Imágenes de página
PDF
ePub

actions sont crimes ou vertus selon les lieux et selon les temps.

Cette aventure indisposa la Suede contre son roi, et contribua ensuite à faire déclarer la guerre (comme nous le verrons) à Frédéric, roi de Prusse, dont la sœur avait épousé le roi de Suede.

Les révolutions que ce même roi de Prusse et ses ennemis préparaient dès-lors étaient un feu qui couvait sous la cendre: ce feu embrasa bientôt l'Europe; mais les premieres étincelles vinrent d'Amérique.

Une légere querelle entre la France et l'Angleterre, pour quelques terrains sauvages vers l'Acadie, inspira une nouvelle politique à tous les souverains d'Europe. Il est utile d'observer que cette querelle était le fruit de la négligence de tous les ministres, qui travaillerent en 1712 et 1713, au traité d'Utrecht. La France avait cédé à l'Angleterre par ce traité l'Acadie, voisine du Canada, avec toutes ses anciennes limites; mais on n'avait pas spécifié quelles étaient ces limites, on les ignorait : c'est une faute qu'on n'a jamais commise dans des contrats entre particuliers. Des démêlés ont résulté nécessairement de cette omission. Si la philosophie et la justice se mêlaient des querelles des hommes, elles leur feraient voir que les Français et les Anglais se disputaient un pays sur lequel ils n'avaient aucun droit; mais ces premiers principes n'entrent point dans les affaires du monde. Une pareille dispute élevée entre de simples commerçants aurait été appaisée en deux heures par des arbitres; mais entre des couronnes il suffit de l'ambition ou de

1

l'humeur d'un simple commissaire pour bouleverser vingt états. On accusait les Anglais de ne chercher qu'à détruire entièrement le commerce de la France dans cette partie de l'Amérique. Ils étaient très supérieurs, par leurs nombreuses et riches colonies, dans l'Amérique septentrionale; ils l'étaient encore plus sur mer par leurs flottes; et ayant détruit la marine de France dans la guerre de 1741, ils se flattaient que rien ne leur résisterait ni dans le nouveau monde ni sur nos mers: leurs espérances furent d'abord trompées.

Ils commencerent, en 1756, par attaquer les Français vers le Canada; et, sans aucune déclaration de guerre, ils prirent plus de trois cents vaisseaux marchands, comme on saisirait des barques de contrebande; ils s'emparerent même de quelques navires des autres nations qui portaient aux Français des marchandises. Le roi de France, dans ces conjonctures, eut une conduite toute différente de celle de Louis XIV: il se contenta d'abord de demander justice; il ne permit pas seulement alors à ses sujets d'armer en course. Louis XIV avait parlé souvent aux autres cours avec supériorité; Louis XV fit sentir dans toutes les cours la supériorité que les Anglais affectaient. On avait reproché à Louis XIV une ambition qui tendait sur terre à la monarchie universelle; Louis XV fit connaître la supériorité réelle que les Anglais prenaient sur les mers.

Cependant Louis XV s'assurait "quelque vengeance: ses troupes battaient les Anglais, en 1755, vers le Canada; il préparait dans ses ports une

flotte considérable, et il comptait attaquer par terre le roi d'Angleterre, George II, dans son électorat d'Hanovre. Cette irruption en Allemagne menaçait l'Europe d'un embrasement allumé dans le nouveau monde. Ce fut alors que toute la politique de l'Europe fut changée. Le roi d'Angleterre appela une seconde fois du fond du nord trente mille Russes qu'il devait soudoyer. L'empire de Russie était l'allié de l'empereur et de l'impératrice reine de Hongrie. Le roi de Prusse devait craindre que les Russes, les Impériaux, et les Hanovriens, ne tombassent sur lui. Il avait environ cent quarante mille hommes en armes; il n'hésita pas à se liguer avec le roi d'Angleterre, pour empêcher d'une main que les Russes n'entrassent en Allemagne, et pour fermer de l'autre le chemin aux Français. Voilà donc encore toute l'Europe en ar. mes, et la France replongée dans de nouvelles calamités, qu'on aurait pu éviter si on pouvait se dérober à sa destinée.

