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marchant sur douze pieds (les douze mois), enveloppé de lianes, entraînant des branches d'arbres suspendues à ses défenses. Des abeilles dangereuses, de formes diverses (les Passions), sont nées dans cette demeure où elles ont caché du miel doux au goût, par lequel la force des êtres est détruite. Ce miel coule toujours en nombreux ruisseaux (les Joies que procure la satisfaction des passions). L'homme, s'emparant de ces ruisseaux, boit sans cesse; mais pendant qu'il boit avec avidité, sa soif n'est pas apaisée, et c'est en cela que consiste l'amour de l'homme pour la vie. Des souris blanches et des souris noires (les jours et les nuits) rongent l'arbre placé au milieu du puits.

Le Dwidja est ainsi menacé sur la terre par six espèces de dangers; cependant, à cause de son amour pour la vie, il n'arrive jamais à l'indifférence qui seule procure la délivrance finale*. »

Les dangers et les misères de la vie3. « Jadis un homme qui traversait un désert se vit poursuivi par un éléphant

1. Nous avons déjà vu ce symbole dans le passage de Porphyre cité p. 364. 2. Voy. ci-dessus, p. 225, n. 2, et p. 344, n. 2.

Ces idées se retrouvent dans la Vie de Barzouyeh, qui forme le quatrième chapitre du Livre de Kalila et Dimna (p. 354, n. 1).

Allégorie du Puits. « On ne peut mieux assimiler le genre humain qu'à un homme qui, fuyant un éléphant furieux, est descendu dans un puits; il s'est accroché à deux rameaux qui en couvrent l'orifice, et il a posé ses pieds sur quelque chose qui forme saillie dans l'intérieur du même puits: ce sont quatre serpents qui sortent leurs tètes de leurs repaires; il aperçoit au fond du puits un dragon qui, la gueule ouverte, n'attend que sa chute pour le dévorer. Ses regards se portent vers les deux rameaux auxquels il est suspendu, et il voit à leur naissance deux rats, l'un noir, l'autre blanc, qui ne cessent de les ronger. Un autre objet cependant se présente à sa vue c'est une ruche remplie de mouches à miel; il se met à manger de leur miel, et le plaisir qu'il y trouve lui fait oublier les serpents sur lesquels reposent ses pieds, les rats qui rongent les rameaux auxquels il est suspendu, et le danger dont il est menacé de devenir la proie du dragon. Son étourderie et son illusion ne cessent qu'avec son existence. Le puits, c'est le monde rempli de dangers et de misères; les quatre serpents, ce sont les quatre humeurs dont le mélange forme notre corps (selon la doctrine de Galien), mais qui, lorsque leur équilibre est rompu, deviennent autant de poisons mortels; les deux rats, l'un blanc, l'autre noir, ce sont le jour et la nuit, dont la succession consume la durée de notre vie; le dragon, c'est le terme inévitable qui nous attend tous; le miel enfin, ce sont les plaisirs des sens, dont la fausse douceur nous séduit et nous détourne du chemin où nous devons marcher. >>

Voy. Fables de Bidpai, Notice de Loiseleur Deslongchamps (éd. Delagrave, p. 377). 3. Avadanas, Contes indiens, XXXII; trad. de Stanislas Julien.

furieux. Il fut saisi d'effroi et ne savait où se réfugier, lorsqu'il aperçut un puits à sec près duquel étaient de longues racines d'arbre. Il les saisit et se laissa glisser dans le puits. Mais deux rats, l'un noir et l'autre blanc, rongeaient ensemble les racines de l'arbre. Aux quatre coins de l'arbre étaient quatre serpents venimeux qui voulaient le piquer, et au-dessous un dragon gorgé de poison. Il vit sur l'arbre un essaim d'abeilles, qui fit découler dans sa bouche cinq gouttes de miel; mais l'arbre s'agita, le reste du miel tomba à terre, et les abeilles piquèrent cet homme; puis un feu subit vint consumer l'arbre.

Le désert (dans cet apologue) figure la longue nuit de l'ignorance; l'homme, la multitude des insensés; l'éléphant, l'instabilité des choses; le puits, le rivage de la vie et de la mort; les racines de l'arbre, la vie humaine; le rat noir et le rat blanc, le jour et la nuit; les quatre serpents venimeux, les quatre grandes choses (la terre, l'eau, le feu, le vent); le miel, les désirs de l'amour, de la musique, des parfums, du goût et du toucher; les abeilles, les pensées vicieuses; le feu, la vieillesse et la maladie; le dragon venimeux, la mort.

