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LA

GUERRE AVEC LA PRUSSE

A PROPOS DE L'ESPAGNE

Si jamais moment fut peu propice pour faire entendre la voix de la vérité, c'est lorsque le gouvernement, se rendant solidaire des erreurs d'opinion, se charge lui-même de les répandre, leur prête son crédit et leur imprime une sorte de caractère officiel. Il faut alors quelque courage pour protester au nom de la raison contre les écarts de plume et de parole qu'une pareille connivence autorise. La modération qu'on y apporte, mal comprise, est mal interprétée, et plus on a pour soi le bon sens, plus on court le risque d'irriter les passions et de soulever les colères. N'est-ce pas cependant un devoir de conscience pour tous les bons citoyens d'apporter, dans des circonstances aussi graves que celles que nous traversons, le peu de lumières qu'ils croient posséder? N'est-ce pas une obligation pour eux de dire ce qu'ils savent et ce qu'ils pensent lorsque leurs paroles peuvent contribuer, dans une si petite mesure que ce soit, à écarter les maux qu'ils entrevoient pour leur pays et pour l'humanité tout entière? La guerre que le gouvernement recherche et qu'une opinion factice a préparée de longue main, si elle éclate, aura une gravité qui rappellera les plus horribles phases du premier Empire. Victorieux nous nous serons rendus plus odieux que

jamais à l'Europe, que notre esprit de domination et de conquêtes tient constamment en armes et en éveil; vaincus, -ce qu'à Dieu ne plaise, c'est le renversement de l'Empire sans retour et la ruine pour longtemps de l'influence française, double écueil que ne devraient jamais perdre de vue les hommes qui nous gouvernent et qu'il nous paraît dangereux de braver, y fut-on conduit par une nécessité bien évidente.

Nous ne voyons pas de moyen plus sûr de faire passer nos convictions dans l'esprit de nos lecteurs, que de retracer le plus simplement possible, et dans leur complète exactitude, les faits qui ont amené le conflit dont la couronne d'Espagne est le prétexte, et de les éclairer du peu de renseignements que la parcimonie diplomatique a mis jusqu'ici en notre possession.

Ι

Lorsque, en septembre 1868, la reine Isabelle fut précipitée du trône par un soulèvement militaire, le gouvernement français ne s'en indigna pas outre mesure. Que l'on consulte les journaux du temps qui passaient pour interpréter le plus fidèlement sa politique, on n'y trouvera que des éloges et des encouragements pour la révolution, des récriminations dédaigneuses contre la reine. Le bruit courut même que le gouvernement impérial n'était pas tout à fait étranger à l'événement, que, dans tous les cas, il ne voyait pas sans une secrète satisfaction tomber du trône la dernière branche des Bourbons qui s'y trouvât encore assise. Nous ne voulons pas donner plus d'importance qu'elle ne vaut à cette opinion; nous rappelons seulement qu'elle a rencontré crédit dans la presse, et que, longtemps auparavant, à l'époque où une flotte française assista, spectatrice immobile, à l'expulsion des Bourbons de Naples par une armée qu'on ne pouvait pas encore dire italienne, des prophètes de malheur s'écrièrent que désormais ce serait le tour des Bourbons d'Espagne. Cet acharnement contre une famille qui a porté si haut la gloire et la fortune de la France ne serait dans tous les cas qu'une tradition du premier Empire. Ce n'était pas la meilleure ni la plus mauvaise: la sagesse du souverain nous a épargné une autre pratique qui consistait à substituer partout des princes de la famille impériale aux souverains établis.

L'Espagne, qui venait de renverser si imprudemment la reine,

commit, par ses représentants, une autre imprudence presqu'aussi grave: elle prononça l'exclusion du trône des princes de la maison de Bourbon. Ces déterminations violentes, prises dans l'ivresse du succès et dans des circonstances qui ne permettent pas la réflexion, ont le défaut d'engager l'avenir et de mettre l'amour-propre en travers des meilleurs accommodements. Si les Cortès n'avaient pas donné légèrement leur adhésion à la proposition du gouvernement provisoire, elles auraient pu revenir à la loi salique et appeler au trône le petit-fils de don Carlos. C'eût été la meilleure de toutes les solutions, parce qu'elle donnait satisfaction à un parti encore puissant en Espagne, et elle ramenait les institutions à exclure les femmes. du trône, ce qui n'était pas un mince avantage dans un pays où les beaux militaires sont habitués à exercer une si grande influence. Peut-être cette solution se serait-elle produite malgré l'engagement pris par les Cortès, mais le gouvernement français mit ses soins à paralyser toute entreprise carliste, ne se souciant guère sans doute de voir la légitimité reconquérir sa place chez nos voisins.