Le roi de France eut avec facilité et en un moment tout l'argent dont il avait besoin, par une de ces promptes ressources qu'on ne peut connaître que dans un royaume aussi opulent que la France: vingt places nouvelles de fermiers - généraux, et quelques emprunts, suffirent pour soutenir les premieres années de la guerre; facilité funeste qui ruina bientôt le royaume.

On feignit de menacer les côtes de l'Angleterre. Ce n'était plus le temps où la reine Élisabeth, avec le secours de ses seuls Anglais, ayant l'Écosse à craindre, et pouvant à peine contenir l'Irlande,

soutint les prodigieux efforts de Philippe II. Le roi d'Angleterre, George II, se crut obligé de faire venir des Hanovriens et des Hessois pour défendre ses côtes. L'Angleterre, qui n'avait pas prévu cette suite de son entreprise, murmura de se voir inondée d'étrangers: plusieurs citoyens passerent de la fierté à la crainte, et tremblerent pour leur liberté.

Le gouvernement anglais avait pris le change sur les desseins de la France: il craignait une invasion, et il ne songeait pas à l'isle de Minorque, ce fruit de tant de dépenses prodiguées dans l'ancienne guerre de la succession d'Espagne.

Mi

Les Anglais avaient pris, comme on a vu, norque sur l'Espagne; la possession de cette conquête, assurée par tous les traités, leur était plus importante que Gibraltar, qui n'est point un port, et leur donnait l'empire de la Méditerranée. Le roi de France envoya dans cette isle, sur la fin d'avril 1756, le maréchal duc de Richelieu, avec environ vingt bataillons, escortés d'une douzaine de vaisseaux du premier rang, et quelques frégates, que les Anglais ne croyaient pas être sitôt prêtes. Tout le fut à point nommé, et rien ne l'était du côté des Anglais. Ils tenterent au moins, mais trop tard, d'attaquer au mois de juin la flotte française, commandée par le marquis de la Galissonniere. Cette bataille ne leur eût pas conservé l'isle de Minorque, mais elle pouvait sauver leur gloire. L'entreprise fut infructueuse; le marquis de la Galissonniere mit leur flotte en désordre, et la repoussa. Le ministere anglais vit quelque temps avec

[ocr errors]
[ocr errors]

douleur qu'il avait forcé la France à établir une marine redoutable.

Il restait aux Anglais l'espérance de défendre la citadelle de Port-Mahon, qu'on regardait, après Gibraltar, comme la place de l'Europe la plus forte par sa situation, par la nature de son terrain, et par trente ans de soins qu'on avait mis à la fortifier: c'était par-tout un roc uni; c'étaient des fossés profonds de vingt pieds, et en quelques endroits de trente, taillés dans ce roc; c'étaient quatre-vingts mines sous des ouvrages devant lesquels il était impossible d'ouvrir la tranchée : tout était impénétrable au canon, et la citadelle entourée par-tout de ces fortifications extérieures taillées dans le roc vif. ›

Le maréchal de Richelieu tenta une entreprise plus hardie que n'avait été celle de Berg-op-zoom; ee fut de donner à la fois un assaut à tous ces ouvrages qui défendaient le corps de la place. Il fut secondé dans cette entreprise audacieuse par le comte de Maillebois, qui dans cette guerre déploya toujours de grands talents, déja exercés dans l'Italie.

On descendit dans les fossés malgré le feu de l'artillerie anglaise; on planta des échelles hautes de treize pieds; les officiers et les soldats, parvenus au dernier échelon, s'élançaient sur le roc en montant sur les épaules les uns des autres: c'est par cette audace difficile à comprendre qu'ils se rendirent maîtres de tous les ouvrages extérieurs. Les 4 troupes s'y porterent avec d'autant plus de courage qu'elles avaient affaire à près de trois mille Anglais,

1

« AnteriorContinuar »