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en 1553, grace à la mauvaise conduite de François I, et au généreux courage de François Doria, l'homme qui, dans l'Europe moderne, a le plus illustré le nom de citoyen, alors les Corses furent plus esclaves que jamais; le poids de leurs chaînes étant devenu insupportable, leur malheur ranima leur courage. La famille d'Ornano, qui depuis se réfugia et brilla en France, voulut faire en Corse ce que les Doria avaient fait à Gênes, rendre la liberté à leur patrie, et cette famille d'Ornano était digne d'un si noble projet ; elle n'y réussit pas le plus grand courage et les meilleures mesures ont besoin de la fortune. Le roi de France Henri II, qui secourait déja les Corses, pour les subjuguer peutêtre, fut tué dans un tournoi.

Les d'Ornano, n'ayant plus l'appui dangereux de la cour de France, ea implorerent un plus dangereux encore, celui des Ottomans; mais la Porte dédaigna de se mêler des querelles de deux petits peuples qui se disputaient des rochers sur les côtes d'Italie. Les Corses resterent asservis aux Génois; plus ces insulaires avaient voulu secouer leur joug, plus Gènes l'appesantit.

Les Corses furent long-temps gouvernés par une loi qui ressemblait à la loi veimique ou vestphalienae de Charlemagne, loi par laquelle le commissaire délégué dans l'işle condamnait à mort ou aux galeres, sur une information secrete, sans interroger l'accusé, sans mettre la moindre formalité dans son jugement. La sentence était conçue en ces termes dans un registre secret : « Étant informé en ma conscience que tels et tels sont coupables, je

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<< les condamne à mort. » Il n'y avait pas plus de formalité dans l'exécution que dans la sentence. Il est inconcevable que Charlemagne ait imaginé une telle procédure qui a duré cinq cents ans en Vestphalie, et qui ensuite a été imitée chez les Corses. Ces insulaires s'assassinaient continuellement les uns les autres; et leur juge faisait ensuite assassiner les survivants sur l'information de sa conscience: c'est des deux côtés le dernier degré de la barbarie. Les Corses avaient besoin d'être policés, et on les écrasait; il fallait les adoucir, et on les rendait encore plus farouches. Une haine atroce et indestructible s'invétéra entre eux et leurs maîtres, et fut une seconde nature. Il y eut douze soulèvements, que les Corses appelerent efforts de liberté, et les Génois crimes de haute trahison. Depuis l'année 1725 ce ne furent que séditions, châtiments, soulèvements, déprédations, meurtres de citoyens corses assassinés par leurs concitoyens. Croirait-on bien que, dans une requête envoyée au roi de France par les chefs corses en 1738, il est dit qu'il y eut vingt-six mille assassinats sous le gouvernement des seize derniers commissaires génois, et dix-sept cents depuis deux années? les plaignants ajòutaient que les commissaires de Gênes connivaient à ces crimes, pour ramasser plus de confiscations et d'amendes. L'accusation semblait exagérée, mais il en résultait que le gouvernement était mauvais, et les peuples plus mauvais encore. La Corse coûtait au sénat de Gênes beaucoup plus de trésors et d'embarras qu'elle ne valait: il pouvait dire aux Corses

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ce que Louis XI dit de Gênes quand elle voulut se donner à lui: il la donna au diable.

Dès l'année 1729 la guerre était ouverte comme entre deux nations rivales et irréconciliables. Gênes implora le secours de Charles VI, en qualité de seigneur suzerain qui doit protéger ses vassaux; à cette raison elle joignit de l'argent, et l'Empereur envoya des troupes. Un prince de la maison de Virtemberg, brave guerrier et homme généreux, fit mettre les armes bas aux Corses: il ménagea un accommodement entre eux et les Génois, en 1732; mais ce ne fut qu'une treve bientôt rompue par nimosité des deux partis.

