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ordonné de se taire sur tout ce qui touche à la guerre; mais on a tracé de vagues limites à leurs récits et on les a forcés de chercher un abri dans le silence. Il n'est pas possible que ce malentendu entre les journaux et le pouvoir se prolonge, et nous avons lieu d'espérer qu'ils ne seront pas moins libres en 1870, pendant la guerre d'Allemagne et sous le régime parlementaire, qu'ils ne l'étaient en 1859 pendant la guerre d'Italie, sous le régime du pouvoir personnel. Si nous voulions aujourd'hui trahir les secrets de l'armée, nous y aurions quelque peine; les plans et les opérations ont été enveloppés de mystères; tout ce qu'on sait et tout ce qu'il est permis de dire, c'est que le plus gros de l'armée est échelonné le long du Rhin, entre Strasbourg et Metz; qu'on a amené là autant d'hommes et autant de canons qu'il a été possible d'en réunir. Les meilleurs généraux ont le commandement de ces forces imposantes; le maréchal Lebonf est major général; le maréchal Mac-Mahon a un commandement : il a vaincu à Magenta; le maréchal Bazaine a un commandement : il a vaincu au Mexique; le maréchal Canrobert a un commandement : il a conduit le siége de Sébastopol; tous ces vaillants capitaines ont fait leurs preuves. Il y en a qui, dans un rang secondaire, promettent des victoires; on fonde de grandes espérances sur le général Ladmirault, sur le général Bourbaki, sur le général Frossard et sur le général de Failly; on en fonde de très-sérieuses aussi sur le fusil chassepot, qui a un meilleur calibre et une plus longue portée que le fusil prussien. Les canons-mitrailleurs paraissent devoir faire de terribles ravages dans les rangs ennemis. Pendant que l'armée de terre passera le Rhin, la flotte cuirassée, sous le commandement de l'amiral Bouët-Villaumez, opérera dans la mer du Nord, on ne sait pas sur quel point de la côte ni contre quels ports ennemis; il y a aussi une armée, mystérieusement embarquée à Cherbourg, que l'on destine à une puissante diversion. Tout semble bien ordonné pour la victoire. Si nous l'obtenons, nous pourrons nous flatter d'avoir vaincu des adversaires dignes de nous. C'est un point sur lequel l'Empereur ne semble pas se faire illusion. On lu sa proclamation à l'armée; elle est datée du quartier-général de Metz, où Napoléon III est arrivé hier avec son fils. C'est la première étape. L'Empereur tient un langage sobre et nerveux ; il ne cherche point à faire illusion aux soldats; il ne leur dit point, conme Napoléon Ier : « Vous souffrirez de la faim, vous n'aurez point de chaussures.....» Il leur dit : « La guerre sera longue et pénible; elle aura pour théâtre des lieux hérissés d'obstacles et de forteresses, etc., etc. » C'est ainsi qu'il faut parler à des hommes bien trempés, qui, du reste, comme il le dit ailleurs, ont fait leurs preuves dans les quatre parties du monde. Ce qui nous rassure surtout, et ce qui nous console, c'est que les instigateurs de la grande lutte qui commence ne perdent point de vue les principes de liberté et de civilisation, et qu'on ne se sent fort de part et d'autre qu'en les invoquant. Espérons qu'après la victoire ces principes ne seront point méconnus.

ALPHONSE DE CALONNE.

LEONCE DUPONT.

Paris.

Imprimerie de DUBUISSON et Ce, rue Coq-Beroa â

LA

DIPLOMATIE FRANÇAISE

SOUS LA

RÉPUBLIQUE ET LE PREMIER EMPIRE

MARET, DUC DE BASSANO

ONZIÈME PARTIE 1

I

« Le duc de Bassano a joui de toute la confiance de Napoléon. Il ne la perdit jamais, et la justifia toujours; attaché à sa haute fortune, il le fut plus encore à ses revers. » C'est surtout à la conduite que tint Maret pendant les dernières années de l'Empire, que convient cet éloge, l'un des plus honorables et des plus sincères qui aient jamais été prononcés sur la tombe d'un homme de bien.

