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tats que la science a obtenus, en quel que sorte, par le choc des opinions les plus opposées, et montrer le parti qu'on peut tirer des livres qui ont été faits jusqu'à nous, pour saisir, comprendre et expliquer les causes, la nature et les résultats du plus grave, sans contredit, de tous les événements du moyen âge.

Cet article ne sera donc, pour ainsi dire, qu'un résumé succinct des principaux ouvrages qui, depuis un demisiècle environ, ont été composés sur la révolution qui donna naissance aux communes. Nous devons parler d'abord de la remarquable dissertation que, sous forme de préface, Bréquigny inséra dans le onzième volume du Recueil des ordonnances. Ce travail, le premier en date, a été le point de départ de tout ce que l'on a écrit jusqu'à nos jours sur les communes. Quand on le lit attentivement, on est surpris de la prodigieuse quantité d'idées lumineuses et justes que l'auteur a répandues sur ce qu'il y avait de plus obscur dans son sujet, de sa marche ferme sur un terrain non encore exploré, et aussi de l'ordre et de l'admirable clarté qu'il a introduits dans ses arguments, dans ses preuves; en un mot, dans toutes les parties de son travail. Au reste, l'analyse de cette dissertation fera voir que depuis un demi-siècle déjà les points les plus importants avaient été indiqués et que la science, pour s'être essayée dans les voies les plus diverses, n'a pas dépassé de beaucoup, sur ce point, les limites fixées par Bréquigny.

L'illustre érudit a divisé sa dissertation en six parties: « D'abord, dit-il, nous déterminerons ce que nous entendons par le mot communes; deuxièmement, nous fixerons l'époque de l'établissement des communes en France et nous en développerons rapidement les premiers progrès; troisièrement, nous rechercherons quels furent les motifs de cet établissement; quatrièmement, nous examinerons quel devait être le titre qui donnait le droit de communes; cinquièmement, nous ferons voir quel était l'objet des principales clauses

que ce titre renfermait; sixièmement, nous exposerons enfin comment, par qui et par quelles raisons les communes ont été quelquefois modifiées, abolies ou rétablies (*). »

Après avoir montré combien est vague et indéterminé le, mot commune, «Nous n'entendons ici, par ce mot, ajoute-t-il, que les corps municipaux qui s'établirent en France pour garantir de l'oppression les habitants des villes, soit que ces corps se soient formés d'abord par des confédérations tumultuaires, autorisées ensuite par le souverain, soit qu'ils aient été établis à l'imitation de ces premières confédérations, en vertu de concessions authentiques préalablement obtenues. » Il dit ensuite que les caractères distinctifs des communes peuvent se réduire à trois : 1° l'association jurée et autorisée par titre authentique; 2o la rédaction et la confirmation des usages et coutumes; 3° l'attribution des droits et priviléges, du nombre desquels était toujours une juridiction plus ou moins étendue, confiée à des magistrats de la commune et choisis par elle. Puis il revient encore sur cette idée qu'il ne faut pas confondre les communes avec les villes qui n'avaient obtenu que des affranchissements de redevances féodales, des concessions de coutumes, les droits qu'on nommait bourgeoisies, et avec les villes qui avaient été en possession, de temps immémorial, d'un régime municipal. Dans les exemples qu'il choisit, on voit une allusion aux cités où s'étaient perpétuées les traditions du régime municipal romain.

La distinction importante établie par Bréquigny a été conservée et recommandée par M. Guizot dans les leçons qui terminent son cours de l'Histoire de la civilisation en France. L'emprunt est évident. Seulement M. Guizot, à l'aide de travaux récents (des ouvrages de Savigny, Raynouard, etc.), a mieux précisé le caractère des villes qui jouissaient de priviléges et de franchises sans avoir de constitution

(*) Recueil des ordonnances des rois de France, t. XI; préface, ad init.

communale, et principalement de celles où s'était conservé le régime municipal romain. Mais M. Guizot, pour un emprunt aussi important (et ce n'est pas le seul qu'il ait fait à la dissertation dont nous parlons), n'a pas cité Bréquigny..

Ce qui est dit du serment que se prêtaient entre eux les bourgeois confédérés a été de même reproduit par M. Augustin Thierry (avec plus de force, il est vrai, et plus de clarté) dans les Lettres sur l'histoire de France, et notamment à la fin du chapitre cinquième des Considérations qui précèdent les récits des temps mérovingiens.

