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jamais, a paru aux jurisconsultes compatissants et sensés un supplice pire que la mort, qui ne doit être réservé que pour les Châtels et les Ravaillacs, dont tout un royaume est intéressé à découvrir les complices. Elle a été abolie en Angleterre et dans une partie de l'Allemagne ; elle est depuis peu proscrite dans un empire de deux mille lieues; et s'il n'y a pas de plus grands crimes dans ces pays que parmi nous, c'est une preuve que la torture est aussi condamnable que les délits qu'on croit prévenir par elle, et qu'on ne prévient pas.

On s'est élevé aussi contre la confiscation: 'on a vu qu'il n'est pas juste de punir les enfants des fautes de leurs peres. C'est un emaxime reçue au barreau, « qui confisque le corps confisqué les biens » ; maxime en vigueur dans les pays où la coutume tient lieu de loi. Ainsi, par exemple, on y fait mourir de faim les enfants de ceux qui ont terminé volontairement leurs jours, comme les enfants des meurtriers; ainsi une famille entiere est punie, dans tous les cas, pour la faute d'un seul homme.

Ainsi, lorsqu'un pere de famille aura été condamné aux galeres perpétuelles par une sentence arbitraire, soit pour avoir donné retraite chez soi à un prédicant, soit pour avoir écouté son sermon dans quelque caverne ou dans quelque désert, la famille et les enfants sont réduits à mendier leur pain.

Cette jurisprudence qui consiste à ravir la nourriture aux orphelins, et à donner à un homme le bien d'autrui, fut inconnue dans tout le temps de la république romaine: Sylla l'introduisit dans ses

proscriptions. Il faut avouer qu'une rapine inven tée par Sylla n'était pas un exemple à suivre. Aussi cette loi, qui semblait n'être dictéé que par l'inhumanité et l'avarice, ne fut suivie ni par César, ni par le bon empereur Trajan, ni par les Antonins, dont toutes les nations prononcent encore le nom avec respect et avec amour. Enfin, sous Justinien, la confiscation n'eut lieu que pour le crime de lese-majesté. ;

Il semble que dans les temps de l'anarchie féodale, les princes et les seigneurs des terres étant très peu riches, cherchassent à augmenter leur trésor par les condamnations de leurs sujets, et qu'on voulût leur faire un revenu da crime. Les lois chez eux étant arbitraires, et la jurisprudence romaine ignorée, les coutumes ou bizarres ou cruelles prévalurent. Mais aujourd'hui que la puissance des souverains est fondée sur des richesses immenses et assurées, leur trésor n'a pas besoin de s'enfler des faibles débris d'une famille malheureuse; ils sont abandonnés pour l'ordinaire au premier qui les demande: mais est-ce à un citoyen à s'engraisser des restes du sang d'un autre citoyen?

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La confiscation n'est point admise dans les pays où le droit romain est établi, excepté le ressort du parlement de Toulouse: elle ne l'est point dans quelques pays coutumiers, comme le Bourbonnais, le Berri, le Maine, le Poitou, la Bretagne, où du moins elle respecte les immeubles. Elle était établie autrefois à Calais; et les Anglais l'abolirent lorsqu'ils en furent les maîtres. Il est étrange que les habitants de la capitale vivent sous une loi plus

rigoureuse que ceux des petites villes: tant il est vrai que la jurisprudence a été souvent établie au hasard, sans régularité, sans uniformité, comme on bâtit des chaumieres dans un village!

Qui croirait que, l'an 1673, dans le plus beau siecle de la France, l'avocat-général Omer Talon, ait parlé ainsi en plein parlement au sujet d'une demoiselle de Canillac?