De retour à Paris dans les premiers jours de décembre 1812, le duc de Bassano avait repris ses habitudes ordinaires de travail au

1 Voir la Revue contemporaine des 15 août, 15 et 30 septembre, 15 octobre, 30 novembre, 15 et 31 décembre 1869, 15 et 31 janvier, 15 février 1870.

* Etienne. Discours prononcé sur la tombe du duc de Bassano.

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ministère des relations extérieures. En vain on 'cherchait à surprendre dans sa conversation, sur sa physionomie, quelque trace des angoisses du passé, d'inquiétude pour l'avenir; tout en lui exprimait la certitude d'une revanche complète et prochaine. Cette attitude n'était pas, comme on le verra bientôt, une preuve d'aveuglement, encore moins d'insensibilité, mais bien l'accomplissement d'un devoir.

L'un de ses premiers soins fut de pourvoir au remplacement définitif de M. de Pradt, dont la conduite avait si tristement justifié ses prévisions. L'ancien ministre résident Bignon, qui avait donné à Wilna, en qualité de commissaire impérial, tant de preuves malheureusement inutiles d'intelligence et de zèle, fut rappelé au poste de Varsovie. Il avait demandé celui de Naples, pour des raisons de santé, mais Napoléon et Maret jugèrent que Bignon était le seul homme capable de réparer ce qui pouvait encore l'être dans le duché.

Mon cher commissaire, lui écrivait Maret, vous trouverez que j'arrange bien mal vos affaires. Je n'ai pu les faire mieux. Je le voulais, et c'était presque malgré moi. Vous nous auriez été bon partout, mais vous êtes excellent où vous vous trouvez. Il ne faut donc plus penser au sol classique de la Campanie. Qui sait, cependant? Ne désespérez de rien. Tous vos désirs restent gravés dans ma mémoire. Croyez qu'elle est fidèle, et que le jour où je pourrai faire ce que vous désirerez sera celui où j'aurai fait l'une des choses les plus agréables pour moi.

Je vous engage officiellement à garder auprès de vous nos Jagellans détrônés1. Donnez-moi de leurs nouvelles et de tout ce qui les intéresse. Rappelez-moi à l'amitié du comte Alexandre (Pac). Il m'a donné bien de l'inquiétude, mais j'ai enfin appris qu'il s'était trouvé fort bien de s'être égaré. J'écris à Sierakowski. Parlez, je vous prie, au comte Soltan du tendre intérêt que je prends à ses peines, et de la véritable estime que j'ai pour lui. Parlez-moi un peu de tout le monde, des personnes à qui nous ne voulions que du bien, et qui sont si malheureuses. (Lettre confidentielle et olographe, du 29 janvier 1813.)

Le duc de Bassano sentait profondément la nécessité d'exercer une surveillance active sur les dispositions des cours de Prusse et d'Autriche. Il était, sous ce rapport, médiocrement secondé à Berlin par un ambassadeur beaucoup trop optimiste, M. de Saint-Marsan. Celui-ci continuait à lui transmettre, de la part du premier ministre et du roi lui-même, de nouvelles protestations de fidélité inébranlable, quand arriva à Berlin la nouvelle de la désertion du

1 Les membres de la Commission lithuanienne,

général York, commandant le corps auxiliaire prussien (30 décembre). Tous les documents contemporains semblent indiquer que cette démarche n'avait été ni autorisée, ni prévue, et que l'indignation du roi fut égale à sa surprise, au moins, dans les premiers moments. Le duc de Bassano, cependant, ne s'y fiait guère, car il répondit aussitôt à l'ambassadeur : « Le général York a-t-il effectivement agi ou non de lui-même? L'Empereur suspend son jugement sur ce point, mais ne doit négliger aucune précaution. Mais, quels que soient les sentiments que le gouvernement prussien manifeste, il faut se conduire comme si on avait tout à craindre, parce qu'on aurait tout à craindre en effet, si sa position le jetait dans le désespoir. Les Français ne sont que trop portés à la confiance. Sa Majesté vous recommande d'engager le duc de Castiglione (commandant des troupes françaises à Berlin) à être constamment sur ses gardes. » Il s'attacha néanmoins à donner une grande publicité aux nouvelles assurances de fidélité que le cabinet prussien et le roi lui-même faisaient parvenir à Paris. Elles furent l'objet d'un long article inséré dans le Moniteur du 12 janvier. Mais en même temps le duc recommandait à tous nos ambassadeurs d'affirmer que la France était en mesure de parer à toutes les éventualités, quand même ces assurances ne seraient pas sincères ou devraient cesser de l'être.

