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XXIII

RETOUR AU CAIRE

Notre dernier diner fut, si l'on peut s'exprimer ainsi, à la fois gai et triste. Quantité de poignées de main cordiales furent échangées au dessert, et nous nous donnâmes tous rendez-vous en Italie, pour l'inauguration du tunnel du Mont-Cenis, en 1872. Nos amis. italiens nous firent promettre, bien sérieusement, d'y assister; et plus d'un toast fut porté à l'espoir d'une prochaine rencontre.

Je n'étonnerai personne en disant que notre excellent ami le docteur prit la parole le dernier, et se rendit l'interprête des sentiments de tous, en portant, avec une émotion mal dissimulée, la santé de nos compagnes de voyage.

« Je bois, dit-il, aux dames qui ont bien voulu nous accompagner dans cette expédition, et qui n'ont pas reculé devant les fatigues de la route pour venir admirer toutes les merveilles de la Haute-Égypte. C'est à leur présence au milieu de nous que nous devons une grande partie du charme de notre voyage. »

Ce toast, me dit tout bas l'ami Marcq, me paraît singulier. Ce fut le mot de la fin.

Le lendemain, à neuf heures du matin, nous arrivions au port de Boulaq, et nous rentrions au Caire. C'était le septième jour depuis notre départ d'Assouan; et nous avions parcouru les 920 kilomètres qui séparent ces deux villes en quarante-huit heures seulement de navigation effective.

Le dernier épisode de notre voyage fut encore un trait d'adresse d'Achmet-Effendi. Au lieu de nous débarquer près d'un quai, le capitaine et lui, réunissant leurs lumières, réussirent à venir amarrer le Béhéra à un chantier de constructions, où les voitures ne pouvaient pas arriver. Il nous fallut faire transporter nos malles à force de bras, à travers les pierres taillées et les décombres, et au milieu d'un régiment tout entier de la garnison, qui se livrait aux ablutions les plus complètes dans les eaux du Nil.....

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ÉPILOGUE

Arlon, le 1 avril 1871.

M

M. le docteur Rozhen a l'honneur de vous faire part de son mariage avec Ml Alice ***.

Kew, april the 1st 1871.

My dear friend,

You will rejoice with me at the good news I send you. Alice is engaged to be married to doctor Rozhen. You know what happiness this gives me.

***.

EMILE DORMOY.

LE THÉATRE

CHEZ

LES GRECS MODERNES

Maria-Doxapatris, drame en cinq actes (vers et prose), par M. D.-N. BERNARDAKIS. Athènes, 1858. - Mérope, tragédie en cinq actes, par le même; représentée à Athènes, le 12 mars 1866. Les Kallergis, drame en cinq actes (en prose), par M. S. N. BASILIADIS; représenté à Athènes en février 1868.-Loucas Notaras, par le même auteur. Athènes, 1869.

Une horrible aventure de ces temps derniers ferait volontiers croire aux simples que la Grèce moderne n'est qu'un repaire de brigands. Il faut si peu de chose pour répandre l'erreur. On a vu des malheurs moins funestes avoir de plus tristes conséquences; doit-on s'étonner que le brigandage de Marathon fournisse aux malintentionnés l'occasion d'exercer leur malignité naturelle? Dans un premier moment de colère, des journaux anglais ont été d'une sévérité excessive. Même en France, les plus dévoués à l'indépendance hellénique se sont sentis un instant émus. Qu'était-ce qu'une nation qui ne savait pas réprimer les voleurs et punir les assassins? Etait-il possible de traiter plus longtemps de peuple libre, de gouvernement régulier, ces Grecs qui mettaient la Crète en feu au nom de la liberté, et ne savaient pas protéger à deux pas de leur capitale les voyageurs et les touristes?

Certes, ce serait une opinion aussi dangereuse qu'injuste. Depuis leur restauration, les Hellènes n'ont cessé de faire des progrès. Je ne dis pas qu'ils aient triomphé de tous les obstacles que rencontre partout la bonne politique et l'exercice régulier des principes d'un

bon gouvernement; ils n'ont pas encore fait tout ce que réclame la condition actuelle des peuples européens, où l'industrie et le commerce contribuent à l'amélioration sociale; mais il faut leur rendre cette justice, qu'ils n'ont pas épargné leur peine pour faire quelque chose. Leur activité est grande; elle n'est pas stérile. Je n'ai pas mission de les défendre; ils n'en ont peut-être pas besoin. Cependant, je ne crois pas inutile de mettre sous les yeux des lecteurs l'étude qui va suivre sur les essais dramatiques de quelques-uns d'entre eux. Il ne serait pas impossible que l'on prît dans la connaissance de ces œuvres, destinées au théâtre, une idée toute différente de celle qu'on s'est faite depuis trois mois des Grecs et de la Grèce moderne.

