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remise de son fils entre les mains du roi d'Espagne, auquel elle aurait fait la cession de tous ses droits, au préjudice de son héritier naturel. (1574-1577).

Ces négociations, aussitôt éventées par les espions d'Elisabeth, n'avaient pu lui causer d'alarmes sérieuses, tant qu'elle avait eu pour alliés de sa politique en Ecosse des régents hostiles à Marie et dévoués au maintien de la réforme. Elle conçut quelques craintes lorsque, à la mort de Morton, elle apprit que le favori de Jacques VI, Lennox, négociait avec l'Espagne et avec sa prisonnière. Mais alors elle s'appliqua de plus en plus à mettre en hostilité les intérêts de cette puissance avec ceux de la France; elle encouragea le duc d'Alençon à se mettre à la tête des insurgés des Pays-Bas, et simula le plus vif désir de conclure son mariage avec ce prince. Elle releva en même temps en Ecosse le parti anglais, qui se rendit maître du jeune roi (1582). Bientôt même on réussit à enlever à Marie l'affection de son fils: il signa, en 1586, avec Elisabeth, un traité par lequel les puissances contractantes s'engageaient à maintenir la réforme et à se prêter un mutuel appui en cas d'attaque de l'étranger. D'un autre côté, les complots dirigés contre la reine d'Angleterre n'avaient d'autre effet que d'augmenter sa popularité. En 1584, à la nouvelle que ses jours étaient menacés et que l'invasion du royaume avait été concertée entre la France et l'Espagne, un acte du Parlement déclara Marie Stuart déchue de tous ses droits, en cas de mort violente de la reine; on signa dans le royaume un acte d'association dont les membres s'engageaient à poursuivre jusqu'à la mort ceux qui attenteraient à la vie de leur souveraine, et même celle en faveur de laquelle l'attentat serait commis.

Les succès des armes espagnoles dans les Pays-Bas et les manœuvres de la Ligue en France contribuèrent à exalter l'esprit public en Angleterre contre la reine d'Ecosse. « Marie Stuart ne pouvait échapper plus longtemps à la hache suspendue depuis tant d'années sur sa tête...; il fallait un prétexte pour la mettre en jugement; Marie le fournit elle-même en se jetant tête baissée dans les filets qu'avait tendus autour d'elle Walsingham. » M. Gauthier, auquel nous empruntons cette citation, n'hésite pas, en effet, à penser que le dernier complot auquel s'associa cette malheureuse princesse fut favorisé dans une certaine mesure par les ministres anglais pour assurer sa perte. Pendant les derniers mois de l'année 1585, on usa à son égard d'une tolérance inusitée pour l'envoi de sa correspondance. Deux agents de Walsingham, Poly et Gifford, transmettaient ses lettres compromettantes après les avoir communiquées à leur maître, en copie ou en original. Ce Gifford fit le voyage de France et s'aboucha avec un jeune officier nommé Sa

vage qui avait formé le projet d'assassiner la reine Elisabeth; il avait engagé Babington dans le même complot. Ces deux fanatiques s'associèrent plusieurs complices. En même temps, d'autres agents négociaient avec les ministres espagnols une invasion en Angleterre. Marie Stuart affirma toujours qu'elle n'avait connu que ce dernier projet. Cependant, lorsqu'on lui fit son procès, on produisit une lettre du 6 juillet que lui aurait adressée Babington pour lui faire part des intentions des conjurés en même temps que la réponse qu'elle lui aurait faite. Or, il est certain que la communication si compromettante de Babington resta entre les mains des agents de Walsingham du 8 au 12 juillet, et que la prétendue réponse de la reine ne fut remise que le 29 au destinataire. Dans l'intervalle, il fut facile à d'habiles faussaires de transcrire cette lettre fatale avec des interpolations. Plusieurs passages paraissent manifestement intercalés. Il est étrange, d'ailleurs, que ces deux pièces ne furent pas représentées en original; les contemporains eux-mêmes soupçonnèrent qu'elles avaient été frauduleusement altérées.

Walsingham n'avertit Elisabeth de ces sinistres projets qu'au moment où l'exécution en était imminente. Les coupables furent saisis et les révélations éclatèrent coup sur coup. La reine et ses sujets furent convaincus qu'ils venaient d'échapper à un danger formidable. Le dernier épisode de cette lamentable histoire est trop connu pour qu'il soit nécessaire d'en reproduire le récit. Il semble que les juges de Marie Stuart n'aient rien négligé pour appeler sur elle toutes les sympathies de la postérité. On lui refuse un défenseur, on lui interdit de prendre communication de ses papiers personnels on la juge au mépris de l'inviolabilité de son caractère royal, on la condamne sur des pièces suspectes et elle meurt avec tout le prestige de l'innocence et du martyre. Aussi, quelque sévère que soit le jugement des biographes les plus prévenus sur la vie privée de cette princesse, on n'étouffera pas ces révoltes du cœur qui protestent depuis trois siècles contre l'acharnement et la perfidie de ses persécuteurs.