Dans la deuxième partie de sa dissertation, Bréquigny fixe l'époque de l'établissement des communes au douzième siècle, sous le règne de Louis VI. Il a peut-être exagéré ici le rôle que la royauté a joué dans cette grande révolution. On peut lui reprocher aussi de n'avoir pas mieux précisé, à la fin de la deuxième partie et dans la troisième, les causes de la révolution communale. Il s'est borné à dire, comme en passant, que ce fut l'oppression des seigneurs qui détermina le mouvement et les insurrections dans les cités du nord de la France, et, ailleurs, à donner, comme des motifs de l'établissement des communes, ces deux raisons qui nous paraissent trop simples et trop vraies: 1° l'avantage des habitants qui demandaient le droit de commune; 2o l'intérêt des souverains qui l'accordaient. Il devient plus ferme et plus précis lorsqu'il énumère le profit que les bourgeois des villes, d'une part, et la royauté, d'autre part, ont retiré de l'établissement des communes. Il réduit à trois les avantages de la royauté: 1o une somme une fois payée au roi, pour la confirmation ou l'octroi de la charte; 2° une redevance annuelle; 3o le service militaire.

Dans la quatrième partie de son travail, Bréquigny recherche quel devait être le titre fondamental du droit de commune. C'était, dit-il, la charte de

commune elle-même. Puis il examine les conditions essentielles de cet acte, et pour discuter avec plus de méthode, il divise son sujet en quatre points : 1° l'acte fondamental de la commune devait sanctionner la confédération des habitants unis ensemble par serment pour se défendre contre les vexations des seigneurs qui les opprimaient; 2° les personnes qui devaient intervenir dans cet acte: d'abord, les bourgeois, les membres de l'association jurée; ensuite, les seigneurs contre lesquels avait été dirigée cette association; 3° si le seigneur immédiat et principal devait contribuer à l'établissement de la commune et lui donner en quelque sorte une première forme, le roi devait ensuite l'autoriser par une concession spéciale; 4o enfin, l'auteur montre comment on pouvait suppléer au titre original lorsqu'il n'était pas possible de le représenter. Tout cela, comme on le voit, concerne la forme, si nous pouvons nous exprimer ainsi, plutôt que le fond de la constitution et de l'organisation communales.

Nous avons dit que dans la cinquième partie de sa dissertation, Bréquigny recherchait quel était l'objet des principales clauses des chartes de communes. I reconnaît d'abord dans ces chartes deux choses bien distinctes: 1° les articles qui se rapportent exclusivement à l'organisation communale, en tant que résultat de l'association sous la foi du serment; 2o une rédaction des coutumes, un code renfermant des lois civiles et pénales. Il entre ensuite dans des développements sur ce qui est contenu dans ces deux parties si distinctes. Nous ne le suivrons point dans ces développements. Nous nous bornerons seulement à dire qu'ici encore M. Guizot a fait à Bréquigny, sans le citer, un notable emprunt, et qu'il lui doit, par exemple, ainsi qu'à Berroyer et à Laurière, cette idée que les coutumes des communes sont les véritables sources de notre droit privé. Au reste, les opinions de Bréquigny sur la juridiction et l'administration municipales, sur les priviléges, les franchises ETC.)

T. v. 28 Livraison. (DICT. ENCYCL.,

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des communes, les beffrois, les réserves insérées dans les clauses des chartes, etc., etc., ont été, comme il est facile d'en acquérir la conviction par la lecture de tous les ouvrages sur le régime municipal et sur les communes, très-souvent mises à contribution et reproduites.

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Enfin, Bréquigny pose cette question, dans la sixième partie de sa dissertation: Par qui et pour quelles causes les communes étaient-elles modifiées, supprimées ou rétablies? et il répond de trois manières, savoir: 1o par les circonstances politiques; 2° par l'intérêt ou la volonté de celui qui avait accordé ou confirmé les chartes de commune; 3° par l'intérêt ou la volonté des bourgeois eux-mêmes.

M. Leber, qui a réimprimé les deux préfaces qui se trouvent dans les vofumes XI et XII du Recueil des ordonnances (*), a fait la critique de certaines parties de la Dissertation sur les communes. Parmi les reproches qu'il adresse à l'auteur, les trois suivants ne nous ont point paru sans fondement. Il blâme d'abord Bréquigny d'avoir trop accordé à la puissance et à l'influence de la royauté dans l'établissement des communes; ensuite, d'avoir omis tout ce qui concerne les droits d'usage dans les campagnes et la jouissance des communaux, en un mot, d'avoir passé sous silence tout ce qui tient au régime rural; enfin, n'avoir pas toujours été, dans ses considérations, à la hauteur de son sujet. Ainsi, dit-il, Bréquigny réduit à trois les avantages que la royauté a retirés de l'établissement des communes : une somme une fois payée; les redevances annuelles; le service militaire. N'aurait-il pas dû faire des réflexions sur l'appui que la royauté trouva dans la bourgeoisie naissante contre la féodalité, sur le rôle de la bourgeoisie? etc., etc. On pourrait répondre à M. Leber que Bréquigny a écrit sa dissertation avant la révolution, et qu'il ne pouvait pas apprécier alors à sa juste valeur,

de

(*) Collection des meilleures dissertations, notices, traités, etc., t. XX. Paris, 1838.

comme on le fait aujourd'hui, la grandeur et l'importance du rôle que la bourgeoisie a joué dans notre histoire. M. Guizot, qui est venu après la révolution, a complété sur ce point d'une extrême gravité la dissertation de Bréquigny.

