Imágenes de página
PDF
ePub

sans peine dans les bureaux, toujours accessibles, et il y trouve sous ses yenx l'accueil le plus courtois, les renseignements les plus précis et les plus sincères. Dans ces cabinets où tant de feuilles ont été immolées, où tant de menaçantes paroles ont été proférées, on ne fait plus échange que de propos aimables. Le travail de la direction de la presse consiste à lire tous les journaux de l'étranger, des départements et de Paris, à renseigner le gouvernement sur ce qu'ils disent, en le résumant et en l'interprétant. Lorsqu'il est possible au chef de cette division de donner un bon avis, de prévenir quelque erreur, d'éviter quelque fausse nouvelle ou quelque article malveillant et injuste, il est de son devoir de s'y em-, ployer et nous croyons que M. Fernand Giraudeau avait dans la presse assez de relations et assez de sympathies pour rendre, de temps à autre, des services de la nature la plus délicate. Au point de vue de la besogne matérielle, la division de la presse est une des plus chargées : il y a tous les jours deux cents journaux étrangers, cinq cents journaux des départements et près de cent journaux de Paris à lire et à noter; au point de vue de l'influence morale, il y a une action incessante à exercer pour laquelle le prestige d'un simple chef de bureau serait peut-être insuffisant. Etait-il vraiment bien opportun de supprimer le chef de division? Nous aurions compris qu'on supprimât tout le service de la presse; il y a des gens qui ont de ces idées radicales; mais du moment qu'on le maintenait en principe, il était au moins inutile de fixer le rang du fonctionnaire qui en serait chargé. Il n'est pas bien prouvé d'ailleurs que le Corps législatif, en s'occupant d'une semblable affaire, ne soit pas sorti de ses attributions; il a qualité pour fixer le chiffre des dépenses, mais non pour fixer le rang des employés. L'observation que s'est permise à ce sujet M. du Miral n'était peut être pas bien en situation vis-à-vis d'une chambre déjà mal disposée; mais elle était juste. Il faut croire que la nécessité de faire disparaître la division de la presse n'était pas comprise par tout le monde, car, il ne s'en est fallu que de deux voix que le Corps législatif la maintint. En réalité, elle est supprimée; à moins cependant que le Sénat, reprenant sur ce détail de la loi de finances, ne la soumette à un nouvel examen et ne prenne une décision différente. Ce résultat n'est pas à prévoir; mais on ne pourra pas empêcher M. le ministre de l'Intérieur d'organiser ses services à sa convenance; il n'y aura plus, si l'on y tient, un chef de division de la presse, mais il y aura un chef de division qui, sous un titre différent, exercera les mêmes fonctions ou un simple chef de bureau qui aura l'importance et l'autorité morale d'un chef de division. Ce qui serait tout à fait regrettable en ceci, et ce qu'il faudrait le plus reprocher à la faible majorité qui a voté cette mesure, ce serait d'enlever à la presse l'homme qui l'avait le mieux comprise et qui pouvait avoir sur elle le plus d'influence.

On a parlé aussi des fonds secrets. Les fonds secrets ont des amis discrets qui ont de bonnes raisons pour désirer leur maintien, et des raisons encore meilleures pour ne pas prendre publiquement leur défense. Leur adversaire le plus acharné, dans la Chambre, est M. Pelletan. S'il était chef d'un gouvernement, M. Pelletan n'aurait point de fonds secrets.