Veut-on juger leurs procédés à la lumière du droit des gens et du droit commun tels que nous les comprenons de nos jours ? C'est condamner de pareils juges sans discussion. Marie Stuart, retenue prisonnière par celle même à qui elle avait demandé asile, a été condamnée au mépris des règles protectrices des accusés. Et d'ailleurs, Elisabeth avait si peu de confiance dans la légalité de l'arrêt qui avait frappé son ennemie, qu'on la voit, n'osant pas en ordonner l'exécution, expédier en secret à ses geôliers l'ordre d'assassiner leur prisonnière. Veut-on apprécier ces derniers actes comme aurait pu le faire un contemporain de ces tragiques événements ? Nous

accordons que la politique du XVI siècle était peu scrupuleuse, et que le sang versé n'inspirait pas alors la même répugnance qu'aujourd'hui: la raison d'Etat explique alors, si elle ne le justifie pas, plus d'un attentat contre le droit des gens. Mais si l'on s'inclinait devant cette ultima ratio des princes de cette époque, on respectait comme une règle du droit divin le principe de l'inviolabilité des têtes couronnées. On doit donc tenir pour constant que la violation de cette loi unanimement reconnue en la personne de Marie Stuart vicie radicalement son arrêt. Sa mort a été un crime d'Etat et ne saurait recevoir une autre qualification. Veut-on que sur ce terrain périlleux, il y ait encore place pour la controverse? Nous connaissons ces doctrines fatalistes qui condamnent toute nation, tout individu qui succombe, au nom de la loi du progrès, qui absout le plus fort et condamne la victime qui a été assez imprudente pour entraver la marche des choses humaines... Mais, du moins, il faut, dans cette voie, poser une limite: un coup d'Etat ne s'explique que par une nécessité impérieuse. Restera donc cette question: le supplice de la reine d'Ecosse était-il indispensable pour assurer le salut de la reine d'Angleterre ? Les faits y ont répondu : tant qu'elle a vécu, les menaces d'invasion étrangère n'ont jamais été suivies d'une tentative sérieuse, tandis que sa mort a été comme le signal de cette formidable expédition espagnole dont le succès pouvait amener d'immenses désastres et changer la face de l'Europe.

J. SIMON NET.

LA

PHILOSOPHIE EXPÉRIMENTALE

ET LA

PERSONNALITÉ HUMAINE

PREMIÈRE PARTIE

Dès le jour où M. Taine a publié contre la philosophie officiellement enseignée dans notre pays le manifeste spirituel, souvent injuste, toujours excessif que tout le monde a lu et qui n'a pas peu contribué à étendre sa réputation, il a été permis aux esprits sérieux d'attendre de lui tôt ou tard un ouvrage dogmatique contenant un système et des solutions. Une critique aussi mordante, aussi impitoyable que Les Philosophes français du XIX siècle serait trop aisée, trop gratuitement blessante et se pardonnerait difficilement si l'on ne pouvait invoquer en sa faveur l'excuse ou plutôt le motif impérieux de principes absolus qui n'admettent aucune transaction, et qui, à un moment donné, seront exposés avec tout le développement convenable. Treize ans se sont écoulés depuis cette époque; et les divers ouvrages que M. Taine a pendant cet intervalle donné au public, - tous inspirés du même esprit, dirigés dans le même n'ont fait que confirmer et en quelque sorte accroître sa dette. Dans les essais de critique et d'histoire, comme dans Le Voyage en Italie, dans la Vie de Thomas Graindorge, comme dans l'Histoire de la littérature anglaise, les moins clairvoyants pou

sens,

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vaient reconnaître les indications, les linéaments, les conséquences d'une philosophie fortement arrêtée dans l'esprit de l'auteur, mais qui, se révélant d'une façon volontairement incomplète, ne se laissait ni saisir, ni contrôler dans son ensemble.

Cette philosophie, M. Taine se décide aujourd'hui à la produire sous une forme aussi explicite, aussi rigoureusement scientifique que possible. Il ne veut plus conserver à l'égard de ses lecteurs ni secret ni arrière pensée; il découvre et livre à la discussion ses procédés intérieurs. Assurément il faut lui en savoir gré, et nous n'aurons garde de le chicaner sur le plus ou moins de temps qu'il a mis à justifier ce qui semblait hasardé ou insuffisant dans ses théories. Ce n'est vraiment pas trop que treize ans pour enfanter et formuler un système philosophique capable de résister aux contradictions et aux attaques. On ne saurait apporter trop de soin, trop de scrupule dans la rédaction du livre définitif qui doit servir de clé de voûte à de nombreux ouvrages et leur conférer autant d'autorité dans l'ordre moral qu'ils ont déjà de valeur dans l'ordre littéraire.

C'est là, en effet, ce qui donne aux deux volumes que nous allons examiner un intérêt tout à fait exceptionnel. On peut dire sans exagération que M. Taine y joue son va-tout. L'œuvre présente étant, quant aux doctrines, le résumé, l'explication sommaire des productions antérieures, est destinée à les consolider par son succès ou à les entraîner dans sa chute.

Sans doute, les hommes accoutumés à penser par eux-mêmes et à ne point se payer de mots n'ont pas attendu la publication de l'Intelligence pour réduire à leurs véritables proportions le fameux système de l'influence des milieux et la non moins célèbre théorie de la faculté-maîtresse. Il y a longtemps qu'on sait que M. Taine a l'habitude de s'attacher à une idée sans tenir compte de ce qui peut en atténuer, en restreindre la portée. Tout son plaisir et tout son art consistent à grossir cette idée, à l'amplifier jusqu'à ce qu'elle frappe les gens distraits ou indifférents et s'empare violemment de leur attention. C'est ainsi qu'empruntant à Montesquieu cette vue, incontestable dans une certaine mesure, que le climat exerce une très-grande action sur l'homme, il a fait de celui-ci le produit fatal, le fruit nécessaire du climat. De même, au lieu de se préoccuper du balancement des forces, de la tendance à l'équilibre qui constitue le fond de la nature humaine, il n'a été frappé que de la prédominance de telle ou telle faculté dans l'organisme, et il a cru faire un coup de maître en s'appliquant à enfermer les individualités les plus éminentes dans les limites de la faculté qui lui paraissait résumer, expliquer leur caractère. Qui ne voit que cette méthode déjà inexacte, lorsqu'elle a pour objet le plus simple, le plus primitif des

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