Dès 1812, Chardon de La Rochette appelait l'attention des hommes équitables sur cette nation. Il disait, en parlant des Hellènes : « Les écrivains de nos jours les ont peints en général d'une manière très-infidèle et presque toujours contradictoire. Quelques-uns cependant ont déjà rendu justice à cette nation, qu'une fausse politique de l'Europe, polie par les Grecs, laisse gémir sous le joug du plus imbécile comme du plus féroce des tyrans; mais ce qui prouve de la manière la plus évidente que cette nation est bien éloignée du degré d'avilissement auquel ses ennemis veulent la ravaler, c'est que, non-seulement elle possède des hommes instruits, mais que le corps entier de la nation sait les apprécier, les chérir et les respecter. » Quelques années plus tard, cette opinion, qu'un philologue cherchait à répandre, devenait générale en Europe. La compassion succédait à l'indifférence, l'admiration au mépris. Les poëtes, les diplomates, les militaires, étaient gagnés à la cause des Grecs. Il se trouvait tout à coup que ce petit peuple, si longtemps foulé, reparaissait au jour avec une poésie nationale. Nulle part la muse populaire n'avait chanté avec plus de vivacité et d'émotion. Les chants des Klephtes, les complaintes des jeunes filles et des vieillards rajeunissaient dans ce coin du monde la poésie lyrique épuisée et flétrie partout ailleurs. On voyait renaître dans la patrie d'Alcée, de Pindare, de Tyrtée, les mêmes conditions, d'enthousiasme et d'héroïsme qui avaient enfanté jadis les hymnes que les siècles n'avaient cessé de répéter sans espérer jamais en revoir une floraison nouvelle.

Après la conquête de leur liberté, les Grecs n'ont point laissé s'éteindre parmi eux la poésie. Ils ont eu de nombreux poëtes lyriques; ils se sont exercés dans tous les genres. A mesure que les années s'écoulaient, la prose a réclamé ses droits. Il s'est formé dans Athènes des grammairiens, des philologues, des critiques, des littérateurs dont l'Europe savante apprécie les ouvrages et connaît

bien les noms. Il était naturel que le théâtre eût enfin son tour. Là, tout était à créer. Les peuples de l'Orient n'ayant jamais connu les représentations de la scène, il ne restait en Grèce aucun souvenir de ces belles compositions dont l'ancienne Athènes avait charmé le monde entier. Il fallait donc reconstruire de toutes pièces le théâtre d'Eschyle et de Sophocle. Ces noms glorieux rendaient l'entreprise plus difficile et posaient au début une première question à résoudre.

Quel système devaient suivre les nouveaux auteurs? Devaient-ils, scrupuleux imitateurs des anciens, retrouver par de laborieux efforts la noble simplicité de leurs ancêtres? D'illustres aïeux sont parfois un embarras. On se croit forcé de respecter leurs ouvrages; un peu de timidité superstitieuse se mêle à ce culte pieux, et l'on risque, dans ces dispositions, de manquer la voie de la perfection pour n'avoir pas su marquer la différence des temps. Nous ririons certainement aujourd'hui des fils des Croisés s'ils recommençaient, en faveur du Tombeau du Christ, les chevaleresques aventures de leurs pères. Les Grecs modernes ont vu cet écueil; ils ont craint d'aller s'y briser, et dès l'abord ils y ont mis comme un phare pour éviter les malheurs d'un naufrage. Eschyle et Sophocle ne reviendront plus au monde, parce que les temps où ils ont vécu n'apporteront plus avec eux cette spontanéité, cette heureuse nouveauté mêlée d'enthousiasme, d'ignorance et de sentiments religieux. Leurs chefsd'œuvre, sans cesse médités, apprendront avec quel soin on doit suivre et consulter la nature, avec quel art on doit en surprendre les mouvements; mais ils ne sauraient donner à ceux qui les imitent et les étudient autre chose que le goût de la beauté parfaite. C'est par là que Racine s'est immortalisé. On ne doit plus espérer un semblable bonheur.

Les nations modernes qui se sont trop attachées à l'imitation des Grecs, l'Italie et la France, se sont fait un théâtre qui, malgré de belles pièces peu éloignées d'une perfection idéale, ne remue pas les fibres intimes du peuple. C'est un délassement d'érudits et de lettrés; ce n'est pas un spectacle national et populaire. L'homme de goût, le connaisseur s'y récrie à tout instant d'admiration sur des idées délicates, sur des tours heureux, des élans pathétiques : la foule n'y trouve pas une image de sa vie, un écho de ses pensées, un type de sa nationalité.

Telles ont été les réflexions de M. Démétrios Bernardakis, quand il a voulu travailler pour le théâtre. Il a cru qu'il devait prendre pour modèles et pour maîtres les Allemands et les Anglais, plutôt que de chercher à refaire l'œuvre des contemporains de Périclès. Goethe et Shakespeare lui ont paru être tous les deux, même pour

2e se- TOME LXXVI.

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