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de France, plus agissant et plus puissant que celui de Rome, fut prié d'assister encore Gênes de ses bons offices. Enfin la cour de France envoya sept bataillons en Corse, dans l'année 1764, mais non pas pour agir hostilement; ces troupes n'étaient chargées que de garder les places dont les Génois étaient encore en possession: elles vinrent comme médiatrices. Il fut dit qu'elles y resteraient quatre ans, et en partie aux dépens du sénat pour quelques fournitures.

Le sénat espérait que, la France s'étant chargée de garder ses places, il pourrait avec ses propres troupes suffire à regagner le reste de l'isle. Il se trompa; Paoli avait discipliné des soldats, en redoublant dans le peuple l'amour de la liberté : il avait un frere qui passait pour un brave, et qui battit sonvent les mercenaires de Gênes. Cette république perdit pendant quatre ans ses troupes et son argent, tandis que Paoli augmentait chaque jour ses forces et sa réputation. L'Europe le regardait comme le législateur et le vengeur de sa patrie.

Les quatre années du séjour des Français en Corse étant expirées, le sénat de Gênes connut enfin qu'il se consumait vainement dans une entreprise ruineuse, et qu'il lui était impossible de subjuguer les Corses.

Alors il céda tous ses droits sur la Corse à la couronne de France: le traité fut signé, au mois de juillet 1768, à Compiegne. Par ce traité le royaume de Corse n'était pas absolument donné au roi de France, mais il était censé lui appartenir, avec la faculté réservée à la république de rentrer dans

cette souveraineté, en remboursant au roi les frais immenses qu'il avait faits en faveur de la république. C'était en effet céder à jamais la Corse; car il n'était pas probable que les Génois fussent en état de racheter ce royaume; et il était encore moins probable que l'ayant racheté, ils pussent le conserver contre toute une nation qui avait fait serment de mourir plutôt que de vivre sous le joug de Gènes.

Ainsi donc, en cédant la vaine et fatale souveraineté d'un pays qui lui était à charge, Gênes faisait en effet un bon marché; et le roi de France en faisait un meilleur, puisqu'il était assez puissant pour se faire obéir dans la Corse, pour la policer, pour la peupler, pour l'enrichir en y faisant fleurir l'agriculture et le commerce. De plus il pouvait venir un temps où la possession de la Corse serait -un grand avantage dans les intérêts qu'on aurait à démêler en Italie.

Il restait à savoir si les hommes ont le droit de vendre d'autres hommes; mais c'est une question qu'on n'examina jamais dans aucun traité.

On commença par négocier avec le général Paoli: il avait affaire au ministre de la politique et de la guerre; il savait que le cœur de ce ministre était au-dessus de sa naissance, que c'était l'homme le plus généreux de l'Europe, qu'il se conduisait avec une noblesse héroïque dans tous ses intérêts particuliers, et qu'il agirait avec la même grandeur d'ame dans les intérêts du roi son maître. Paoli pouvait s'attendre à des honneurs et à des récompenses; mais il était chargé du dépôt de la liberté

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de sa patrie, il avait devant les yeux le jugement ules nations: quel que fût son dessein, il ne voulait pas vendre la sienne; et quand il l'aurait voulu il ne l'aurait pas pu; les Corses étaient saisis d'un trop violent enthousiasme pour la liberté, et luimême avait redoublé en eux cette passion si naturelle, devenue à la fois un devoir sacré et une espece de fureur. S'il avait tenté seulement de la modérer, il aurait risqué sa vie et sa gloire.