On voit (par l'explication de cet apologue) que la vie et la mort, la vieillesse et la maladie sont très-redoutables. Il faut donc se pénétrer constamment de cette pensée, et ne point se laisser assaillir et dominer par les désirs1. »

État des âmes après la mort.

Les peines de l'Enfer, les expiations du Purgatoire et les joies du Paradis ne sont intelligibles qu'à condition que l'on se fasse une idée de l'état des âmes après la mort. Les Lois de Manou se bornent à dire qu'elles sont revêtues d'un corps formé des particules subtiles des cinq éléments (p. 226). Dante expose cette hypothèse sous une forme à la fois philosophique et poétique.

1. La même allégorie est reproduite dans l'apologue LIII des Avadanas (De ceux qui sont aveuglés par la convoitise).

<< Lorsque Lachésis n'a plus de lin, l'âme se sépare de la chair, et elle emporte virtuellement avec elle les facultés humaines et les facultés divines1; les premières sont toutes presque muettes; mais la mémoire, l'intelligence et la volonté sont de fait bien plus subtiles qu'auparavant. Sans s'arrêter, l'âme tombe d'elle-même sur l'une ou sur l'autre rive; c'est là qu'elle connaît pour la première fois son chemin. Aussitôt qu'une place lui est assignée, sa faculté formelle (la faculté qu'elle a de donner la forme à la matière) rayonne tout autour, de même et autant qu'elle le faisait dans ses membres vivants. Et comme l'atmosphère, lorsqu'elle est bien chargée de pluie et que des rayons viennent s'y refléter, se montre ornée de couleurs diverses, ainsi l'air qui l'entoure prend cette forme que lui imprime l'âme virtuellement en s'y arrêtant; et, semblable à la flamme qui suit le feu partout où il va, cette forme nouvelle suit partout l'âme. Comme elle tire de là son apparence, elle est appelée ombre, et ensuite elle organise les sens jusqu'à celui de la vue.» (Purgatoire, XXV.)

1. D'après saint Thomas, la science de l'àme séparée du corps comprend : 1o les idées qu'elle avait acquises pendant la durée de son union avec le corps; 2o les idées qu'elle a pu acquérir depuis la séparation : ces dernières germent, pour ainsi dire, sous l'influence des autres substances et par l'action de la lumière divine. L'âme se contemple directement; elle se connait, et, en se connaissant, elle connait toutes les autres substances séparées, quoique d'une manière imparfaite. Elle connait toutes les choses naturelles, mais cette connaissance est générale, indéterminée et restreinte au présent. Elle possède toutes ses facultés rationnelles, et leur développement est même plus énergique; mais la sensibilité n'existe plus chez elle que virtuellement. (H. Bach, De l'état de l'âme depuis le jour de la mort jusqu'à celui du jugement dernier, d'après Dante et saint Thomas, p. 32-58.)

Saint Thomas a lui-même emprunté cette doctrine à Plotin par l'intermédiaire de saint Augustin. (Bouillet, Ennéades de Plotin, t. II, p. 597.)

2. C'est l'hypothèse formulée par le Brahmanisme, et développée par Plotin, chef de l'École néoplatonicienne, à l'aide de principes empruntés à la psychologie d'Aristote. Dante a pu la connaître par Macrobe, Commentaire sur le Songe de Scipion. (Bouillet, Ennéades de Plotin, t. I, p. 434.)

Leibniz a approprié cette hypothèse à sa théorie des monades: « Je crois, avec la plupart des anciens, que toutes les âmes, toutes les substances simples créées, sont toujours jointes à un corps, et qu'il n'y a jamais des âmes qui en soient complétement séparées... J'ajoute encore qu'aucun dérangement des organes visibles n'est capable de porter les choses à une entière confusion dans l'animal, ou de priver l'âme de tout son corps organique et des restes ineffaçables de toutes les traces précédentes. » (Nouveaux Essais, Avant-propos.)

L'Enfer.

