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anxieux le guide des distances, et le soleil, inclinant rapidement à l'horizon. Mais quelques heures perdues le matin ne peuvent plus se regagner. Le commissaire Achmet, vivement mis en cause à ce sujet, nous fait une réponse triomphante : « Je n'ai pu partir plus tôt. Je suis allé moi-même réveiller le mécanicien de très-bonne heure ; mais il n'a pas voulu se lever. »

Que dire à une pareille raison? Tout ce que nous pouvons faire le même jour, c'est d'arriver en face de Sohag.

Sohag, que nous visitons le soir, est une petite ville de 8,000 habitants. Toutes ses rues sont désertes; les maisons n'ont pour façade que des murs de briques très-élevés, sans aucune fenêtre. Rien de plus triste qu'une excursion dans Sohag, à la nuit tombante. Nous nous en consolons en allant passer la soirée sous la tente de Monseigneur Bauer, dont le bateau vient d'arriver peu de temps après nous, et nous touchons à Girgeh le lendemain 6, à dix heures du matin. La journée est déjà trop avancée pour entreprendre la longue excursion d'Abydos, et nous la consacrons à visiter la ville de Girgeh et à nous promener dans les campagnes qui l'entourent.

On ne trouve à Girgeh que des bazars, quelques mosquées dont les élégants minarets servirent de modèles aux croquis des peintres de l'expédition, et un couvent copte, où nous faisons tous ensemble une petite visite. Nous y sommes reçus par un prêtre italien qui a été jadis soldat de Garibaldi, et que les hasards de la vie ont jeté, l'on ne sait comment, sur les bords du Nil. Les salles du couvent sont de la plus grande pauvreté; les planchers, en mauvais plâtras, s'effondrent de tous les côtés; les murs sont nus; et c'est presque un tour d'adresse de monter, sans se fouler le pied, l'escalier, dont les marches sont formées de petits barreaux de bois de palmier à clairevoie. La pipe et le café nous sont offerts, comme partout en Orient, et notre hôte est si prévenant et si honnête, qu'il ne nous aurait, je crois, pas réclamé de bakchich au départ, si nous n'avions déjà entre nous fait une petite collecte pour le couvent.

Les Coptes sont les descendants les plus directs des anciens habitants du pays. Ils en ont conservé le nom; car le mot Koubt, par lequel on les désigne ici, n'est que la contraction arabe du nom grec des Egyptiens, Aigouptioi. Il existe une langue copte; mais les prêtres eux-mêmes en avaient perdu l'usage. Un seul homme peut-être en Europe la possédait encore : c'était un savant allemand, qui, du fond de son cabinet en avait approfondi tous les mystères. Envoyé en mission en Egypte, ce fut lui qui apprit de nouveau aux moines coptes à déchiffrer leurs livres saints, et qui les aida à restaurer les véritables rites de leur ancien culte.

Toutes les maisons de Girgeh sont en terre argileuse grisâtre,

mélangée de paille hachée, et cuite au soleil. Au-dessus du rez-dechaussée s'élève, sur toute la largeur de la construction, un vaste pigeonnier badigeonné de chaux blanche qui en forme le premier étage. Toutes les maisons sont couronnées de la même manière; mais le luxe d'un enduit de chaux a été réservé pour les pigeons seuls. Nulle part il ne s'étend jusqu'au rez-de-chaussée, où habite le propriétaire : ce qui prouve bien à quelle économie sont astreints les pauvres fellahs.

Des bandes innombrables de pigeons trouvent leur demeure dans ces petites cases hospitalières, et vont prendre leur nourriture aux dépens des récoltes environnantes. Des hérons, des geais, des corbeaux, des pélicans, des tourterelles, des huppes, et une foule de petits oiseaux multicolores, leur tiennent compagnie; des vautours même paraissent vivre en bonne intelligence avec toute cette gent emplumée.

