions aussi importantes, ni science des lois, ni connoissance du droit, ni expérience, ni pratique. On assignoit aux juges un traitement journalier comme à des manoeuvres. Les hommes les plus grossiers, les plus ineptes, siégeoient dans les tribunaux, et prononçoient sur la vie et la fortune des accusés: c'étoit là un des bénéfices de l'égalité, un des priviléges du gouvernement démocratique. Ce n'est pas sans étonnement que l'on compte six mille juges dans une ville telle qu'Athènes, qui n'avoit dans ce temps-là que vingt mille citoyens actifs. Les Athéniens aimoient à juger: c'étoit chez eux une fureur, une manie; et l'on ne peut pas l'attribuer à l'avarice, car les fonctions des juges n'étoient pas lucratives. Le trésor public leur donnoit deux oboles, et Cléon en fit ajouter une troisième. D'après les calculs les plus exacts, les deux oboles ne formoient dans l'année, déduction faite de deux mois de vacance, que la chétive somme de soixante-quinze livres ; mais il est à présumer qu'il y avoit un brigandage secret, et des rapines tacitement autorisées, qui rapportoient in

finiment plus aux juges que leur salaire public. Il est donc naturel qu'Aristophane, dans un temps où la comédie n'étoit qu'une satire impudente des mœurs et du gouvernement populaire, ait conçu le projet de se moquer d'un barreau aussi étrangement organisé. Il intitula sa pièce les Guêpes, comme pour faire sentir que ces juges ignorants et intéressés avoient des armes plus redoutables que les dards et les aiguillons des guêpes, et que leurs sentences étoient autant de piqûres douloureuses et envenimées.

Il suppose qu'un vieux juge, nommé Phylocléon (c'est-à-dire ami de Cléon 1), que cette passion a rendu presque fou, est enfermé et gardé à vue par son fils. La scène s'ouvre comme chez Racine: on voit deux esclaves, Xanthias et Sosie, couchés à la porte d'une salle basse où le juge est enfermé; le sommeil les accable; ils font des contes pour se tenir éveillés, se communiquent leurs songes, qui sont pour nous autant d'énigmes satiriques, et finissent par plusieurs détails sur la folie de leur prisonnier. La différence des mœurs en met une si grande dans les signes extérieurs de la même passion, qu'on n'entendroit pas à Paris la moitié des traits employés par ces esclaves pour décrire la maladie de Phylocléon. Dans cette scène, Racine n'a guère emprunté d'Aristophane que cette plaisanterie :

Il fit couper la tête à son coq, de colère,
Pour l'avoir éveillé plus tard qu'à l'ordinaire;
Il disoit qu'un plaideur dont l'affaire alloit mal
Avoit graissé la patte à ce pauvre animal.

Act. 1, sc. I.

et l'auteur françois est très supérieur par le mérite du tour et de l'expression.

Cléon, aventurier fameux, orateur, et ministre de la république d'A thènes, étoit à la tête d'un grand parti. (G.)

Quoique toutes les issues soient parfaitement bouchées, le malin vieillard parvient, on ne sait comment, à se sauver. Son fils Bdélycléon (c'est-à-dire ennemi de Cléon) accourt tout troublé, réveille les esclaves qui commencent à s'assoupir en faisant, comme on dit, des contes à dormir debout.

BDÉLYCLÉON..

«Xanthias, Sosie, comment, coquins, vous dormez!

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« C'est Bdélycléon qui nous appelle.

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BDÉLYCLÉON.

Holà, quelqu'un! Mon père est entré dans la cuisine; on y entend quelqu'un qui trotte comme un rat «cherchant à se sauver dans quelque trou. Toi, prends "garde qu'il ne s'évade par la cheminée; et toi, garde la ❝ porte.

L'ESCLAVE, entendant Phylocléon dans la cheminée. «Par Neptune, est-ce que la fumée fait du bruit? Qui

« est là?

PHYLOCLÉON.

C'est la fumée qui veut sortir.

BDÉLYCLÉON.

«La fumée... Oh, tu ne passeras pas; rentre: donnez"moi le couvercle. » (Il s'agit probablement d'un couvercle qui servoit à boucher le tuyau de la cheminée.) « Mettons "encore cette bûche pour l'appuyer; essaie à présent de ❝sortir. Mais malheureux que je suis, on va dire par"tout que je suis fils de la fumée.

UN ESCLAVE.

"Appuie ferme contre la porte, camarade; appuie de

« toutes tes forces: je suis à toi tout-à-l'heure; veille sur « la serrure et sur le verrou; prends garde qu'il ne ronge « le pêne.

PHYLOCLÉON.

« Retirez-vous, coquins: vous ne m'empêcherez pas « de sortir pour aller juger. Voulez-vous que le scélérat « Dracontidès m'échappe?

BDÉLYCLÉON.

« J'en jure par Neptune, vous ne sortirez pas.

PHYLOCLÉON.

«Eh bien! je vais faire comme le rat qui rongea les

« filets.

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BDÉLYCLÉON.

« Hé, vous n'avez pas de dents!

PHYLOCLÉON.

<< Malheureux! que n'ai-je un glaive pour te tuer, ou plutôt mes tablettes pour te condamner à mort!

BDÉLYCLÉON.

« Voilà un homme qui fera quelque mauvais coup.

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PHYLOCLÉON.

Non, je veux sortir pour aller vendre mon âne avec

<< son bât: c'est le jour du marché.

I

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«Oh, beaucoup mieux! Allons, amenez-moi l'âne1.

Phylocléon disparoît dans ce moment pour aller chercher l'âne il faut absolument supposer l'écurie de l'âne contigué à la cuisine. Au reste, tout le jeu de théâtre de cette scène a rapport à la distribution particulière des maisons grecques; il eût fallu un prodigieux étalage d'érudition pour expliquer tout cela, et peut-être sans réussir à le bien faire com

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