Imágenes de página
PDF
ePub

1798, sur les corvettes la Charente, la Décade et la Bayonnaise. Ils comprenaient 313 proscrits, prêtres et laïques; huit moururent pendant la traversée; 158 succombèrent en moins de deux ans aux rigueurs dévorantes du climat, et 14 réussirent à s'évader; quelques-uns seulement revirent la France.

Un douloureux intérêt, une immense pitié s'attache spécialement à cette date de notre histoire, parce qu'elle aurait pu, ce semble, offrir un plus consolant tableau. On était sorti des convulsions sinistres de la terreur. Le temps était passé des violences formidables. Echappée aux périls, la France paraissait respirer; elle avait salué, sinon avec transport, du moins avec les douces illusions de l'espérance, l'avénement du Directoire, qui semblait se lever à l'horizon comme un astre ami, comme une aube nouvelle. Et cependant, malgré les gages de sécurité et de paix qu'on croyait entrevoir dans le présent, un trouble mystérieux travaillait les esprits. On s'observait, on s'inquiétait, on se défiait les uns des autres; on ne se rapprochait que pour le plaisir... ou la vengeance! C'est qu'une commotion profonde avait ébranlé toutes les intelligences, troublé toutes les consciences. On se souvenait. Aucun parti n'avait désarmé. Chacun voulait avoir son jour de souveraineté, de dictature, et l'agitation continuait à la tribune et dans la rue, et se traduisait souvent par des excès.

Quant à nous, enfants de cette révolution sublime et douloureuse, qui eut ses moments de gloire et de défaillance, ses alternatives de vérité et d'erreur, tâchons de profiter des exemples qu'elle nous donne dans sa grandeur attristée. Ayons le dévoûment, l'amour de la justice et du droit; mais ne mettons pas la passion au service de cette noble cause, et soyons convaincus que la violence et le fanatisme ne conviennent pas plus à la liberté qu'à la religion.

HONORE BONHOMME.

LE RAPPORT

DE LA

COMMISSION DU BUDGET

I

Au début de la Restauration, un grand orateur, M. de Serre, s'écria un jour en pleine chambre des députés : « Depuis qu'il y a eu en France des assemblées délibérantes, toutes les majorités ont été saines. Cette parole hardie fit grand scandale. «Eh quoi! objecta un membre de la droite, même sous la Convention!»-«Même sous la Convention! répondit l'orateur sans se laisser troubler par les murmu res qui couraient sur tous les bancs. J'exciterais sans doute le même étonnement si je disais que, depuis que nous jouissons en France du gouvernement représentatif, toutes les commissions de finances ont rempli avec conscience et fermeté leur devoir de contrôle; et cependant, rien n'est plus certain; quand le pouvoir des chambres a subi une éclipse, c'est dans les commissions de budget que s'est concentré l'esprit d'opposition et de résistance qui n'a jamais fait défaut à nos assemblées; c'est là que l'administration a rencontré une limite à ses empiétements et à ses abus de pouvoir. Eh quoi s'écriera à son tour un de ces libéraux fraîchement émoulus qui ne parlent qu'avec une

sainte horreur de la période autoritaire du second empire, même sous la Constitution de 1852! Je dirai, en renforçant le mot de M. de Serre, surtout sous la Constitution de 1852.

La Constitution de 1852 avait fait au Corps législatif la part la plus étroite possible; elle l'avait transformé en une sorte de chambre d'enregistrement recevant l'impulsion du conseil d'Etat, qui seul avait la décision et le dernier mot. Mais les assemblées sont jalouses de leurs prérogatives. On peut les leur enlever pour un temps; on est sûr qu'elles trouveront bien vite le moyen de rattraper ce qu'on leur aura ôté. Ce sont les commissions financières qui ont repris en sous-œuvre, après 1852, le travail de reconstruction du régime constitutionnel. Elles n'ont pas attendu pour cela que l'opinion publique leur vînt en aide; elles ont marché souterrainement, presqu'en silence, et sans qu'on se doutât au dehors du progrès qui s'accomplissait. Le rapport de M. Chasseloup-Laubat sur le budget de 1853, ceux de M. Louvet sur les crédits supplémentaires et extraordinaires de 1857, les rapports sur les budgets de MM. Schneider, Devinck et Alfred Leroux, marquent les étapes de cette campagne ouverte, dès le lendemain du coup d'Etat, pour reconquérir les libertés parlementaires perdues. Cette patience persistante des commissions budgétaires a porté ses fruits; grâce à elles, le droit de contrôle des chambres s'est élargi; la faculté de virement s'est renfermé dans des limites plus étroites, et a été soumise à des règles plus sévères; les crédits supplémentaires et extraordinaires ouverts en dehors des sessions ont disparu; le budget, qui se votait en quelque sorte en bloc par ministère, a été voté ensuite par sections, il se vote aujourd'hui par chapitres ; le droit d'amendement est devenu presque absolu; l'initiative parlementaire en matière de finances est aussi large que possible. Les situations sont renversées; le temps est passé où un député s'écriait avec tristesse, sans être démenti: « C'est le Conseil d'Etat qui fait et vote le budget de la France. »>