Les sentiments des alliés de la France et leur attachement à la cause commune n'ont pas un seul moment cessé d'être les mêmes. Si les intentions de S. M. le roi de Prusse ont été trahies par l'un de ses généraux, cela n'a servi qu'à mieux prouver sa fidélité au système qui l'unit à nous. Mais il était dans les voeux du peuple français de proportionner ses efforts présents non pas seulement à nos pertes déjà en partie réparées, mais encore au besoin de garantir contre tous les événements sa considération, sa gloire et la sûreté de ses alliés. Une noble rivalité s'est établie entre le départements, les cantons, les villes... Ainsi la France manifeste sa double force, et celle qui repose sur l'immensité de ses ressources matérielles, et celle qui naît de l'unanimité d'ardeur et de zèle dans un grand peuple. C'est là ce que vous devez faire sentir, soit pour rassurer les hommes timides, soit pour confondre les hommes malveillants. (Dépêche du 13 janvier.)

Cependant, malgré les dispositions non équivoques de l'armée e des populations prussiennes, malgré les sollicitations pressantes de la Russie, de l'Angleterre, et les encouragements secrets de l'Autriche, le premier ministre prussien Hardenberg et surtout le roi hésitaient à rompre avec la France. Ils s'effrayaient de la perspec

tive d'une lutte nouvelle, qui, cette fois, pouvait avoir pour résultat l'entière destruction de la monarchie. Aussi de graves historiens ont pensé que Napoléon aurait pu retenir le cabinet prussien dans son alliance, en lui assurant de suite une partie des avantages qu'on lui promettait pour se déclarer contre nous. Mais l'armée et la nation prussiennes auraient-elles obéi à cette impulsion ? Il était permis d'en douter, en présence des renseignements que transmettait de Berlin le secrétaire de l'ambassade française, M. Ed. Lefebvre, observateur plus clairvoyant que l'ambassadeur. Le duc de Bassano recevait en même temps de Copenhague la copie de nouvelles dépêches prussiennes interceptées, dont le contenu ne permettait aucun doute sur l'existence d'un échange plus actif que jamais de communications, entre l'un des membres les plus importants du ministère prussien et les agents anglais et russes. Ces communications continuaient d'avoir lieu, comme pendant la campagne précédente, par l'intermédiaire des ministres prussiens à Copenhague et à Stockolm, MM. de Dohna et de Tarrach. Ce dernier, officiellement rappelé sur la demande formelle du duc de Bassano, fut néanmoins « autorisé à demeurer, pour cause de santé, dans quelque ville de province, où il pourrait entretenir discrètement des relations utiles au service du roi, donner des nouvelles... et se tenir à portée de rentrer en activité, s'il survenait un changement, soit par une heureuse négociation de paix, soit par des circonstances impossibles à prévoir... » Ainsi s'exprimait l'un des principaux ministres prussiens dans une lettre secrète, contemporaine des plus vives protestations de fidélité à l'alliance française; lettre qui fut, comme les précédentes, secrètement déchiffrée au passage et transmise à Paris. D'autres lettres de ce même ministre exprimaient ouvertement des vœux pour le résultat des efforts que l'on faisait alors pour détacher le Danemark de l'alliance française.

En présence de tels renseignements, la France agissait conformément aux règles de la prudence la plus vulgaire, en se refusant, comme le traité de 1812 l'y autorisait d'ailleurs, à tolérer le recrutement dans les localités qu'occupaient encore nos troupes, et surtout en éludant les réclamations pécuniaires. On ne s'abusa pas non plus, à Paris, sur la portée de la détermination, annoncée dès le milieu de janvier par le roi de Prusse, de se rendre en Silésie, et de se mettre en rapport avec l'empereur Alexandre pour la neutralisation de cette province. Cette démarche était d'autant plus inquiétante, qu'elle coïncidait avec la résolution déjà connue du commandant du corps auxiliaire autrichien, d'abandonner la ligne de la Vistule et Varsovie aux forces soi-disant très-supérieures des Russes, mouvement dont le but évident était de leur laisser toute liberté de

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