Imágenes de página
PDF
ePub

et dévasterent sa Pomeranie, tandis qu'il dévastait la Saxe. Les Autrichiens, et ensuite les Russes, entrerent dans Berlin. Presque tous les trésors de son pere, ceux qu'il avait lui-même amassés, étaient nécessairement dissipés dans cette guerre ruineuse pour tous les partis: il fut obligé de recourir aux subsides de l'Angleterre. Les Autrichiens, les Français, et les Russes, ne se découragerent jamais, et le poursuivirent toujours. Sa famille n'osait plus rester à Berlin continuellement exposé; elle était réfugiée à Magdebourg: pour lui, après tant de succès divers, il était, en 1762, retranché sous Breslau. Marie-Thérese semblait toucher au moment de recouvrer la Silésie. Il n'avait plus Dresde, ni rien de la partie de la Saxe qui touche à la Bohême. Le roi de Pologne espérait de rentrer dans ses états héréditaires, lorsque la mort d'Élisabeth, impératrice de Russie, donna encore une nouvelle face aux affaires, qui changerent si souvent.

Le nouvel empereur, Pierre III, était l'ami secret du roi de Prusse depuis long-temps. Non seulement il fit la paix avec lui dès qu'il fut sur le trône, mais il devint son allié contre cette même impératrice-reine dont Élisabeth avait été l'amie la plus constante. Ainsi on vit tout d'un coup le roi de Prusse, qui était auparavant si pressé par les Russes et les Autrichiens, se préparer à entrer en Bohême à l'aide d'une armée de ces mêmes Russes qui combattaient contre lui quelques semaines auparavant.

Cette nouvelle situation fut aussi promptement

dérangée qu'elle avait été formée; une révolution subite changea les affaires de la Russie.

4

Pierre III voulait répudier sa femme, et indisposait contre lui la nation. Il avait dj un jour, étant ivre, au régiment Préobasinski, a la parade, qu'il le battrait avec cinquante Prussiens. Ce fut ce regiment qui prévint tous ses desseins, et qui le détrôna. Les soldats et le peuple se déclarerent contre lui. Il fut poursuivi, pris, et mis dans une prison, ,où il ne se consola qu'en buvant du punch pendant huit jours de suite, au bout desquels il mourut. L'armée et les citoyens proclamerent d'une commune voix sa femme, Catherine d'Anhalt, impératrice, quoiqu'elle fût étrangere, étant de cette maison d'Ascanie, l'une des plus anciennes de l'Europe. C'est elle qui depuis est devenue la véritable législatrice de ce vaste empire. Ainsi la Russie a été gouvernée par cinq femmes de suite; Cathe rine, veuve de Pierre-le-Grand; Anne, niece de ce monarque; la duchesse de Brunswick, régente sous le court empire de son malheureux fils, le prince Iwan; Elisabeth, fille du czar Pierre-le-Grand et de Catherine I; et enfin cette Catherine II, qui s'est fait en si peu de temps un si grand nom. Cette succession de cinq femmes saus interruption est une chose unique dans l'histoire du monde.

Le roi de Prusse, privé du secours de l'empereur risse, qui voulait combattre sous lui, n'en continua pas moins la guerre contre la maison d'Autriche, la moitié de l'empire, la France, et la Suede.

Il est vrai que les exploits des Suédois n'étaient

pas ceux de Gustave-Adolphe. Sa sœur, femme du roi de Suede, n'avait nulle envie de lui faire du mal. Ce n'était pas la cour de Stockholm qui armait contre lui, c'était le sénat ; et le sénat n'armait que parceque la France lui donnait de l'argent. La cour, qui n'était pas assez puissante pour empêcher ce sénat d'envoyer des troupes en Pomeranie, l'était assez pour les rendre inutiles; et dans le fond les Suédois faisaient semblant de faire la guerre pour le peu d'argent qu'on leur donnait.