Quant aux habitants, ils ont toujours cet air grave et doux, et ces costumes drapés, d'une simplicité biblique. A voir, dans les campagnes, ces jeunes femmes de taille élancée, portant sur la tête la cruche d'eau retenue par la main gauche, ces vieillards à la démarche solennelle, couverts de méchantes pièces d'étoffe brune, qu'ils portent, sans le savoir, comme de majestueuses draperies, on se croit ramené non-seulement au temps où Mahomet conduisait aux champs les chameaux de son maître, mais bien plus loin encore dans l'histoire. Il semble, à chaque pas, que l'on coudoie Abraham donnant un ordre à ses serviteurs, Agar menant son fils par la main, Rachel offrant à boire à un moissonneur. Depuis six mille ans, il n'y a ici rien de changé, ni dans le costume des habitants, ni dans la physionomie du pays, ni dans les méthodes du travail agricole; les mœurs elles-mêmes sont restées à peu près immuables, comme si la pureté du climat et la chaleur du soleil, en empêchant la ruine des monuments égyptiens, avaient aussi préservé de toute atteinte tout ce qui se trouve dans la vallée du Nil, les hommes, les choses et les idées.

EMILE DORMOY.

(La 2. partie à une prochaine livraison.)

COUP D'ÉTAT

DU

18 FRUCTIDOR AN V (4 SEPTEMBRE 1797)

DEUXIÈME PARTIE 1

LETTRE IV.

Cayenne, 19 novembre 1797.

A mon arrivée ici, j'ai eu connoissance d'un bâtiment américain allant à Bordeaux, et l'un de mes compagnons d'infortune, qui a de grandes affaires commerciales dans cette ville, doit en profiter. C'est M. Laffon-Ladébat, celui de qui je vous ai envoyé d'Orléans une lettre pour la rue Neuve de Luxembourg. Il m'a dit que sa commission avoit été faite avec fidélité, qu'il en avoit reçu des nouvelles. Il auroit bien dû m'en avertir au moment même, mais il a cru que j'avois des lettres de mon côté, comme il en avoit eu du sien. Quoiqu'il en soit, je lui pardonne; j'ai trop de joie pour être fâché. Que Dieu soit loué, o mes excellentes amies! il a eu pitié de moi; vous avez donc reçu de mes nouvelles. Voilà une grande consolation pour mon pauvre cœur. Je dois m'attendre, dès lors, à en avoir la preuve certaine par le premier bâtiment qui arrivera de France. Que de bonheur dans un seul mot!

1 Voir la Revue contemporaine du 30 juin 1870.

Dans dix ou douze jours nous serons transférés, dit-on, à Sinnamari. On prétend que nous y serons libres. Je ne saurois me le persuader. Tout le monde nous plaint et nous marque, des égards, mais muets, car toute communication avec nous est interdite, à moins d'une permission expresse de l'agent du Directoire, qui, heureusement, n'est pas exagéré dans son patriotisme.

:

J'ai pensé à ma belle-mère. J'ai demandé à voir, et j'ai vu l'ancien correspondant, en cette colonie, de la société dont feu M. de Vaudeuil faisoit partie. Leur habitation a été prise par la République et sert de maison de correction pour les nègres; mais, en se mettant en règle, les associés parviendront à se faire rendre ce qui en reste le sol et les bâtiments, car il n'y a plus d'esclaves. J'enverroi incessamment une note sur cet objet. Venez à mon secours par toutes les voies possibles. Vous savez dans quel dénûment je suis; mais, prenez bien vos mesures. Comme les noms de proscrits tels que nous pourroient effaroucher, je me suis assuré d'un couvert sous lequel vous voudrez bien me faire tous vos envois, avec double enveloppe : Le citoyen Franconie, négociant à Cayenne. J'attends avec la plus ardente impatience de vos nouvelles et de celles de tout ce qui m'est cher ou m'intéresse encore dans votre lâche France.

