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SOUVENIRS DE VOYAGE

UN VOYAGE A THÈBES ET DANS LA HAUTE-ÉGYPTE

PREMIÈRE PARTIE

Je me trouvais en Egypte à la fin du mois de novembre 1869. Je venais d'assister à l'inauguration du canal de Suez, et j'étais venu me reposer au Caire avec quelques amis. Plusieurs d'entr'eux s'envolèrent bientôt dans différentes directions, les uns pour aller visiter Damas et Beyrouth, les autres pour faire un pélerinage à Jérusalem; quelques-uns s'étaient embarqués pour Constantinople.

Quant à moi, j'avais eu l'honneur d'être invité par S. A. le viceroi à faire partie d'une expédition qu'il venait de faire organiser: nous devions remonter le Nil jusqu'à la première cataracte et visiter les points les plus intéressants de la Haute-Egypte. Le trajet se faisait en bateau à vapeur, et le départ avait été fixé au 29 novembre.

Au jour dit, nous nous rendions à Boulak, qui est le port du Caire, et nous nous installions à bord du Béhéra, bateau à vapeur égyptien, sur lequel des places nous avaient été assignées. De conserve avec lui devait marcher un autre bateau à vapeur, le Feyrouss, portant également des voyageurs, et remorquant deux dahabiehs, sur chacune desquelles avait pris place une famille. Notre

flottille était complétée par un bateau de provisions, emportant notre nourriture pour un mois, et à bord duquel on cuisait le pain de chaque jour dans un petit four en maçonnerie.

A bord du Béhéra se trouvait un michmandar, ou commissaire du vice-roi, que je nommerai Achmet-Effendi, et qui était chargé de diriger l'expédition, et de donner des ordres aux capitaines des deux bâtiments. Ce titre d'effendi nous indiqua de suite que le personnage qui le portait n'était revêtu que d'une mince autorité, car il n'équivaut guère qu'à notre nom de Monsieur. Les fonctionnaires importants portent presque tous le titre de Bey. Au-dessus des beys, dans l'ordre hiérarchique, se trouvent les Pachas, titre qui est attribué aux grands seigneurs et aux dignitaires du royaume. Le sultan s'est réservé à lui seul le droit de nommer les pachas; et le vice-roi d'Egypte, afin d'élargir un peu son cercle d'action, n'a trouvé d'autre moyen que de créer des beys de première classe, à qui il a conféré une grande partie des attributions primitivement dévolues aux pachas.

I

DÉPART DU CAIRE. — LES PYRAMYDes de Gizeh.

On nous avait recommandé de nous trouver à bord le 29 novembre, afin d'être prêts à partir le soir même, ou au moins le lendemain dès la première heure. Aussi, le 29, dans la journée, mes amis et moi nous faisons porter notre bagage à bord du Béhéra, et nous nous installons dans une cabine, assez grande pour contenir un lit, une table de toilette, une commode, deux chaises et la malle d'un voyageur. Ce sera notre habitation pour un mois.

Le 30 au matin, rien ne bouge; ni l'effendi, ni l'équipage ne sont à leur poste. Il nous reste tout le temps de retourner en ville et de déjeuner encore à l'hôtel. Vers deux heures de l'après-midi, tout le monde se trouvait enfin réuni sur le pont; mais M. Achmet, interrogé, ne pouvait pas encore nous dire à quelle heure on devait démarrer. Il manquait à l'appel un voyageur, le prince de Solms, qui n'avait pas donné de ses nouvelles. On envoie à son hôtel; on le cherche partout, et ce n'est qu'après deux grandes heures que l'on parvient à comprendre qu'il renonce au voyage. Ne voyant rien venir, Achmet-Effendi se décide à donner le signal du départ. Le Béhéra démarre le premier, portant le pavillon égyptien, et remor

quant notre bateau de provisions; le Feyrouss nous suit à quelques encâblures, remorquant les deux dahabiehs; c'est le nom que l'on donne à ces grandes barques qui sillonnent le Nil. L'installation des dahabiehs est très-commode. Au dessus du pont et à l'arrière, se trouve établi un petit corps de bâtiment qui comprend, au milieu, un corridor; de chaque côté, les chambres à coucher, au nombre de quatre ou six, une salle de bains et un boudoir; et au fond, quelquefois même à l'entrée, un salon servant aussi de salle à manger. La toiture forme une terrasse plate qui sert de promenade pendant la journée; on y installe une table, des nattes, des tapis, des divans; et une toile tendue, par dessus, garantit les voyageurs contre les rayons du soleil. C'est sur des dahabiehs que se font presque tous les voyages du Nil. Ces barques ont une vergue très-longue qui s'élance obliquement à une grande hauteur pour aller chercher le vent, et une voile triangulaire allongée, quelquefois deux. Elles sont d'une forme gracieuse à l'œil, et ressemblent à des alcyons qui glissent à la surface de l'eau. Elles sont construites exprès pour la navigation du Nil; le vent, qui sur ce fleuve souffle toujours du Nord, leur permet de remonter le courant; et, pour le descendre, elles n'ont qu'à carguer la voile, en s'aidant, au besoin, de la rame.

