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Cette requête était d'ailleurs recommandable par une éloquence agreste qui l'emporte sur l'art oratoire, et par des sentiments de liberté si peu connus dans les cours. « Si vos ordres souverains, disaient-ils, nous obligent de nous soumettre à Gênes, allons, buvons à la santé du roi très chré<< tien ce calice amer, et mourons. »

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On dressa à Versailles, au nom de l'empereur et du roi, un plan qui fut signé du ministre du roi et du prince de Lichtenstein, ambassadeur de l'empereur. Les conventions en paraissaient équitables on abolissait sur-tout ce droit que les commissaires de la république génoise s'étaient arrogė, de condamner à la potence ou aux galeres sur le simple témoignage de leur conscience; mais on désarmait par un article tous les habitants de la Corse. Ils ne voulurent point du tout être désarmés, et résolurent de mourir plutôt que de boire à la santé du roi très chrétien.

Le roi Théodore leur promettait toujours, de sa prison d'Amsterdam, qu'il viendrait les délivrer bientôt du joug de Gênes et de l'arbitrage de la France. En effet il trouva le secret de tromper des Juifs et des négociants étrangers établis dans Amsterdam, comme il avait trompé Tunis et la Corse; il les engagea, non seulement à payer ses dettes, mais à charger un vaisseau d'armes, de poudre, de munitions de guerre et de bouche avec beaucoup de marchandises, leur persuadant qu'ils feraient seuls tout le commerce de la Corse, et leur faisant envisager des profits immenses. L'intérêt leur ôtait la raison: mais Théodore n'était pas moins fou

queux; il s'imaginait qu'en débarquant en Corse des armes, et paraissant avec quelque argent, toute l'isle se rangerait incontinent sous ses drapeaux malgré les Français et les Génois. Il ne put aborder: il se sauva à Livourne; et ses créanciers de Hollande furent ruinés.

Il se réfugia bientôt en Angleterre : il fut mis en prison pour ses dettes à Londres, comme il l'avait été à Amsterdam. Il y resta jusqu'au commencement de l'année 1736. M. Walpole eut la générosité de faire pour lui une souscription, moyennant laquelle il appaisa les créanciers, et délivra de prison ce prétendu monarque, qui mourut très misérable le 2 décembre de la même année. On grava sur son tombeau « que la fortune lui avait donné un « royaume et refusé du pain.

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Dans le temps que ce Théodore avait fait sa seconde tentative pour régner sur les Corses, et qu'il avait essayé en vain d'aborder dans l'isle, les insulaires firent bien voir qu'ils n'avaient pas besoin de lui pour se défendre. Ils avaient promis à Boissieux de lui apporter leurs armes ; ils les apporterent en effet le 12 décembre 1738, mais ce fut pour surprendre un poste de quatre cents Français qui ne purent résister. Boissieux vint à leur secours; il fut repoussé et conduit coups de fusil jusque dans Bastia. Les Corses appelerent cette journée les vêpres corsiques, quoique ce ne fût qu'une faible imitation des vêpres siciliennes.

Quelque temps après partit une flotte chargée de nouveaux bataillons, que le cardinal de Fleuri envoyait pour pacifier la Corse par la voie des

armes. La flotte fut dispersée par une horrible tempête; deux vaisseaux furent brisés sur la côte; quatre cents soldats avec leurs officiers, échappés au naufrage, tomberent entre les mains de ceux qu'ils venaient assujettir, et furent dépouillés tout nus. Le chagrin que ressentit Boissieux de tant de disgraces hâta sa mort, dont sa faible complexion le menaçait depuis long-temps. On n'a guere fait d'expédition plus malheureuse.

Enfin on fit partir le marquis de Maillebois, officier d'une grande réputation, et qui fut bientôt après maréchal-de-France. Celui-ci, accoutumé aux expéditions promptes, domta les Corses en trois semaines, dans l'année 1739.