Une difficulté analogue se présentait pour le jeune prince des Asturies; il était Bourbon, il était de plus fils de la reine déchue; donc on ne pouvait songer à lui sans inconséquence. Cependant le pays étant monarchique et voulant conserver la forme monarchique, il fallait bien chercher un roi. Ce qui était le plus aisé, on l'avait rendu impossible; on en était réduit à s'adresser à des princes étrangers ou à élever au trône un homme du pays. Cette dernière ressource apparaissait comme la pire de toutes; faire un roi du duc de la Victoire ou du régent actuel, c'était donner à chacun l'envie de le détrôner pour se mettre à sa place, c'était inaugurer la guerre civile. C'est alors que nous voyons le général Prim, le grand meneur de toutes ces aventures, offrir la couronne d'Espagne à tous les princes disponibles. Aujourd'hui au vienx roi de Portugal, Don Fernando, le lendemain au jeune duc d'Aoste, puis au duc de Gênes et au prince Léopold de Hohenzollern. Partout ses tentatives avaient échoué, pendant que la candidature du duc de Montpensier, appuyée par l'amiral Topete et un parti intelligent, faisait doucement son chemin.

Le choix du duc de Montpensier avait de quoi plaire à la France, mais c'était encore un Bourbon, et le fils d'un roi qui a régné sur la France. Plairait-il aussi au gouvernement français ? On ne peut douter que le langage de notre diplomatie ne se soit montré fort défavorable au candidat de l'amiral Topete, lorsqu'on a vu l'autre jour le gouvernement impérial s'opposer formellement à la rentrée des princes d'Orléans en France et déclarer qu'il verrait dans leur présence un danger pour la sécurité de l'empire. Après une déclaration pareille

on ne peut imaginer que le cabinet des Tuileries n'ait point fait entendre, de manière ou d'autre au cabinet de Madrid sa volonté de ne pas tolérer l'accession du duc de Montpensier au trône d'Espagne. Restait le prince Léopold de Hohenzollern. Celui-là ne pouvait, dans la pensée de ceux qui savent l'histoire et qui connaissent l'esprit moderne, porter ombrage à la cour des Tuileries, non plus qu'à aucune autre cour en Europe. Ce n'était pas un prince français bien qu'il appartienne à la France par deux de ses aïeules; ce n'était pas un prince de famille régnante puisqu'il n'est altesse royale, en Prusse, que par courtoisie; ce n'était pas un prince Allemand, à proprement parler, puisqu'il n'est en Allemagne qu'uu simple particulier. Mais le prince Léopold porte le nom de Hohenzollern, et c'est probablement ce que le général Prim avait oublié lorsqu'il tournait ses offres du côté de Dusseldorf. Le nom de Hohenzollern est devenu pour quelques-uns l'objet d'une singulière appréhension. Il a hérité chez nous de l'espèce d'animosité que nous avions vouée autrefois à la maison de Habsbourg-Lorraine, avec cette différence que la maison de Habsbourg avait toujours travaillé soit à écraser la France sous le poids de ses armées quand elle était la plus forte maison souveraine de l'Europe, soit à soulever contre nous des coalitions lorsqu'elle était descendue du premier rang, par les efforts de Richelieu, de Louis XIV, et surtout du grand Frédéric; tandis que la Prusse n'avait rien tenté contre la France qu'elle n'y fût contrainte par notre politique ou entraînée par les coalitions de l'Autriche.

