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il envoie à la découverte pendant la nuit M. d'Assas, capitaine au régiment d'Auvergne : à peine cet officier a-t-il fait quelques pas que des grenadiers ennemis, en embuscade, l'environnent et le saisissent à peu de distance de son régiment; ils lui présentent la baïonnette, et lui disent que s'il fait du bruit il est mort. M. d'Assas se recueille un moment pour mieux renforcer sa voix; il crie, « A moi, Auvergne, voilà les ennemis »>! il tombe aussitôt percé de coups. Ce dévouement, digne des anciens Romains, aurait été immortalisé par eux; on dressait alors des statues à de pareils hommes dans nos jours ils sont oubliés; et ĉe n'est que long-temps après avoir écrit cette histoire que j'ai appris cette action si mémorable: j'apprends qu'elle vient enfin d'être récompensée par une pension de mille livres, accordée à perpétuité aux aînés de ce nom.

Ces succès divers du jeune prince héréditaire n'empêcherent pas non plus que le prince de Condé, à-peu-près de son âge, et rival de sa gloire, n' n'eût sur lui un avantage à six lieues de Francfort, vers la Vétéravie: c'est là que le prince de Brunswick fut blessé, et qu'on vit tous les officiers français s'intéresser à sa guérison comme les siens propres.

Quel fut le résultat de cette multitude innombrable de combats, dont le récit même ennuie aujourd'hui ceux qui s'y sont signalés? que reste-t-il de tant d'efforts? Rien que du sang inutilement versé dans des pays incultes et désolés, des villages ruinés des familles réduites à la mendicité; et rarement même un bruit sourd de ces calamités

percait-il jusque dans Paris, toujours profondément occupé de plaisirs ou de disputes également frivoles.

CHAPITRE XXXIV.

Les Français malheureux dans les quatre parties du monde. Désastres du gouverneur Dupleix. Supplice du général Lalli.

LA France alors semblait plus épuisée d'hommes et d'argent dans son union avec l'Autriche, qu'elle n'avait paru l'être dans deux cents ans de guerre contre elle. C'est ainsi que sous Louis XIV il en avait coûté pour secourir l'Espagne plus qu'on n'avait prodigué pour la combattre depuis Louis XII, Les ressources de la France ont fermé ses plaies; mais elles n'ont pu réparer encore celles qu'elle a reçues en Asie, en Afrique, et en Amérique.

Elle parut d'abord triomphante en Asie. La compagnie des Indes était devenue conquérante pour son malheur. L'empire de l'Inde, depuis l'irruption de Sha-Nadir, n'était plus qu'une anarchie : les soubabs, qui sont des vice-rois, ou plutôt des rois tributaires, achetaient leurs royaumes à la Porte du grand padisha mogol, et revendaient leurs provinces à des nababs, qui cédaient à prix d'argent des districts à des raïas; souvent les ministres du mogol ayant donné une patente de roi, donnaient la même patente à qui en payait davantage : soubab, nabab, raïa, en usaient de même; chacun soutenait

par les armes un droit chèrement acheté. Les Marattes se déclaraient pour celui qui les payait le mieux, et pillaient amis et ennemis. Deux bataillons français ou anglais pouvaient battre ces multitudes indisciplinées, qui n'avaient nul art, et qui même, aux Marattes près, manquaient de courage. Les plus faibles imploraient donc, pour être souverains dans l'Inde, la protection des marchands venus de France et d'Angleterre qui pouvaient leur fournir quelques soldats et quelques officiers d'Europe. C'est dans ces occasions qu'un simple capitaine pouvait quelquefois faire une plus grande fortune dans ces pays qu'aucun général parmi nous.

Pendant que les princes de la presqu'isle se battaient entre eux, on a vu que ces marchands anglais et français se battaient aussi, parceque leurs rois étaient ennemis en Europe.