Cette gloire n'était pas chez lui celle de combattre: il était plus législateur que guerrier; son courage était dans l'esprit; il dirigeait toutes les opérations militaires. Enfin il eut l'honneur de résister à un roi de France près d'une année. Aucune puissance étrangere ne le secourut. Quelques Anglais seulement, amoureux de cette liberté dont il était le défenseur et dont il allait être la victime, lui envoyerent de l'argent et des armes: car les Corses étaient mal armés; ils n'avaient point de fusils à baïonnette; même quand on leur en fit tenir de Londres, la plupart des Corses ne parent s'en servir; ils préférerent leurs mousquetons ordinaires et leurs couteaux: leur arme principale était leur courage. Ce courage fut si grand, que dans un des combats, vers une riviere nommée le Gaulo, ils se firent un rempart de leurs morts, pour avoir le temps de charger derriere eux avant de faire une retraite nécessaire; leurs blessés se mêlerent parmi les morts pour raffermir le rempart. On trouve partout de la valeur, mais on ne voit de telles actions que chez des peuples libres. Malgré tant de valeur ils furent vaincus. Le comte de Vaux, secondé d

marquis de Marbœuf, soumit l'isle en moins de temps que le maréchal de Maillebois ne l'avait domtée.

Le duc de Choiseul, qui dirigea toute cette entreprise, eut la gloire de donner au roi son maître une province qui peut aisément, si elle était bien cultivée, nourrir deux cent mille hommes, fournir de braves soldats, et faire un jour un commerce utile.

On peut observer que si la France s'accrut sous Louis XIV de l'Alsace, de la Franche-Comté, et d'une partie de la Flandre, elle fut augmentée sous Louis XV de la Lorraine et de la Corse.

Ce qui n'est pas moins digne de remarque, c'est que par les soins du même ministre, les possessions de la France en Amérique acquirent un degré de force et de prospérité qui vaut de nouvelles acquisitions. Ces avantages furent dus au choix que l'on fit du comte d'Ennery pour administrer successivement toutes nos colonies. Il se trouvait officier-général très jeune, à la paix de 1762, et n'était connu alors que par ses talents pour la guerre. Le duc de Choiseul démêla en lui l'homme d'état. En effet le comte d'Ennery, pendant six années de gouvernement, ne cessa de montrer toutes les lumieres et les vertus qui peuvent faire chérir et respecter l'autorité. Tout le monde le craint, et il n'a encore « fait de mal à personne », écrivait-on de la Martinique. Par-tout il fit régner la justice, et il inspira l'amour de la gloire; par-tout il animait le commerce et l'industrie. Il parvint à entretenir la concorde entre tous les états, ce qui est une chose bien

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rare; il adoucit le triste sort des esclaves; il fit défricher l'isle de Sainte-Lucie, et par-là il créa une colonie nouvelle.

Dans d'autres parties, en creusant des canaux il épura l'air, féconda la terre, fit naître des nouvelles richesses; et en même temps il pourvoyait à la sûreté et à l'embellissement de nos possessions.

Quelque temps après avoir été rappelé en France pour le mauvais état de sa santé il se dévoua à de nouveaux sacrifices, plutôt sollicités qu'exigés par un jeune monarque qui lui écrivit de sa propre main: « Votre réputation seule me servira beaucoup « à Saint-Domingue.

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Le comte d'Ennery avait ménité une confiance si honorable en rendant au roi un des plus importants services, celui de fixer avec les Espagnols les limites des deux nations. Cet administrateur, qui faisait tant d'honneur à la France, ne put résister aux funestes influences de ce climat brûlant: sa perte fut une calamité publique pour toutes nos colonies, qui s'empresserent de lui élever des monuments, et qui ne pronoucent son nom qu'avec attendrissement et avec admiration.

Les Anglais, dont il avait acquis l'estime, et qui l'avaient souvent pris pour arbitre entre nos colonies et les leurs, avaient consacré le nom du comte d'Ennery par le plus jäste et le plus flatteur de tous les éloges: « Cet homme ne fera ni ne souffrira ja« mais d'injustice.

La récompense que reçut le duc de Choiseul pour tant de choses si grandes et si útiles qu'il avait faites paraîtrait bien étrange, si on ne connaissait S. DE LOUIS XV. 5.

II

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