On peut, nous ne l'ignorons pas, adresser bien des reproches à cette lumineuse dissertation; mais nous n'en persistons pas moins à dire que les ouvrages entrepris depuis cinquante ans sur le même sujet, ne l'ont pas de beaucoup dépassée; l'auteur y a touché les points les plus importants de la question, et souvent il a résolu d'une manière satisfaisante les plus graves difficultés.

Aussi, y a-t-il lieu de s'étonner que depuis Bréquigny, et après la révolution, un de nos plus grands érudits, un des hommes les plus versés dans l'étude des documents des onzième et douzième siècles, D. Brial, n'ait écrit sur les commu

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dans une préface célèbre, que des choses vagues, insignifiantes, et souvent même erronées (*). Il y prétend, par exemple, que ce qui donna naissance aux communes, et poussa les habitants des villes à l'insurrection, ce furent principalement la haine que de tout temps les hommes ont eue contre leurs supérieurs, et l'esprit d'irréligion qui commençait alors à faire de grands progrès, non point seulement au nord de la France, mais dans le midi, dans la Flandre et dans l'Italie. On ne doit tenir aucun compte de l'opinion de D. Brial, qui a pour lui, en définitive, d'autres titres à notre estime et à notre respect que ses considérations sur les communes.

Nous passons sans transition aux Lettres sur l'histoire de France de M. Augustin Thierry. Nous ne nous arrêterons pas longuement sur cet ouvrage, qui ne contient pas, comme quelques-uns l'ont cru, une théorie sur les communes. M. Aug. Thierry, dans ses Lettres, qui étaient destinées

(*) Voy. la préface du t. XIV du Recueil des historiens de France.

à produire sur presque tous les points les plus importants de notre histoire nationale une véritable révolution, n'a point cherché à donner un nouveau système. Il voulait seulement réformer ce qu'il y avait de faux dans les opinions émises par les historiens ses devanciers, opinions qui, avant son livre, jouissaient auprès du public d'un grand crédit. On avait dit et répété sans cesse que Louis VI était le véritable fondateur des communes, M. Augustin Thierry a montré l'exagération de cette assertion, et peutêtre a-t-il cédé un peu trop, sur ce point, à l'esprit de réaction. C'est pour mieux montrer la participation de la bourgeoisie, agissant par ellemême, indépendamment de toute influence étrangère, et pour mieux faire sentir ce qu'il y avait de fort et d'énergique dans l'esprit démocratique qui se manifesta, au commencement du douzième siècle, dans toutes les villes du nord de la France, qu'il a donné sur chaque commune les beaux récits que tous connaissent et que nous avons fréquemment cités dans les ANNALES. Il ne faut donc point chercher dans les Lettres sur l'histoire de France l'opinion de M. Augustin Thierry sur les communes; nous trouverons ailleurs sa théorie dans le cinquième chapitre des considérations qui précèdent les Récits mérovingiens.

Nous avons déjà eu occasion de dire que le système de M. Guizot reposait en grande partie sur la dissertation de Bréquigny.Comme pour certains points de son sujet il a pénétré plus avant que son devancier, comme il a vu plus loin, et comme aussi il a été plus méthodique quelquefois et plus précis, et qu'il a émis un certain nombre d'idées nouvelles, nous croyons devoir donner le résumé des Leçons qu'il a consacrées aux communes (*).

C'est au douzième siècle, dit-il, qu'on a rapporté l'origine, la première

(*) Cours d'histoire de la civilisation en France (1829-1830), 16o, 17o, 18o et 19e leçons.

formation des communes françaises. Par une réaction contre l'opinion accréditée qui attribuait cette origine à la politique et à l'intervention des rois, deux systèmes se sont élevés. D'une part, on a soutenu que les communes étaient bien antérieures au douzième siècle; d'autre part, qu'elles étaient l'œuvre et la conquête des bourgeois eux-mêmes, le résultat de l'insurrection. C'est ce dernier système qu'a soutenu M. Aug. Thierry (M. Guizot fait allusion aux Lettres sur l'histoire de France). Ces deux systèmes sont incomplets, et ne peuvent rendre compte de tous les faits. Il y a eu en effet, ajoute M. Guizot, une grande crise au douzième siècle, comme le prouvent les actes contemporains. Mais celui qui examine ces actes avec soin y reconnaît trois classes de faits bien distincts. Les uns parlent de libertés et de coutumes municipales comme de faits anciens et incontestés ; d'autres contiennent la concession de certains priviléges, certaines exceptions particulières, au profit de tel ou tel hourg, de telle ou telle ville, mais sans les constituer en communes proprement dites; enfin, il y a des actes qui constituent des communes proprement dites, qui confèrent aux habitants de telle ou telle ville une sorte de souveraineté, une souveraineté analogue à celle des possesseurs de fiefs dans l'intérieur de leurs domaines.