Quoique le Purgatoire et le Paradis contiennent une grande variété de descriptions pittoresques ou magnifiques, l'Enfer est la partie la plus lue de la Divine Comédie. Il le doit à l'intérêt dramatique des récits et à la puissance d'imagination que le poëte a déployée dans le tableau des supplices qui sont infligés aux coupables.

Le premier cercle sert de demeure à ceux qui n'ont fait ni bien ni mal, ou qui n'ont point reçu le baptême, tels que les grands païens de l'antiquité, Homère, Aristote. Le second renferme les sensuels, emportés par un tourbillon au milieu des ténèbres (Francesca de Rimini et Paolo). Le troisième est destiné aux gourmands, qui reçoivent sans cesse une pluie froide et pesante : les gloutons avalent de la fange, les ivrognes se gorgent d'une eau bourbeuse. Le quatrième est parcouru en sens contraire par les avares et par les prodigues qui s'entre-choquent dans une mêlée, où les premiers conservent le fardeau qu'ils portent tandis que les seconds le laissent tomber. Le cinquième est couvert par un marais fétide, dans lequel s'agitent les âmes qui ont péché par colère ou par paresse les furieux se démènent à la surface, les fainéants grouillent dans la vase. Le sixième (qui forme la première enceinte de la forteresse appelée Cité de Dité) est occupé par les incrédules, qui expient leurs fautes dans des tombes enflammées. Le septième contient les violents : lorsqu'ils ont attenté à la vie de leurs semblables, ils sont plongés dans un lac de sang; lorsqu'ils se sont donné la mort à eux-mêmes, ils sont renfermés dans l'écorce d'arbres animés qui gémissent sous la main qui les blesse; lorsqu'ils ont outragé la nature par leur audace ou par leurs débordements, ils souffrent une pluie de feu. Le huitième, où est punie la fraude, a dix fosses les séducteurs sont flagellés sans trêve, les flatteurs sont plongés dans un égout fétide, les simoniaques ont la plante des pieds allumée comme une torche ardente, les devins et les sorciers traînent à reculons leurs corps disloqués; les faux

monnayeurs, les menteurs, les calomniateurs, couverts de lèpre, se vautrent dans la pourriture. Le neuvième est un puits de glace, où sont enfoncés autour de Satan ceux qui ont trahi leurs parents, leurs hôtes, leur patrie (Ugolin et l'archevêque Ruggieri), leur Dieu (Judas).

Pour reconnaître l'originalité de Dante et son génie créateur, il est utile de comparer cette partie de son poëme avec le tableau que trace de l'Enfer un livre sacré de l'Inde, le Bhagavata pourana.

Description des enfers1. « Le roi dit à Vyâsa : « Quel lieu, bienheureux sage, occupent les Enfers? »>

Le Richi répondit : « Les Enfers sont dans l'enceinte des mondes, au midi, sous la terre et au-dessus de l'eau, au lieu qu'habitent les Pitris (ancêtres), occupés, dans une méditation profonde, à faire pour leurs descendants des souhaits infaillibles, et où Yama, le roi des Pitris, entouré de sa troupe et se conformant aux ordres de Bhagavata (le Bienheureux), punit au moyen de ses gardes, suivant la nature de leurs actions, les fautes condamnables des hommes qui, après leur mort, viennent dans son royaume.

Ils sont divisés en différentes enceintes d'après les fautes. Celui qui a dérobé le bien, les enfants ou la femme d'un autre, est serré dans les chaînes du Temps et précipité violemment par les redoutables gardes de Yama dans l'Enfer Tâmisra (l'Obscurité). Tourmenté dans ce lieu de ténèbres par la faim et la soif, accablé de coups de bâton et de fouet, d'injures et d'autres supplices, il tombe en défaillance et quelquefois perd le sentiment.

Celui qui, disant en ce monde : « Ceci est à moi, » ne s'occupe chaque jour que de soutenir sa famille en faisant tort à d'autres êtres, laisse tout ici-bas et va lui-même dans l'Enfer Râurava (le Terrible). Les êtres que cet homme a mis ici-bas à mort, devenant des Rourous (démons cannibales), lui rendent le mal qu'il leur a fait, et le tuent à leur tour pour dévorer sa chair.

1. Bhagavata pourana, trad. d'Eugène Burnouf, t. II, p. 565. 2. De même Ugolin ronge le crâne de l'archevêque Ruggieri.

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