Entre la Prusse et nous, il n'y a vraiment qu'un grief: nous ne lui pardonnons pas de ne pas s'être laissé vaincre par l'Autriche à Sadowa. Ah! si elle avait consenti à être battue, comme nous aurions eu des tendresses pour elle! comme nous l'aurions plainte, aidée, secourue! comme nous aurions eu plaisir à lui montrer la force de notre épée en la débarrassant de cette Autriche, dernier asile du despotisme et des traités de 1815, qui prétendait reconstituer par l'Italie l'Empire de Charles-Quint! avec quel empressement nous aurions rétabli l'équilibre en Europe en nous installant sur les deux rives du Rhin! avec quel désintéressement nous aurions occupé la Bavière rhénane et donné à la Hesse quelques compensations autrichiennes pour Mayence! Nous n'aurions pas eu la douleur d'entretenir depuis quatre ans contre la Prusse cette jalousie qui nous ronge et nous trouble le cerveau; nous n'aurions pas conçu cette envie mesquine qui nous a tant aigri le caractère, et nous inspire en ce moment même une si étrange politique; nous aurions admis sans difficulté que la Prusse, en 1866, marchait dans le sens du sentiment national et des idées libérales, qu'elle avait tous les droits pos

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sibles contre les rois de Hanovre et de Saxe, qui avaient pris parti contre elle et contre la civilisation moderne. Et surtout, nous n'aurions pas été portés à nous faire, comme en ce moment, les dupes de la politique de M. de Beust. Eh bien ! il nous eût été facile naguère de nous éviter tous ces déboires : c'était d'avoir, en 1866, une politique plus nette et plus franche, c'était de n'attendre pas le sort des armes pour prendre parti, mais de regarder où était le juste, où était le droit, où était l'essor national et d'y marcher avec résolution, sans arrière-pensée. Vous ne l'avez pas fait, vous n'avez pas su le faire, et vous cherchez aujourd'hui des revanches! Le pouvoir personnel renaît et montre qu'il est plus vivant que jamais, puisque pour pallier ses fautes, il court de nouveau aux aventures!

Qu'est-ce qui s'occupe en France du prince Léopold de Hohenzollern? Qui le connaîtrait si l'on n'avait proclamé tout à coup qu'il est un danger pour les intérêts de la France et un échec à son honneur? En dehors d'un petit cercle étroit d'hommes politiques et d'hommes de cour, le prince Léopold est complétement inconnu. Les journalistes eux-mêmes savent qu'il est Hohenzollern parce qu'ils l'ont appris des journalistes allemands, et c'est tout ce qu'ils savent. Il n'est donc pas inutile de déterminer la lignée de ce prétendant redoutable et de montrer sur tous ses aspects ce grand épouvantail de la politique française.

Il existe en Allemagne trois branches de la maison de Hohenzollern. Le fondateur de la famille de Hohenzollern, celui du moins qu'on aperçoit le premier dans la nuit des temps, fut Thassilo, comte de Zollern, en 880. La maison se partage en deux branches vers l'an 1200. Konrad devient le chef d'une ligne cadette connue sous le nom de Burgraves de Nuremberg ou de Franconie ; c'est elle qui a plus tard formé la dynastie prussienne. Le petit-fils de Konrad, Frédéric VI, devient Margrave de Brandebourg sous l'empereur Sigismond, en 1415. On sait la suite de ses destinées; cette branche embrasse la réforme, acquiert le duché de Prusse en 1618 et prend le titre royal en 1701. Pendant ce temps là, la ligne aînée, ou de Souabe, fondée par Frédéric IV, frère de Konrad, suivait une moins haute fortune. A son tour elle se divisait en deux branches vers 1574. La branche aînée prenait le nom de Hohenzollern-Hechingen, et la branche cadette celui de Hohenzollern-Sigmaringen. Elle fut élevée en 1638 au rang de princes de l'empire.

Le 7 décembre 1849, le prince Charles-Antoine, actuellement chef de cette branche, a cédé sa principauté à la Prusse; le traité fut ratifié le 20 février 1850. Le prince reçut, en compensation, une rente de 25,000 thalers de l'Etat prussien, et le titre d'Altesse royale. Ses fils n'ont que le simple titre d'Altesses, et n'ont aucun

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