de

Pour expliquer ces trois classes de faits bien distincts qui révèlent des régimes municipaux essentiellement différents, M. Guizot parle d'abord, et en s'appuyant sur l'autorité de M. Raynouard, de la persistance du régime municipal romain dans les villes de France, et principalement dans celles du Midi. Puis, il montre comment des villes nouvelles se sont formées par l'agglomération des serfs et par l'arrivée d'une foule d'étrangers, villes que les seigneurs, dans leur intérêt, soutenaient et protégeaient. Elles reçurent, dit-il, des priviléges qui ne constituèrent pour elles ni un régime municipal semblable à celui

des anciens municipes romains, ni un régime communal. Enfin, il ajoute que, dans d'autres villes, par suite des vexations des seigneurs féodaux, laïques ou prêtres, éclatêrent des insurrections qui créèrent les communes proprement dites.

Comme nous l'avons dit précédemment, cette distinction à établir entre les villes françaises au moyen âge, a été empruntée par M. Guizot à Bréquigny. Mais, il faut le dire, M. Guizot a précisé avec une grande clarté ce point très-important qui, dans la dissertation de Bréquigny, était simplement mentionné et indiqué.

M. Guizot a subordonné en quelque sorte, dans ses leçons, la question de l'origine des communes à la question plus vaste et plus générale de la formation du tiers état. Cependant on trouve encore dans ses considérations certaines idées qui se rattachent directement à l'établissement et à la constitution des communes; celle-ci, par exemple, qui avait été émise déjà par Bréquigny, que les chartes de commune n'ont point un caractère exclusivement municipal, qu'elles ont aussi un caractère législatif; qu'elles sont la base d'un droit écrit, de lois civiles et pénales.

Ailleurs, il a fait entre les destinées des communes françaises et des républiques italiennes une comparaison que nous devons signaler. Il montre comment, en France, toutes les villes arrivèrent, les unes plus tôt, les autres plus tard, à être dominées par le pouvoir central, la royauté. Il n'en fut pas de même en Italie, ajoute-t-il: « Les cités, les républiques italiennes, après avoir une fois vaincu les seigneurs voisins, ne tardèrent pas à les absorber. Ils se virent obligés de venir habiter dans leurs murs, et la noblesse féodale, en grande partie du moins, se métamorphosa ainsi en bourgeoisie républicaine. Mais d'où vient cette bonne fortune des villes d'Italie? De ce qu'elles n'eurent jamais affaire à un pouvoir central trèssupérieur; la lutte demeura presque toujours entre elles et les seigneurs

particuliers locaux, sur lesquels elles avaient conquis leur indépendance. Les choses en France se passèrent tout autrement. >>

Enfin, abordant l'histoire des communes françaises, et envisageant dans un court tableau leurs destinées, M. Guizot a signalé pour ces communes trois causes de décadence que nous allons rappeler :

1o L'isolement même dans lequel elles se trouvaient, et la difficulté de se confédérer entre elles.

2o La nécessité d'appeler, par suite de la lutte avec les seigneurs, une intervention étrangère, celle du roi.

3o Les troubles intérieurs qui amenaient encore en définitive, et forcément, cette intervention étrangère.

Depuis l'époque où M. Guizot a interrompu ses leçons, on a fait plusieurs dissertations sur les communes. Elles ne méritent guère de fixer notre attention. Cependant il en est une qui contient en apparence assez de résultats pour être signalée à nos lecteurs. Nous voulons parler du livre de M. Tailliar sur l'affranchissement des communes dans le nord de la France, que nous résumerons en quelques mots pour le réfuter (*).

M. Tailliar donne à l'établissement des communes du nord de la France cinq origines ou causes distinctes.

1o Les traditions plus ou moins effacées du régime municipal romain. 2o La conquête ou la revendication de la liberté par l'insurrection.

3o Les concessions royales, l'octroi ou la consécration par les princes de lois communales, ou de libertés et de franchises plus ou moins étendues.

4° La combinaison et le mélange des institutions de paix avec les anciennes libertés locales.

5° L'état originel de franchise et de liberté dans lequel les grandes villes de la Flandre se sont constamment maintenues.

(*) De l'affranchissement des communes dans le nord de la France, et des avantages qui en sont résultés, par M. Tailliar, un vol. in-8°. Cambrai, 1837.

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