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UNE

AMBASSADE SERBE EN FRANCE

AU XIV SIÈCLE

LE TRAITÉ DU LYS

A

L'HEURE où les réfugiés de l'héroïque et malheureuse Serbie reçoivent chez les Français une touchante hospitalité, il pourra peut-être paraître opportun de rappeler quel fut, il y a six siècles, le premier trait. d'union entre les deux peuples. Les faits sont connus, mais ils empruntent aux évènements récents un surprenant regain d'actualité; et l'histoire locale n'a pas le droit d'ignorer un des épisodes mémorables de la politique française en Orient, même s'il fut sans lendemain, puisque le lieu choisi pour l'aboutissement d'un projet d'alliance franco-serbe sous Philippe le Bel appartient à notre région.

Charles de Valois, frère puiné de Philippe le Bel, fut, comme d'autres princes et souverains l'ont été

1. Notamment à Fontainebleau, où une quarantaine de jeunes Serbes suivent les cours du collège.

XXXIII.

I

après lui, attiré par le mirage de l'Orient. Perpétuellement en quête d'une couronne qui satisfìt son ambition jamais rassasiée, cet étrange et remuant personnage avait déjà perdu le royaume d'Aragon, apporté un concours intéressé à Charles d'Anjou en Sicile, noué des relations avec les Grecs et les Arméniens par l'entremise du pape, obtenu des Vénitiens et des Génois l'aide d'une flotte importante en vue d'une nouvelle croisade'. La mort de Catherine de Courtenay, sa femme', qui lui avait cédé tous ses droits à l'Empire de Constantinople, ne l'arrêta pas dans ses desseins de conquète : bien au contraire. Une occasion s'était présentée, qu'il considéra comme capable de lui procurer quelque nouvel avantage vers le but à atteindre; il n'eut garde de la laisser échapper.

Ouroch Milioutine, roi de Serbie depuis 1281, était le second fils d'Etienne Ouroch, qui, au cours d'un règne heureux, avait réussi à triompher des Bulgares et même à faire élire un serbe comme tsar de Bulgarie, et d'une princesse d'origine française, nommée Hélène. Lui-même sut compléter les succès de son père par une invasion de la Macédoine, la prise de Widdin sur les Tartares, la conquête de Durazzo et de l'Albanie du Nord, et développer considérablement le commerce maritime de son peuple avec Raguse et Venise; en même temps,

1. Voir Joseph Petit, Charles de Valois (Paris, Picard, 1900, in-8), chap. I et II.

2. Fille de Philippe de Courtenay, empereur de Constantinople, morte le 2 janvier 1308. Cf. Du Bouchet, Histoire généalogique de la maison royale de Courtenay (1661).

conseillé par sa femme, il éleva dans son royaume et y restaura nombre d'églises. A la nouvelle que Charles de Valois venait de s'aboucher avec les Vénitiens pour tenter de recouvrer sur les Grecs l'empire de Constantinople, il songea à gagner les faveurs de ce prince français qui pouvait lui porter ombrage; très habilement il profita d'une ambassade qu'il envoyait en France vers le pape Clément V, faisant entrevoir au chef de la chrétienté sa soumission définitive, pour engager du même coup des pourparlers avec le frère de Philippe le Bel.

Ces ambassadeurs du roi de Serbie' rencontrèrent Charles de Valois à l'abbaye du Lys, dans le voisinage de Melun; ils le trouvèrent assisté de Louis de France, comte d'Évreux, et de ses conseillers ordinaires: maitre Guillaume du Perche, juriste renommé et son chancelier; Jean de Grès et Herpin d'Erquery, chevaliers; messire Jean de Montluçon, chanoine de Vatan; et l'Italien Alberto Fulgoso, de Plaisance'. Par l'acte solennel qui fut signé au Lys, en présence de ces divers personnages, le 27 mars 1308', furent adoptées les conventions

1. C'étaient Marco de Luquari, citoyen de Raguse, et Triffone Michel, citoyen de Cattaro, d'après certains historiens et d'après la publication des Regestes du pape Clément V cités plus loin (t. III, p. 347). Du Cange `(ouvr. cité ci-dessous, p. 234) les nomme Marc de Lugnari et Griffon Michel. Les lettres de créance octroyées à ces deux personnages pour faciliter leur mission sont scellées du sceau du roi Ouroch et écrites par un notaire public de Dulcigno (en Albanie, près de Scutari); il n'y a aucun doute que les noms propres ont été mal lus par Du Cange.