Telle est du moins son illusion. Il veut bien qu'on paye des gens pour faire la police; mais non pas des espions. Il trouve horrible qu'on ait un jour fait suivre, de Nîmes à Paris, M. Crémieux, qui venait plaider pour un client; il s'indigne contre les odieux rapports rédigés autrefois contre le général Foy, contre Casimir Périer, contre Lafayette. M. Pelletan croirait que le gouvernement a des ennemis qu'il éviterait scrupuleusement de les faire surveiller. Il y a beaucoup de droiture et beaucoup de générosité dans de pareils sentiments; malheureusement, il est difficile, dans la pratique, de ne pas s'en écarter. Au surplus, il faut dire que les fonds. secrets ne sont pas toujours, comme M. Pelletan semble le croire, la liste civile de l'espionnage; ils servent rarement à meubler de pianos les salons des préfets, ou à solder des dépenses encore plus fantaisistes. A quoi ils servent, il est difficile, vraiment, de le savoir. Certaines gens voudraient qu'une partie des membres de la commission du budget reçût, chaque année, la mission de s'en enquérir. Une semblable intervention détruirait de la façon la plus radicale l'institution des fonds secrets ; ils ne le seraient plus s'il fallait que le ministre livrât les noms de ceux qui émargent à ce livre mystérieux. Il faut que le groupe de sages dont M. Pelletan fait partie pardonne à la politique certaines faiblesses qui tiennent aux faiblesses mêmes de l'humanité, et qu'il ait quelque confiance dans l'usage que le gouvernement fera de ce blanc-seing. Chacun d'ailleurs a le moyen de ne pas toucher aux fonds secrets; ce n'est pas une contagion dont on ne puisse se préserver. Tel a été sans doute l'avis du Corps législatif, car il a maintenu le chapitre de cette dépense dont le gouvernement français n'a point la spécialité. Il a résisté aussi à un désir exprimé par M. Steenackers qui voulait faire des économies sur le chapitre de Saint-Denis. Il y a là des prêtres dont le ministère est fort doux ; ils montent une sorte de garde d'honneur autour de quelques mausolées déserts. Si l'on remonte à l'origine de l'institution, on voit que ces chanoines doivent prier sur des tombes royales; pour qu'ils puissent répondre à 'intention de leur fondateur, il suffit donc qu'ils aient des tombes. Ce n'est point chose facile à se procurer; par le temps de révolution où nous sommes, il est rare que la France garde les tombeaux de ses souverains. La plupart neurent en exil, et on ne leur fait pas l'honneur que l'on a fait à Napoléon Ier de ramener leurs cendres. Pour donner aux psalmodies des chanoines un but moins illusoire, il faudrait que ceux-ci fussent transférés de Saint-Denis aux Invalides. Là, ils auraient une tombe qui est remplie, qui déborde d'une grande et puissante personnalité, et qui a droit à toutes les prières et à tous les honneurs du culte qu'elle a restauré. Le marquis de Piré a défendu les chanoines de Saint-Denis; il les a défendus avec cet accent royaliste et breton que cet ami résolu de l'Empire apporte dans les entretiens amiliers dont il égaye la tribune. Il y a un argument qu'il aurait pu faire valoir, c'est que, parmi les membres du chapitre de Saint-Denis, il y a d'anciens évêques que l'on ne peut priver de leur situation; ils n'abandonnent leur évêché, où ils sont inamovibles, que parce qu'ils trouvent dans le chapitre de Saint-Denis la légitime compensation à la perte

d'un diocèse. Le gouvernement leur doit le canonicat dont ils goûtent les loisirs. Ne nous plaignons pas trop, d'ailleurs; si l'on y regarde de près, l'Eglise est en perte; elle avait jadis peuplé la France et d'autres pays de riches prébendes, de grasses abbayes dont les titulaires percevaient les revenus sans même avoir à formuler des prières; plus heureux encore que les chanoines de Saint-Denis, ils n'étaient même pas tenus à la résidence; encore moins devaient-ils se mettre en peine de pratiquer les vertus de leur canonicat. Il faut avouer que, sous ce rapport comme sous beaucoup d'autres, nous avons fait quelques progrès. Le Corps législatif a donc maintenu la partie du budget affectée au chapitre de Saint-Denis. Sur d'autres articles, il a réalisé de petites économies qui ne dégrèveront pas sérieusement le Trésor; c'est sur des réformes plus vastes et plus radicales qu'il devrait porter son attention. Mais il faut lui pardonner de n'avoir pas apporté à l'examen du budget tout le soin qu'il y aurait mis si l'idée n'était pas venue aux Espagnols d'aller demander un roi à une famille princière de Prusse.

Ils sont bien empêchés aujourd'hui les Espagnols. Il faudra bien qu'ils se décide it à se co tenter de leurs dynasties nationales. Si défectueusesqu'elles soient, elles n'auront toujours pas l'inconvénient de leur attirer l'intervention de l'étranger. Heureusement, ils n'avaient pas eu le temps de se passionner beaucoup pour le prince allemand dont le maréchal Prim voulait les gratifier; ils auraient eu de la peine, d'ailleurs, à se faire à son accent et à son nom. Un Hohenzollern n'aurait jamais été populaire dans ce pays, où l'humeur méridionale éclate avec le plus de force. L'esprit prussien se serait encore plus mal accrédité en Espagne que l'esprit autrichien ne s'accréditait en Italie. Il y a des répulsions instinctives, des antipathies de race que l'on ne peut vaincre et qui amènent toujours des catastrophes. Après l'échec qu'ils viennent de subir, les Espagnols vont peut-être rentrer en eux-mêmes et prier le meneur patenté de toutes ces intrigues de vouloir bien arrêter ses ridicules investigations à travers l'Europe. L'incident qui vient de surgir n'eût il que ce résultat de précipiter la fin de la folie espagnole qu'il ne serait pas entièrement inntile. Il faudra bien que nos voisins se résignent à reprendre leurs Bourbons ou à se mettre en république, à moins qu'ils ne préfèrent, pour récompenser le général Prim de ses efforts infructueux, lui ceindre le front de la couronne d'Espagne. Tout nous fait croire que l'illustre maréchal se laisserait faire une douce violence, et que personne ne viendrait chercher querelle à l'Espagne pour avoir fait un pareil choix. Dans tous les cas, l'équilibre de l'Europe ne serait point en péril, et si les Espagnols étaient contents, tout