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Les Corses commençaient à avoir des chefs très intelligents, tels qu'il s'en forme toujours dans les guerres civiles, un Giafferi, un Hyacinthe Paoli, un Rivalora, et sur-tout un chanoine nommé Orticone, qui eut quelque temps la principale influence; mais ces chefs ne pouvaient encore changer en un gouvernement régulier l'anarchie tumultueuse qui désolait et dépeuplait cette isle.

Les Corses, chez qui l'assassinat était alors plus commun qu'il ne l'avait été au quinzieme siecle dans le continent de l'Italie, étaient aussi dévots que les autres Italiens, et plusieurs prêtres parmi eux assassinaient en disant leur chapelet. Les chefs convoquerent, en 1935, une assemblée générale, dans laquelle on donna la Corse à la Vierge Marie, qui ne parut pas accepter cette couronne. On brûla les lois génoises, et on décerna peine de mort contre quiconque proposerait de traiter avec S. DE LOUIS XV. 5. fobelate

Gênes. Hyacinthe Paoli et Giafferi furent déclarés généraux.

A peine les Corses se furent-ils mis en république sous les ordres de la Vierge, qu'un aventurier de la basse Allemagne vint se faire roi de Corse sans la consulter: c'était un pauvre baron de Vestphalie, nommé Théodore de Neuhoff, frere d'une dame établie en France à la cour de la duchesse d'Orléans. Cet homme ayant voyagé en Espagne, et ayant eu quelque intelligence avec un envoyé de Tunis, passa lui-même en Afrique, persuada le bey qu'il pourrait lui soumettre la Corse, si le bey voulait lui donner seulement un vaisseau de dix canons, quatre mille fusils, mille sequins et quelques provisions. La régence de Tunis fut assez simple pour les donner. Il arriva à Livourne sur un bâtiment qui portait un faux pavillon anglais, vendit le vaisseau, et écrivit aux chefs des Corses que, si on voulait le choisir lui-même pour roi, il promettait de chasser les Génois de l'isle avec le secours des principales puissances de l'Europe dont il était sûr.

Il faut qu'il y ait des temps où la tête tourne à la plupart des hommes. Sa proposition fut acceptée. Le baron Théodore aborda, le 15 mars 1736, au port d'Aléria, vêtu à la turque et coiffé d'un turban. Il débuta par dire qu'il arrivait avec des trésors immenses, et pour preuve il répandit parmi le peuple une cinquantaine de sequins en monnaie de billon: ses fusils, sa poudre, qu'il distribua, furent les preuves de sa puissance; il donna des souliers de bon cuir, magnificence ignorée en Corse;

il aposta des couriers qui venaient de Livourne sur des barques, et qui lui apportaient de prétendus paquets des puissances d'Europe et d'Afrique. On le prit pour un des plus grands princes de la terre: il fut élu roi ; on frappa quelques monnaies de cuivre å son coin; il eut une cour et des secrétaires d'état. Ce qui accrut principalement sa réputation et son pouvoir, c'est que le sénat génois mit sa tête à prix. Mais au bout de huit mois, les principaux Corses ayant reconnu le personnage, et le d'argent qu'il avait étant épuisé, il partit pour aller, disait-il, chercher les plus puissants secours.

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Réfugié dans Amsterdam, un de ses créanciers le fit mettre en prison. Cette disgrace ne le rebuta point; il fit de nouvelles dupes du fond de sa prison même. Il ressemblait en cela à un marquis d'Ammi de Conventiglio, qui dans le même temps parcourait toutes les cours, faisant de l'or pour les princes et les seigneurs qui en avaient besoin, et se faisait mettre en prison dans toutes les capitales de l'Europe.

Cependant les Génois solliciterent, en 1737, les bons offices de la France. Le cardinal de Fleuri, qui avait pacifié les troubles de Geneve, voulut aussi être l'arbitre de la paix entre Gênes et la Corse. Il fit partir le comte de Boissieux, neveu du maréchal de Villars, avec quelques troupes et des articles de pacification. Ce fut alors que les mécontents envoyerent au roi cette supplique dont on a déja parlé, dans laquelle ils se plaignaient de dixsept cents assassinats commis en deux ans dans leur isle ; ce qui n'était pas une apologie de leur parti;

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