2. Et non « de Montluc, chanoine de Gastines », comme on l'a appelé

par erreur.

3. Du Cange, Histoire de Constantinople (1657), preuves, pp. 59-62. 4. Archives nationales, J 510, no 17. - Joseph Petit date par erreur le

suivantes: Si Charles de Valois se dispose à aller en personne à la conquète de Constantinople, le roi de Serbie sera tenu de l'assister et d'envoyer des troupes levées à ses frais pour l'y aider, à moins qu'il n'ait à invoquer une excuse légitime; de son côté, Charles de Valois assure le roi Ouroch Milioutine qu'il le secourra contre ses ennemis, à l'exclusion de son parent Philippe, prince de Tarente, qui est en possession d'une partie de l'Albanie (l'Epire actuelle). En échange de l'appui que le roi de Serbie promet de donner au futur empereur d'Orient, il obtient de celui-ci la cession irrévocable de quatre petites contrées qu'il avait usurpées sur la couronne de Constantinople et ces contrées.

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qui n'ont jamais été jusqu'ici très exactement identifiées s'étendaient entre Prilep et Prizrend, entre Youtchepol et Istip, entre Dibra et le fleuve Mati, entre Kutchani et les confins des monts Gogra en Albanie', c'est à dire sur la plus grande partie de la Macédoine occidentale réunie au royaume de Serbie après la guerre de 1912. En outre les ambassadeurs serbes offrent à Charles de Valois, pour son fils, de

document du 27 mai; voici quelle en est la teneur finale : « Datum et actum apud abbatiam de Lilio prope Meledunum, presentibus excellenti viro domino Ludovico, Regis Francorum filio, comite Ebroiceusi, dominus Harpino de Erqueri, domino Johanne de Gressibus, militibus, prefato domino et magistro Guillelmo de Pertico, domino Alberto Fulgosii de Placentia, et magistro Joanne de Montelucio, canonico Vatinensi, estibus ad hoc vocatis et rogatis, sub anno a Nativitate dominica MCCCVIII, indictione vi, pontificatus domini Clementis Pape quinti anno III, die xxvii mensis martii. »

1. « Contrata a confinibus castri nomine Prilep usque ad confines castri nomine Prisrec; et contrata Ouciepoullie usque ad confines castri nomine Stip; et contrata de Deber usque ad flumen nomine Mahat; et contrata Quinciane usque ad fines Hoquerie. »

la part de leur maître, la main de sa fille unique Zariza, et annoncent que le roi Ouroch a l'intention. d'abandonner l'Église grecque pour se soumettre à l'obéissance de l'Église de Rome. Sur la question du mariage, Charles de Valois ne prend aucun engagement; mais il promet d'envoyer à son tour en Serbie des ambassadeurs qui, après que le roi Ouroch aura formellement décidé d'entrer dans le giron de l'Église romaine, se feront présenter la jeune princesse et auront tout pouvoir pour négocier et traiter des conditions du mariage projeté. D'ailleurs la nonexécution de cet article du traité du Lys ne saurait en rien préjudicier aux autres clauses, qui demeureront en vigueur quoi qu'il arrive.

Charles de Valois, qui paraissait retirer de grands avantages de l'alliance serbe pour l'accomplissement de son rève oriental, s'empressa de donner suite à ce projet. Les ambassadeurs français ne tardèrent pas à partir à leur tour': ils s'appelaient Jean de Montluçon, déjà nommé, Pierre Le Riche, sous-doyen de l'église de Chartres, Philippe de Montceaux, Jacques Faisans de Villaines", Pietro Querini, vénitien; et Marco de Luquari s'en retourna en les accompagnant‘.

1. Bibliothèque de l'École des Chartes, 1890, pp. 66-81, et notamment P. 76.

2. Ancien doyen de Sens, il est mentionné dans les registres des chapitres généraux de Chartres, de 1302 à 1317, fut nommé évêque de Vannes en 1311. mais n'accepta pas, et mourut le 31 mai 1326. Cf. Lucien et René Merlet, Dignitaires de l'église Notre-Dame de Chartres (Paris, 1900, in-8), p. 57, qui n'ont pas connu le rôle joué par ce personnage comme ambassadeur de Charles de Valois.

3. Sous cette forme française, ne faut-il pas soupçonner un italien? 4. D'autres envoyés du pape se joignirent à ceux de Charles de Valois (cf. Regestum Clementis Papæ Quinti, t. III, p. 352); ce furent Gregorio

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