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Le général Berthier, que Bonaparte présen· tait et feignait de considérer comme le général en chef, se gardait bien d'en affecter le pouvoir dans ces dernières et principales dispositions. Il pressait le premier Consul de se rendre à l'armée; il lui écrivait de Genève : « Je voudrais vous voir ici; il y a » des ordres à donner pour que les trois » armées agissent de concert, et vous seul » pouvez donner cette direction sur les lieux; » les mesures décidées à Paris sont trop tar» dives ».

Mais Bonaparte, en différant de jour en jour son départ annoncé depuis longtemps, couvrait d'autant mieux ses desseins, qu'on n'accordait au-dehors aucune croyance à ses démonstrations, à ses actes publics, à ses déclamations; d'ailleurs il attendait des nouvelles plus sûres des succès de l'armée du Rhin, pour donner au général Moreau des ordres du gouvernement dont il lui fût impossible d'éluder l'exécution. Le ministre de la guerre Carnot fut chargé de lui porter lui-même l'arrêté des Consuls, qui

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lui prescrivait de détacher de son armée et de faire passer en Suisse, sous les ordres du général Moncey, un corps de 25,000 hommes avec lequel celui-ci devait passer le SaintGothard.

Toutes choses étant ainsi disposées, Bonaparte, après avoir réglé tous les objets d'administration intérieure pour le temps de son absence, quitta Paris le 6 mai; il s'arrêta pendant quelques heures à Dijon pour y passer en revue les bataillons qui s'y formaient, et organiser l'état-major et le premier cadre d'une seconde armée de réserve dont il donna le commandement au général Brune; il visita en passant les ateliers d'artillerie d'Auxonne et de Dóle. Il arriva à Genève le 8 mai. Il fit d'abord appeler le général Marescot qui venait d'achever sa reconnaissance du Saint-Bernard; celui-ci avait eu beaucoup de peine à gravir la montagne jusqu'à l'hospice qui depuis deux mois était occupé par un poste détaché du petit corps du général Mainoni. Les Autrichiens avaient aussi établi un poste le plus près pos

sible du couvent, mais sans inquiéter celui des Français maîtres de la sommité, sans s'occuper des revers du côté de la Suisse ni témoigner la moindre méfiance. Le général Marescot avait remarqué tous les points difficiles, ceux où les avalanches étaient le plus à craindre; il avait eu même occasion d'observer quelques-uns de ces redoutables accidens; en écoutant ce rapport si intéressant, Bonaparte ne s'arrêta à aucun détail et se borna à cette question : Peut-on passer? Oui, dit Marescot, cela est possible. Eh bien! partons.....

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Les trois jours qu'il passa à Genève furent employés à l'organisation définitive de l'armée, et d'abord du corps d'avant-garde dont le général Lannes prit le commandement, et qu'il eut ordre de porter à Martigny, à l'entrée de la vallée de la Drance. Le secret des apprêts perçant alors de tous côtés, quoique seulement par l'intérieur, il fallait, pour rendre infaillible le succès de l'expédition, rassembler les troupes, l'artillerie, tous les approvisionnemens, toutes les mu

nitions au pied du Saint-Bernard; se jeter au-delà de la montagne avec la plus grande célérité, et pourtant avec ordre, en s'échelonnant, en évitant la moindre confusion. Si nous rapportions ces dispositions, en apparence minutieuses, on nous reprocherait peut-être de nous être nous-mêmes arrêtés trop long-temps; mais pour ne pas dérober à nos lecteurs l'original de ce tableau, et l'un des exemples les plus instructifs d'un travail d'état-major pour de telles opérations, nous leur offrons (voyez au Recueil de pièces inédites) les extraits des derniers ordres donnés par le général en chef Berthier au général Dupont, chef de son état-major, et au commissaire-ordonnateur faisant fonctions

d'intendant.

Le premier Consul se rendit à Lausanne le 13, pour y passer en revue les divisions qui filaient par Vevay et Villeneuve pour entrer dans le Valais.

Le ministre de la guerre vint lui rendre compte à Lausanne de la position où il avait laissé le général Moreau, et de la marche

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des troupes détachées de l'armée du Rhin, qui venaient renforcer le corps du général Moncey en Suisse, et former l'aile gauche de l'armée de réserve. Cette aile gauche, forte de 15 à 16,000 hommes, avait ordre de déboucher par le Saint-Gothard sur Bellinzona, à l'exception d'une faible division qui, sous les ordres du général Bethancourt, débouchait par le Simplon sur Domo d'Ossola. Le corps du général Thureau, d'environ 5,000 hommes, débouchait par le Mont-Genevre et le Mont-Cénis sur Exilles èt Suze. La division du général Chabran aussi de 4 à 5,000 hommes, allait passer le petit Saint-Bernard. Tout le reste de 35,000 hommes débouchait sur Aoste par le grand Saint-Bernard. Ainsi la force totale de cette armée au pied des grandes Alpes, depuis les sources du Rhin et du Rhône, jusqu'à celles de l'Isère et de la Durance, était de 58 à 60,000 combattans. Mais à peu près un tiers des hommes dans les rangs n'avait jamais vu le feu, et ne savait manier ni ses armes ni ses chevaux.

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