Après la paix de 1748, le gouverneur Dupleix conserva le peu de troupes qu'il avait, tant les soldats d'Europe, qu'on appelle blancs, que les noirs des isles transplantés dans l'Inde, et les cipayes et pions indiens.

Un des sous-tyrans de ces contrées, nommé Chandasaeb, aventurier arabe, né dans le désert qui est au sud-est de Jérusalem, transplanté dans l'Inde pour y faire fortune, était devenu gendre du nabab d'Arcate. Cet Arabe assassina son beaupere, son frere, et son neveu. Ayant éprouvé des revers peu proportionnés à ses crimes, il eut recours au gouverneur Dupleix pour obtenir la nababie d'Arcate, dont dépend Pondichery. Dupleix

lui prêta d'abord secrètement dix mille louis d'or, qui, joints aux débris de la fortune de ce scélérat, lui valurent cette vice-royauté d'Arcate. Son argent et ses intrigues lui obtinrent le diplôme de ce vice-roi d'Arcate. Dès qu'il en est en posession, Dupleix lui prête des troupes: il combat avec ces troupes réunies aux siennes le véritable vice-roi d'Arcate; c'était ee même Anaverdi-kan, âgé de cent sept ans, dont nous avons déja parlé, qui fut assassiné à la tête de son armée.

Le vainqueur Chandasach, devenu possesseur des trésors du mort, distribua la valeur de deux cent mille francs aux soldats de Pondichery, combla les officiers de présents, et fit ensuite une donation de trente-cinq aldées à la compagnie des Indes. Aldée signifie village; c'est encore le terme dont on se sert en Espagne depuis l'invasion des Arabes, qui dominerent également dans l'Espagne et dans l'Inde, et dont la langue a laissé des traces dans plus de cent provinces.

Ce succès éveilla les Anglais : ils, prirent aussitôt le parti de la famille vaincue. Il y eut deux nababs; et comme le soubab ou roi de Décan était lié avec le gouverneur de Pondichery, un autre roi, son compétiteur, s'unit avec les Anglais. Voilà donc encore une guerre sanglante allumée entre les comptoirs de France et d'Angleterre sur les côtes de Coromandel, pendant que l'Europe jouissait de la paix. On consumait de part et d'autre dans cette guerre tous les fonds destinés au commerce; et chacun espérait se dédommager sur les trésors des princes indiens.

On montra des deux côtés un grand courage. MM. d'Auteuil, de Bussi, Lass, et beaucoup d'autres, se signalerent par des actions qui auraient eu de l'éclat dans les armées du maréchal de Saxe. Il y eut sur-tout un exploit aussi surprenant qu'il est indubitable; c'est qu'un officier, nommé M. de la Touche, suivi de trois cents Français, entouré d'une armée de quatre-vingt mille hommes qui menaçait Pondichery, pénétra la nuit dans leur camp, tua douze cents ennemis sans perdre plus de deux soldats, jeta l'épouvante dans cette grande armée, et la dispersa tout entiere. C'était une journée supérieure à celle des trois cents Spartiates au pas des Thermopyles, puisque ces Spartiates y périrent, et que les Français furent vainqueurs : mais nous ne savons peut-être pas célébrer assez ce qui mérite de l'être, et la multitude innombrable de nos combats en étouffe la gloire.

Le roi protégé par les Français s'appelait MouzaFersingue; il était neveu du roi favorisé par les Anglais. L'oncle avait fait le neveu prisonnier, et cependant il ne l'avait point encore mis à mort, malgré les usages de la famille; il le traînait chargé de fers à la suite de ses armées, avec une partie de ses trésors. Le gouverneur Dupleix négocia si bien avec les officiers de l'armée ennemie, que dans un second combat le vainqueur de MonzaFersingue fut assassiné. Le captif fut roi, et les trésors de son ennemi furent sa conquêté. Il y avait dans le camp dix-sept millions d'argent comptant: Mouza-Ferzingue en promit la plus grande partie à la compagnie des Indes; la petite armée

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