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<< Au chapitre 13 du Deutéronome Dieu dit: Si << tu te rencontres dans une ville et dans un lieu où « regne l'idolâtrie, mets tout au fil de l'épée, sans exception d'âge, de sexe, ni de condition. Ras« semble dans les places publiques toutes les dépouilles de la ville, brûle-la tout entiere avec ses dépouilles; et qu'il ne reste plus qu'un moncean « de cendres de ce lieu d'abomination; en un mot «fais-en un sacrifice au Seigneur, et qu'il ne << demeure rien en tes mains des biens de cet « anathême. »

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Ainsi, dans le crime de lese- majesté le roi « était maître des biens, et les enfants en étaient « privés. Le procès ayant été fait à Naboth, quia maledixerat regi, le roi Achab se mit en pos« session de son héritage. David étant averti que Miphibozeth s'était engagé dans la rebellion, « donna tous ses biens à Siba qui lui en apporta « la nouvelle: tua sint omnia quæ fuerunt Mia phibozeth. »

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Il s'agit de savoir qui héritera des biens de mademoiselle de Canillac, biens autrefois confisqués sur son pere, abandonnés par le roi à un garde du trésor royal, et donnés ensuite par le garde du

trésor royal à la testatrice. Et c'est sur ce procès d'une fille d'Auvergne qu'un avocat-général s'en rapporte à Achab, roi d'une partie de la Palestine, qui confisqua la vigne de Naboth après avoir assassiné le propriétaire par le poignard de la justice; action abominable qui est passée en proverbe, pour inspirer aux hommes l'horreur de l'usurpation. Assurément la vigne de Naboth n'avait aucun rapport avec l'héritage de mademoiselle de Canillac; le meurtre et la confiscation des biens de Miphibozeth, petit-fils du roitelet jaif Saül, et fils de Jonathas, ami et protecteur de David, n'ont pas une plus grande affinité avec le testament de cette demoiselle.

C'est aveo cette pédanterie, avec cette démence de citations étrangeres au sujet, avec cette ignorance des principes de la nature humaine, avec ees préjugés mal conçus et mal appliqués, que la jurisprudence a été traitée par des hommes qui ont eu de la réputation dans leur sphere. On laisse aux lecteurs à se dire ce qu'il est superflu qu'on leur

dise.

Si un jour les lois humaines adoucissaient en France quelques usages trop rigoureux, sans pourtant donner des facilités au crime, il est à croire qu'on réformera aussi la procédure dans les articles où les rédacteurs ont paru se livrer à un zele trop séveré. L'ordonnance criminelle ne devrait - elle pas être aussi favorable à l'innocent que terrible au coupable? En Angleterre un simple emprisonnement fait mal-à-propos est réparé par le ministre qui l'a ordonné: mais en France l'innocent

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qui a été plongé dans les cachots, qui a été appliqué à la torture, n'a nulle consolation à espérer, nul dommage à répéter contre personne quand c'est le ministere public qui l'a poursuivi; il reste flétri pour jamais dans la société. L'innocent flétri! et pourquoi? parceque ses os ont été brisés! il ne devrait exciter que la pitié et le respect. La recherche des crimes exige des rigueurs; c'est une guerre que la justice humaine fait à la méchanceté: mais il y a de la générosité et de la compassion jusque dans la guerre; le brave est compatissant; faudrait-il que l'homme de loi fût barbare?

Comparons seulement ici en quelques points la procédure criminelle des Romains avec la française.

Chez les Romains les témoins étaient entendus publiquement en présence de l'accusé, qui pouvait leur répondre, les interroger lui-même, ou leur mettre en tête un avocat. Cette procédure était noble et franche; elle respirait la magnanimité romaine.

Chez nous tout se fait secrètement; un seul juge avec son greffier entend chaque témoin l'un après l'autre. Cette pratique, établie par François I, fut autorisée par les commissaires qui rédigerent l'ordonnance de Louis XIV, en 1670; une méprise seule en fut la cause.

On s'était imaginé, en lisant le code de Testibus, que ces mots, testes intrare judicii secretum, signifiaient que les témoins étaient interrogés en secret: mais secretum signifie ici le cabinet du juge; intrare secretum, pour dire parler secrètement, ne serait pas latin; ce fut un solécisme qui fit cette

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