Mais, à combien d'ennuis s'expose le voyageur isolé qui loue une de ces barques au Caire pour remonter le Nil jusqu'à la première cataracte! Il est obligé de traiter avec un équipage de cinq ou six matelots, représentés par un reis, ou patron : l'engagement, comprenant la nourriture, peut se faire, pour deux personnes, à raison de soixante francs par jour. Le premier jour, tout marche bien; mais, l'intérêt et la paresse de l'équipage aidant, le vent ne tarde pas à tomber: arrêt forcé, qui se répète à chaque instant. L'on vous détient pendant des journées entières dans de misérables villages de huttes arabes, sous prétexte de raccommoder une voile, ou d'acheter un mouton, du blé, un instrument quelconque. Tous les bakchichs, ou pourboires, que l'on peut prodiguer aux hommes ne sont que des gouttes d'huile jetées sur le feu. Le seul remède officiellement connu est d'avoir recours aux cadis des villages, qui sont tenus de vous prêter main-forte, mais qui, trop souvent, ne se soucient pas de se mêler de votre affaire. Aussi est-on souvent forcé d'en arriver à se faire justice par ses propres mains, ce qui est moins officiel, mais beaucoup plus sûr.

Nous nous trouvions à l'abri de tous ces ennuis. Embarqués sur de bons bateaux à vapeur appartenant au vice-roi, nous étions sûrs de rencontrer dans toute la population un zèle empressé. Nous n'avions d'ailleurs à nous occuper ni de la nourriture, ni des accidents possibles c'était au commissaire à fixer les étapes et à donner

tous les ordres de détail. Malheureusement, son caractère irrésolu et son manque d'ordre nous firent plusieurs fois encore perdre bien du temps.

A quatre heures, nous étions tous sur le pont, ou sur la terrasse qui surmonte les cabines, pour assister au mouvement du départ. Nous voyons défiler lentement devant nos yeux les faubourgs du Caire à notre gauche, Boulak, avec son port de commerce si animé; le palais de Kasr-el-Aïny, appartenant au vice-roi, et tout entouré de sycomores; les jardins et le palais d'Ibrahim-Pacha; puis, l'ancienne maison du français Soliman-Pacha, qui fut l'orga nisateur de l'armée égyptienne sous Méhémet-Ali; et le grand bazar de Massara-Adim. A droite, le palais de Géziret, appartenant aussi au vice-roi, mais dont les arcades, les piliers en fonte, tout en se rapprochant d'un style mauresque mal imité, rappellent trop que le monument est dû à un architecte européen, et que les ornemənts doivent sortir de quelque fonderie de Belgique ou d'Angleterre. Plus loin, l'île de Rhodah, aux palmiers toujours verts; puis le village de Gizeh, et derrière lui les Pyramides, dont le profil se découpe dans le ciel bleu.

Pour visiter les pyramides et la nécropole dont elles font partie, on se fait descendre en bateau, sur la rive gauche du Nil, au village de Gizeh. On y trouve des ânes et des guides en quantité beaucoup plus grande qu'on ne pourrait le désirer; car on est obligé de livrer un premier combat pour parvenir à n'être accompagné que d'un åne et de deux ou trois Arabes. On traverse d'abord une plaine accidentée, très-bien cultivée, et semée de magnifiques bois de palmiers; et l'on arrive bientôt à une route neuve, actuellement encore en construction, et qui s'avance en ligne droite vers la nécropole. Cette route est carrossable; mais comme il n'y a pas de pont sur le Nil, il faut, si l'on tient absolument à faire cette excursion en voiture, faire préalablement traverser le fleuve à ses équipages sur un ponton.

Les pyramides ne sont pas des monuments isolés. Elles font partie de la nécropole de Gizeh, laquelle dépendait de l'antique cité de Memphis; et du côté opposé, se trouvait la seconde grande métropole de la ville, celle de Saqqarah. Saqqarah est à trois ou quatre lieues de Gizeh; la ville s'étendait sur tout l'espace, aujourd'hui désert, qui sépare ces deux villages.

Ces détails topographiques ne sont pas inutiles, pour résoudre une question que chacun se pose à l'aspect des Pyramides. Quelle était la destination de ces grands monuments? Cette question a été très-controversée; mais elle est aujourd'hui parfaitement résolue, grâce aux nombreuses découvertes archéologiques que l'on a faites

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