Nous avons des chaleurs très-fortes, quoique l'hivernage, c'està-dire la saison des pluies, soit sur le point de commencer. Les nuits sont égales aux jours, et cela est heureux sous le point de vue de la fraîcheur qu'elles procurent. Mais cette immutabilité est fatigante; j'aime incomparablement mieux la variation dans leur durée de nos journées en France. La vermine, dont j'ai été rongé, a disparu. J'ai fait raser mes cheveux en totalité; je ressemble à un chartreux. Je m'en trouve fort bien, et mon dessein est de ne plus les laisser revenir. La plus grande proprété règne autour de nous et sur nous, car on nous prête du linge de toute espèce, et à discrétion.

Corbeau est bourru, maussade, plus cachotier que jamais. A laver la tête d'un More on perd son savon. Les Mores dont le proverbe parle ne sont pas de même famille que vous, quoique s'écrivant de même.

Mille tendresses, je vous prie, à toute ma famille. Dites ou écri vez à ma femme que le commissaire des guerres de cette colonie, qui nous comble d'attentions, est un M. Boucher de La Rupelle, frère de celui qui étoit lieutenant général au bailliage d'Auxerre. Il est parfaitement acclimaté et fort aimé. Ses parents ne seront peut-être pas fâchés de l'apprendre. Comment se porte madame votre mère? Que lui avez-vous dit par rapport à moi? Le petit men

songe de ma résidence à une lieue de Paris n'aura pas pu durer; il aura bien fallu lui avouer la vérité. Assurez-la de mon souvenir, de mon respectueux attachement pour elle. Mention de moi à la sainte de Meaux, à notre Hippolyte et à sa femme, ainsi qu'à tous nos amis, tant de la capitale que d'Orléans et d'Auxerre. Adieu, adieu.

LETTRE V.

Cayenne, 23 novembre 1797.

Ma lettre no 4, que je fus pressé d'écrire immédiatement en sortant de table, m'a valu une indigestion qui m'a bien fait souffrir. Le lendemain, on m'a donné l'émétique dans deux verres d'eau. Vous ne sauriez dire combien ce remède est actif dans les pays chauds. Il abat tellement, qu'on ne peut absolument pas se tenir. Ma chambre étant bruyante et servant d'ailleurs de point de réunion pour les repas, j'avois fait demander à M. Brotier la permission de monter dans son grenier : il l'avoit accordée, et je dois dire qu'il m'a témoigné une manière d'intérêt, mais brusque et sans la moindre prévenance. Telle est sa tournure. Mon Dieu, combien elle est éloignée de la mienne!

Après demain, notre bande s'embarque pour se rendre à sa destination. Le commissaire des guerres nous a dit de la part de l'agent du Directoire, que le médecin donneroit des certificats à ceux qui ne pourroient pas faire le voyage, et qu'ils resteroient ici. Je ne sais encore si je serai du nombre des restans, ni même s'il y en aura. A tout événement, je me hâte de vous griffonner ce numéro, parce qu'il faut que mon paquet soit remis ce soir à la personne qui doit fermer les siens pour Bordeaux. Je serai donc forcé d'être court. D'ailleurs, il est bon que vous sachiez que je garde des copies de mes lettres, ou, pour mieux dire, que je prépare des notes pour les écrire; que je les broche ensuite sur un cahier pour pouvoir en tirer des duplicatas, quand les occasions se présenteront : ce qui fait une triple besogne, comme vous voyez. Elle sera quadruple par les duplicatas, quintuple par les triplicatas et sextuplée lorsque je ferai usage du registre relié qui est déjà tout prêt pour recevoir la transcription totale.

Je ne vous ai pas dit encore que dans ce pays-ci les fenêtres sont sans vitres. Elle n'ont que des persiennes que l'on ferme au soleil et que l'on ouvre du côté opposé, ainsi que les portes. Au rez-de

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