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Du 15 au 18 mai, toutes les têtes de colonnes se mirent en mouvement : le général Lannes, qui s'était déjà enfoncé dans l'étroite vallée de la Drance par le Col-Major, jusqu'à Saint-Pierre, où finit le chemin praticable, en partit le 17 pour gravir la grande montagne avec la première division de son avantgarde. Les autres divisions suivaient tête sur queue. On achevait à Saint-Pierre de démonter pièce à pièce l'artillerie et les bagages, et de charger les munitions à dos de mulet; non-seulement les affûts-traîneaux construits dans les ateliers d'artillerie, les traîneaux ordinaires, les arbres creusés, les brancards, tous les moyens que pouvaient fournir les habitans des vallées selon leur expérience et leurs coutumes, furent employés à la fois, mais encore l'adresse, l'activité, l'intelligence des soldats français produisirent, pour la célérité de ces transports et la conservation d'objets si précieux pour l'armée, des efforts et des résultats presque incroyables.

Sur un espace d'environ six milles, de

Saint-Pierre au sommet du Saint-Bernard, l'étroit sentier qui borde le torrent sans cesse détourné par des rochers entassés, toujours roide et souvent périlleux, est encombré de neiges et de glaces; à peine est-il frayé, que la moindre tourmente agitant les flots de nouvelle neige dans ces déserts aériens, efface toutes les traces, et qu'il faut chercher des points indicateurs dans ce chaos de masses uniformes où la nature presque inanimée n'offre plus de végétation. C'est là que gravissant péniblement, n'osant prendre le temps de respirer, parce que la colonne eût été arrêtée, près de succomber sous le poids de leur bagage et de leurs armes, les soldats s'excitaient les uns les autres par des chants guerriers, et faisaient battre la charge.

Après six heures de marche, ou plutôt d'efforts et de travail continus, la première avant-garde arriva à l'hospice fameux dont la fondation immortalise Bernard Menthon, et rend depuis huit siècles son nom cher aux amis de l'humanité; toutes les troupes

des divisions qui se succédaient, rivalisant avec celles qui les avaient précédées, reçurent, des mains de ces religieux, victimes volontaires dévouées aux rigueurs de la pénitence et d'un éternel hiver, les secours qu'ils vont au loin recueillir de la charité des fidèles, et que leur vigilante charité prodigue aux voyageurs.

Plus heureux qu'Annibal, Bonaparte ne rencontra point de hordes sauvages sur ces cimes glacées, mais de pieux cénobites dont il récompensa le généreux empresse

ment.

Après cette halte, avec une nouvelle ardeur et non moins de fatigues, mais avec en core plus de danger, la colonne se précipita sur les pentes rapides du côté du Piémont. Selon les sinuosités et les diverses expositions, les neiges commençaient à fondre, se crévassaient en s'affaissant, et le moindre faux pas entraînait et faisait disparaître, dans les précipices, dans des gouffres de neige, les hommes et les chevaux.

L'opération étant alors démasquée et l'en

nemi surpris, le cri d'alerte retentissait d'un poste à l'autre ; il n'y avait pas un instant à perdre pour renverser les premiers obstacles.

r

Le général Lannes n'arrêta son avantgarde ralliée à Etroubles, au pied de la grande montagne, que le temps nécessaire pour rafraîchir les soldats harassés, et la porta sur la petite ville d'Aoste occupée par les Autrichiens, et qu'il fit enlever à la baïonnette; il poursuivit sa marche encore plus rapidement et arriva le 19 mai devant Châtillon. Il y trouva 1,500 Croates occupant, à l'embranchement des deux vallées, une position resserrée et bien appuyée à la rive gauche de la Dora; il la fit tourner par la droite, et l'attaquant en même temps de front, il déposta les Autrichiens, leur prit 300 hommes, trois pièces de canon, et poursuivit le reste jusque sous le fort de Bard.

Bonaparte, après avoir lancé son corps d'avant-garde, se reposant sur l'activité du commandant en chef Berthier et sur l'intré

pidité du général Lannes pour vaincre les difficultés du premier passage, était resté de sa personne à Lausanne, travaillant sans relâche (comme on le voit par sa correspondance) à régulariser les divers services, à accélérer le transport de l'artillerie, des vivres et des munitions, considérant la moindre négligence, le moindre retard, comme l'écueil le plus dangereux dans une telle entreprise; impatient de toucher le sol d'Italie, il se contenait, s'appliquait à ces détails avec la plus froide prévoyance, mettait à leur exécution toute la vigueur du commandement du chef du gouvernement, et leur donnait avec raison la même importance qu'à la victoire qu'ils devaient lui préparer.

Le premier Consul ne quitta Lausanne que le 19 mai; il s'arrêta à Martigny, il y reçut des nouvelles du général Suchet, et sans doute les plus favorables qu'il pût espérer, puisqu'elles lui donnaient la certitude que le 14 mai le général Mélas était à Vintimiglia, et qu'après avoir été repoussé

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