Déja l'on commençait à mettre dans l'isle une police qu'on n'y avait point encore vue, lorsque la fatale guerre de 1740 désola la moitié de l'Europe. Le cardinal de Fleuri, qui l'entreprit malgré lui, et dont le caractere était de croire soutenir de grandes choses par de petits moyens, mit de l'économie dans cette guerre importante: il retira toutes les troupes qui étaient en Corse. Gênes, loin de pouvoir subjuguer l'isle, fut elle-même accablée par les Autrichiens, réduite à une espece d'esclavage, et plus malheureuse que la Corse, parcequ'elle tombait de plus haut.

Tandis que l'Europe était désolée pour la succession des états de la maison d'Autriche, et pour tant d'intérêts divers qui se mêlerent à l'intérêt prin cipal, les Corses s'affermirent dans l'amour de la liberté et dans la haine pour leurs anciens maîtres. Gênes possédait toujours Bastia, la capitale de l'isle

et quelques autres places; les Corses avaient tout le reste: ils jouirent de leur liberté ou plutôt de leur licence sous le commandement de Giafferi, élu par eux général, homme célebre par une valeur intrépide, et même par des vertus de citoyen. Il fut assassiné en 1753. On ne manqua pas d'en accuser le sénat de Gênes, qui n'avait peut-être nulle part à ce meurtre.

La discorde alors divisait tous les Corses: les inimitiés entre les familles se terminaient toujours par des assassinats; mais on se réunissait contre les Génois, et les haines particulieres cédaient à la haine générale. Les Corses avaient plus que jamais besoin d'un chef qui sût diriger leur fureur, et la faire servir au bien public.

Le vieux Hyacinthe Paoli, qui les avait commandés autrefois, et qui était alors retiré à Naples, leur envoya son fils Pascal Paoli, en 1755. Dès qu'il parut il fut reconnu pour commandant-général de toute l'isle, quoiqu'il n'eût que vingt-neuf ans. Il ne prétendit pas le titre de roi, comme Théodore, mais il le fut en effet à plusieurs égards, en se mettant à la tête d'un gouvernement démocratique.

Quelque chose qu'on ait dite de lui il n'est pas possible que ce chef n'eût de grandes qualités : établir un gouvernement régulier chez un peuple qui n'en voulait point, réunir sous les mêmes lois des hommes divisés et indisciplinés, former à la fois des troupes réglées, et instituer une espece d'université qui pouvait adoucir les mœurs, établir des tribunaux de justice, mettre un frein à la fureur des assassinats et des meurtres, policer la barbarie,

se faire aimer en se faisant obéir, tout cela n'était pas assurément d'un homme ordinaire. Il ne put en faire assez, ni pour rendre la Corse libre, ni pour y régner pleinement, mais il en fit assez pour acquérir de la gloire.

Deux puissances très différentes l'une de l'autre entrerent dans les démêlés de Gênes et de la Corse; l'une était la cour de Rome, et l'autre celle de France. Les papes avaient prétendu autrefois la souveraineté de l'isle, et on ne l'oubliait pas à Rome. Les évêques corses ayant pris le parti du sénat génois, et trois de ces évêques ayant quitté leur patrie, le pape y envoya un visiteur-général qui alarma beaucoup le sénat de Gênes. Quelques sénateurs craignirent que Rome ne profitât de ces troubles pour faire revivre ses anciennes prétentions sur un pays que Gènes ne pouvait plus conserver: cette crainte était aussi vaine que les efforts des Génois pour subjuguer les Corses. Le pape qui envoyait ce visiteur était ce même Rezzonico qui depuis éclata si indiscrètement contre le duc de Parme; ce n'était pas un homme à conquérir des royaumes: le sénat de Gênes ordonna qu'on empêchât le visiteur d'aborder en Corse. Il n'y arriva pas moins au printemps de 1760. Le général Paoli le harangua pour s'en faire un protecteur : il fit brûler sous la potence le décret du sénat; mais il resta toujours le maître. Le visiteur ne put que donner des bénédictions et faire des réglements ecclésiastiques pour des prêtres qui n'en avaient que le nom, et qui allaient quelquefois, au sortir de la messe, assassiner leurs camarades. Le ministere

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