Ce fut en Allemagne principalement que le sang fut toujours répandu: les frontieres de France ne furent jamais entamées; l'Allemagne devint un gouffre qui engloutissait le sang et l'argent de la France. Les bornes de cette histoire, qui n'est qu'un précis, ne permettent pas de raconter ce nombre prodigieux de combats livrés depuis les bords de la mer Baltique jusqu'au Rhin : presque aucune bataille n'eut de grandes suites, parceque chaque puissance avait toujours des ressources. Il n'en était pas de même en Amérique et dans l'Inde, où la perte de douze cents hommes est irréparable. La journée même de Rosbach ne fut suivie d'aucune révolution. La bataille que les Français perdirent auprès de Minden, en 1759, et les autres échecs qu'ils essuyerent, les firent rétrograder; mais ils resterent toujours en Allemagne. Lorsqu'ils furent battus à Crevelt, entre Cleves et Cologne, ils resterent pourtant encore les maîtres du duché de Cleves et de la ville de Gueldres. Ce qui fut le plus remarquable dans cette journée de Crevelt, ce fut la perte du comte de Gisors, fils unique du

maréchal de Belle-Isle, blessé en combattant à la tête des carabiniers. C'était le jeune homme de la plus grande espérance, également instruit dans les affaires et dans l'art militaire, capable des grandes vues et des détails, d'une politesse égale à sa valeur, chéri à la cour et à l'armée. Le prince héréditaire de Brunswick, qui le prit prisonnier, en eut soin comme de son frere, ne le quitta point jusqu'à sa mort, qu'il honora de ses larmes. Il l'aima d'autant plus qu'il retrouvait en lui son caractere. C'est ce même prince de Brunswick qui voyagea depuis en France et dans une grande partie de l'Europe, que j'ai vu jouir si modestement de sa renommée et des sentiments qu'on lui devait. Il combattait alors, tantôt en chef, tantôt sous le prince de Brunswick, son onele, beau-frere du roi de Prusse, qui acquit une grande réputation, et qui avait la même modestie, compagne de la véritable gloire, et apanage de sa famille. Le prince héréditaire commandait dans plusieurs occasions des corps séparés, et il fut souvent aussi heureux qu'audacieux.

La bataille de Crevelt, dont on ne parlait à Paris qu'avec le plus grand découragement, n'empêcha pas le duc de Broglie de remporter une victoire complete à Bergen, vers Francfort, contre ces mêmes princes de Brunswick, victorieux ailleurs, et de mériter la dignité de maréchal de France, à l'exemple de son pere et de son grand-pere. Mais ce même prince gagna encore, en 1760, la bataille de Varbourg, où furent blessés le marquis de Castries, le prince de Roban-Rochefort, son cousin

le marquis de Bétisi, le comte de la Tour-du-Pin, le marquis de Valence, et une quantité prodigieuse d'officiers français. Leur malheur était une preuve de leur courage.

Le comte de Montbarey, à la tête du régiment de la couronne, soutint long-temps l'effort des ennems; il y fut blessé d'un coup de canon et de deux coups de fusil.

Les braves actions de tant d'officiers et de soldats sont innombrables dans toutes les guerres; mais il y en a eu de si singulieres, de si uniques dans leur espece, que ce serait manquer à la patrie que de les laisser dans l'oubli. En voici une, par exemple, qui mérite d'être à jamais conservée dans la mémoire des Français.

Le prince héréditaire de Brunswick assiégeait Vesel, dont la prise eût porté la guerre sur le BasRhin et dans le Brabant; cet évènement eût pu engager les Hollandais à se déclarer contre nous : le marquis de Castries commandait l'armée française formée à la hâte; Vesel allait succomber aux attaques du prince héréditaire. Le marquis de Castries s'avança avec rapidité, emporta Rhinsberg l'épée à la main, et jeta des secours dans Vesel. Méditant une action plus décisive encore, il vint camper le 15 octobre à un quart de lieue de l'abbaye appelée Closter-camp: le prince ne crut pas devoir l'attendre devant Vesel; il se décida à l'attaquer, et se porta au-devant de lui par une marche forcée la nuit du 15 au 16.

Le général français, qui se doute du dessein du prince, fait coucher son armée sous les ar

« AnteriorContinuar »