Quand on lit la collection des rapports présentés par les commissions financières du second Empire, on se rend plus facilement compte de la facilité avec laquelle s'est accomplie la révolution pacifique dont nous venons de donner le spectacle au monde politique surpris de notre sagesse et de notre modération. Les commissions de budget ont toujours été composées des hommes se faisant remarquer par leur attachement aux idées d'ordre et leur dévouement à l'Empereur; il y a eu un moment, bien court, il est vrai, où ils étaient désignés d'avance au choix des bureaux, et où ils recevaient une sorte d'investiture officielle; il était impossible qu'un homme soupçonné d'opposition pût pénétrer dans ce sanctuaire financier. Eh bien ! ces

hommes, triés pour ainsi dire sur le volet, n'ont jamais fait un acte de complaisance; ils ont eu souvent la main forcée par les événements; on les a mis la plupart du temps en présence de faits accomplis dont ils ne pouvaient détourner ni arrêter le cours. Ils se sont plaints courageusement; ils ont essayé d'enrayer le pouvoir glissant sur des pentes funestes; ils ont protesté continuellement contre l'exagération des dépenses publiques; ils n'ont dissimulé aucune des irrégularités qui pouvaient se présenter dans nos finances; ils ont blâmé sévèrement les expédients auxquels on avait recours pour équilibrer les recettes et les dépenses; ils ont constamment revendiqué pour la Chambre une influence plus directe sur les affaires du pays. A force de ressasser cette maxime banale du baron Louis : « Faites-moi de bonne politique, et je vous ferai de bonnes finances,» ils ont amené le gouvernement à reconnaître qu'il n'y a pas de bonne politique possible tant que le pouvoir est concentré dans une seule main, et que le pays ne participe point à ses affaires. Venant de l'opposition, les critiques dirigées contre ce qu'on est convenu d'appeler le pouvoir personnel pouvaient paraître suspectes; elles devaient donner à réfléchir, venant d'hommes dévoués à l'ordre et à l'Empire. Il serait souverainement injuste de méconnaître la part que les commissions de budget ont prise à l'évolution à laquelle le second Empire s'est soumis. Leur action a été lente, mais elle a été persistante, et, en politique, c'est là le plus sûr moyen de faire des conquêtes solides et durables.

Les esprits sincèrement libéraux doivent désirer que les commissions financières poursuivent courageusement leur tâche. Elles ont donné de la force au second Empire; elles seules peuvent assurer de la durée au régime parlementaire dont on tente de nouveau l'expérience. C'est énoncer une banalité que de dire que le régime parlementaire se présente aujourd'hui dans de tout autres conditions que sous la Restauration et sous le gouvernement de Juillet. Il ne faut pas seulement qu'il donne satisfaction aux intelligences délicates, pour qui la vie sociale est limitée aux murs de marbre de l'hémicycle de la Chambre des députés; le jeu des pouvoirs publics et la lutte qui s'établit entre eux constituent sans doute un spectacle qui a ses attraits et ses enseignements. Mais les masses profondes qui composent le suffrage universel sont indifférentes à ces tournois d'éloquence qui mènent les orateurs à l'Académie, et à ces intrigues de couloirs qui se traduisent par des changements de personnes. La plupart du temps, disons-le sans honte, elles ne comprennent rien à ce qui réjouit si fort cette classe d'hommes à qui les Américains ont donné le nom pittoresque de politiciens. Les masses attendent du régime parlementaire ce qu'elles ont demandé

au pouvoir personnel, leur émancipation morale et intellectuelle et l'amélioration de leur sort. Quelle que soit la forme du gouvernement, le programme est le même ; c'est à des réformes financières et économiques qu'il faut viser en dernière analyse; le reste n'est que de la mise en scène. Le rôle des commissions de finances s'est en quelque sorte agrandi; c'est en effet de leur initiative et de l'influence qu'elles exerceront que dépend l'avenir des institutions nouvelles.

II

On attendait avec une certaine curiosité le travail de la commission chargée d'examiner les lois de finances présentées cette année au Corps législatif. Quel usage avait-elle fait des prérogatives trèsétendues que lui accordaient le sénatus-consulte du 8 septembre 1869 et la Constitution de 1870? Quelles économies avait-elle réalisées? Quelles prétentions plus ou moins exorbitantes avait-elle écartées? Quelles mesures avait-elle prises pour assurer désormais la sincérité et la fixité de nos budgets? Quelle serait son attitude en présence des nombreux projets de réforme financière émanés de l'initiative parlementaire? Continuerait-elle les traditions de ses devancières, qui, exagérant leur mandat, affectaient vis-à-vis des députés une véritable omnipotence et écartaient impitoyablement tous les amendements, imitant en cela les agissements et les procédés du Conseil d'Etat contre lesquels elles ne cessaient de protester? Se renfermerait-elle dans la besogne de contrôle qui lui était confiée, ou bien en sortirait-elle pour faire subir aux propositions du gouvernement quelque modification importante? Le cabinet du 2 janvier avait cru ne devoir rien changer au budget préparé par le ministère auquel il succédait; à part quelques dispositions relatives au cumul, qu'il avait ajoutées à la loi de finances, M. Buffet avait respecté le travail de M. Magne; la commission du budget se contenterait-elle de ce procédé sommaire et ne mettrait-elle pas les nouveaux ministres des finances en demeure de s'expliquer sur les idées qu'ils comptaient appliquer et sur les réformes qu'ils apportaient dans leurs portefeuilles?

Déposés assez tard sur le bureau de la Chambre, à la suite de péripéties qui ont amené un changement de rapporteur, les rapports de la Commission du budget ont un peu souffert des divers inci

« AnteriorContinuar »