serait au mieux.

Pendant que la France et la Prusse se préparaient à se précipiter l'une contre l'autre, pendant que de nos fenêtres, comme disait avant-hier M. Pelletan, nous apercevions tout l'horizon en feu, que faisait-on à Rome? On se disposait tranquillement à décréter l'infaillibilité du pape. Ce vote a eu lieu hier; il y a eu 450 membres du Concile qui ont déposé un bulletin affirmatif; 88 ont déposé des bulletins négatifs, et 62 des bulletins conditionnels. De toute manière, la chose est consommée; ceux qui

ne croiront pas désormais que le chef de l'Eglise est infaillible en matière. de foi seront brûlés en enfer; c'est encore bien heureux qu'on ne les brûle pas en place publique. Cette décision ne tire pas beaucoup à conséquence; il ne faudrait pas cependant que le souverain pontife prit trop au sérieux son infaillibilité et voulût l'appliquer aux choses de la politique. Il pourrait aisément, à l'aide de cette illusion, bouleverser l'Europe. Il peut voir par l'affaire du prince de Hohenzollern à quoi tiennent les relations des Etats et comme il faut peu de chose pour les mettre en guerre. Il a d'ailleurs tout intérêt à faire un usage modéré de l'arme que 450 prélats viennent de placer entre ses mains débiles. Il ne doit pas oublier que 150 autres, au nombre desquels se trouvent les plus éclairés, ne sont point d'avis que le pape devienne infaillible; cette minorité est imposante elle pourrait, si elle le voulait bien, constituer un schisme dans l'Eglise. Un écrivain de foi et de talent écrivait dernièrement, à propos du Concile, une charmante allégorie; il parlait d'un moine qui fabriquait de l'essence de rose avec tout un champ de géraniums; ce moine mêlait toutes les herbes de ce champ où le géranium dominait et qui, par lanature du terrain ou le voisinage de cette plante, participaient de son odeur. Quand on avait soumis le tout au travail de l'alambic, il n'y avait trace que de géranium. Il faudrait savoir ce qui serait arrivé de la liqueur odorante si les plantes étrangères y étaient entrées dans la proportion de 150 à 450; nous soupçonnons que le parfum de la rose en eût été quelque peu altéré. D'abord, c'est toujours mauvais de vouloir faire de l'essence de rose avec du géranium; on fait encore moins une infaillibilité avec le concours de plusieurs faillibilités.

LÉONCE DUPONT.

P. S.-Les négociations avec la Prusse ne paraissent pas avoir abouti; on est sur le point de tirer l'épée. Tout nous fait craindre que lorsque ces lignes arriveront à la connaissance de nos lecteurs, les destinées de la France ne soient livrées aux hasards de la guerre.

[merged small][merged small][ocr errors][merged small][merged small]
[blocks in formation]

La vie des peuples, comme celle des individus, semble se composer d'alternatives de somnolence et d'activité fébrile. Tantôt, lasse des agitations du Forum, une nation tout entière remet ses destinées dans les mains d'un seul homme, et semble, par soif de repos, abdiquer toute initiative, prête à se laisser guider partout où le souverain voudra la conduire. Tantôt, au contraire, quelque paternel que puisse être l'exercice du pouvoir monarchique, la nation, impatiente de ressaisir son libre arbitre, ne songe qu'à s'émanciper des liens qu'elle s'est créés à elle-même, et semblerait menacer au besoin quiconque voudrait faire obstacle à ses revendications.

Ce mouvement de flux et de reflux dans les affaires humaines s'est rarement produit avec autant d'impétuosité qu'à l'heure actuelle. Hier toute idée de réforme faisait sourire, tout esprit d'innovation était volontiers regardé comme dangereux, et l'on semblait croire que les rouages de la Constitution et même de la législation de 1852 étaient d'une perfection propre à défier l'avenir.

20 s.-TOME LXXVI.

13

« AnteriorContinuar »