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telligence, et par conséquent exempts de l'esprit de parti.

Mais ce qui est encore plus honorable pour la patrie, c'est que dans ce recueil immense le bon l'emporte sur le mauvais; ce qui n'était pas encore arrivé. Les persécutions qu'il a essuyées ne sont pas si honorables pour la France. Ce même malheureux esprit de formes, mêlé d'orgueil, d'envie, et d'ignorance, qui fit proscrire l'imprimerie du temps de Louis XI, les spectacles sous le grand Henri IV, les commencements de la saine philo. sophie sous Louis XIII, enfin l'émétique et l'inoculation; ce même esprit, dis-je, ennemi de tout ce qui instruit et de tout ce qui s'éleve, porta des coups presque mortels à cette mémorable entreprise; il est parvenu même à la rendre moins bonne qu'elle n'aurait été, en lui mettant des entraves dont il ne faut jamais enchaîner la raison : car on ne doit réprimer que la témérité et non la sage hardiesse, sans laquelle l'esprit humain ne peut faire aucun progrès. Il est certain que la connaissance de la nature, l'esprit de doute sur les fables anciennes honorées du nom d'histoires, la saine métaphysique dégagée des impertinences de l'école, sont les fruits de ce siecle, et que la raison s'est perfectionnée.

Il est vrai que toutes les tentatives n'ont pas été heureuses. Des voyages au bout du monde, pour constater une vérité que Newton avait démontrée dans son cabinet, ont laissé des doutes sur l'exactitude des mesures. L'entreprise du fer brut forgé ou converti en acier, celle de faire éclore des ani

maux à la maniere de l'Egypte dans des climats trop différents de l'Égypte, beaucoup d'autres efforts pareils, ont pu faire perdre un temps précieux, et ruiner même quelques familles; mais nous avons dû à ces mêmes entreprises des lumieres utiles sur la nature du fer et sur le développement des germes contenus dans les œufs. Des systêmes trop hasardés ont défiguré des travaux qui auraient été très utiles: on s'est fondé sur des expériences trompeuses pour faire revivre cette ancienne erreur, que des animaux pouvaient naître sans germe; de là sont sorties des imaginations plus chimériques que ces animaux. Les uns ont poussé l'abus de la découverte de Newton sur l'attraction jusqu'à dire que les enfants se forment par attraction dans le ventre de leurs meres; les autres ont inventé des molécules organiques: on s'est emporté dans ces vaines idées jusqu'à prétendre que les montagnes ont été formées par la mer; ce qui est aussi vrai que de dire que la mer a été formée par les montagnes.

Qui croirait que des géometres ont été assez extravagants pour imaginer qu'en exaltant son amé on pouvait voir l'avenir comme le présent? Plus d'un philosophe, comme on l'a déja dit ailleurs, a voulu, à l'exemple de Descartes, se mettre à la place de Dieu, et créer, comme lui, un monde avec la parole: mais bientôt toutes ces folies de la philosophie sont réprouvées des sages; et même ces édifices fantastiques, détruits par la raison, laissent dans leurs ruines des matériaux dont la raison même fait usage.

Une extravagance pareille a infecté la morale. Il s'est trouvé des esprits assez aveugles pour saper tous les fondements de la société en croyant la réformer : on a été assez fou pour soutenir que le mien et le tien sont des crimes, et qu'on ne doit point jouir de son travail; que non seulement tous les hommes sont égaux, mais qu'ils ont perverti l'ordre de la nature en se rassemblant; que l'homme est né pour être isolé comme une bête farouche; déranque les castors, les abeilles, et les fourmis, gent les lois éternelles en vivant en république.

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Ces impertinences, dignes de l'hôpital des fous, ont été quelque temps à la mode, comme les singes qu'on fait dauser dans des foires.

Elles ont été poussées jusqu'à ce point incroyable de démence, qu'un je ne sais quel charlatan sauvage a osé dire dans un projet d'éducation «qu'un « roi ne doit pas balancer à donner en mariage à « son fils la fille du bourreau, si les goûts, les hu<< meurs et les caracteres se conviennent. »

La théologie n'a pas été à couvert de ces excès: des ouvrages dont la nature est d'être édifiants sont devenus des libelles diffamatoires, qui ont même éprouvé la sévérité des parlements, et qui devaient aussi être condamnés par toutes les académies, tant ils sont mal écrits.

Plus d'un abus semblable a infecté la littérature; une foule d'écrivains s'est égarée dans un style recherché, violent, inintelligible, ou dans la négli gence totale de la grammaire. On est parvenu jusqu'à rendre Tacite ridicule. On a beaucoup écrit dans ce siecle; on avait du génie dans l'autre. La

langue fut portée sous Louis XIV au plus haut point de perfection dans tous les genres, non pas en employant des termes nouveaux inutiles, mais en se servant avec art de tous les mots nécessaires qui étaient en usage. Il est à craindre aujourd'hui que cette belle langue ne dégénere par cette malheureuse facilité d'écrire que le siecle passé a donnée aux siecles suivants; car les modeles produisent une foule d'imitateurs, et ces imitateurs cherchent toujours à mettre en paroles ce qui leur manque en génie : ils défigurent le langage, ne pouvant l'embellir. La France sur-tout s'était distin

guée dans le beau siecle de Louis XIV par la perfection singuliere à laquelle Racine éleva le théâtre, et par le charme de la parole qu'il porta à un degré d'élégance et de pureté inconnu jusqu'à lui. Cependant on applaudit après lui à des pieces écrites aussi barbarement que ridiculement construites.

C'est contre cette décadence que l'académie française lutte continuellement; elle préserve le bon goût d'une ruine totale, en n'accordant au moins des prix qu'à ce qui est écrit avec quelque pureté, et en réprouvant ce qui peche par le style. Il est vrai que les beaux-arts, qui donnerent tant de supériorité à la France sur les autres nations, sont bien dégénérés, et la France serait aujourd'hui sans gloire dans ce genre sans un petit nombre d'ouvrages de génie, tels que le poëme des Quatre Saisons, et le quinzieme chapitre de Bélisaire, s'il est permis de mettre la prose à côté de la plus élégante poésie. Mais enfin la littérature, quoique souvent corrompue, occupe presque toute la jeuS. DE LOUIS XV. 5. 13

nesse bien élevée : elle se répand dans les conditions qui l'ignoraient. C'est à elle qu'on doit l'éloignement des débauches grossieres et la conservation d'un reste de la politesse, introduite dans la nation par Louis XIV et par sa mere. Cette littérature, utile dans toutes les conditions de la vie, console même des calamités publiques, en arrêtant sur des objets agréables l'esprit, qui serait trop accablé de la contemplation des miseres humaines.

FIN DU PRÉCIS DU SIEGLE DE LOUIS XV.

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